Un consensus existe pour affirmer que les transformations pacifiques et démocratiques, que notre modèle de développement exige, impliquent de donner davantage de place à la société civile et de lui donner les moyens de contribuer à la construction des politiques en faveur de l’intérêt général. En effet, comment imaginer, que la résolution des défis environnementaux et sociaux qui s’imposent à nous, chaque jour avec plus d’acuité, puisse se faire sans la mobilisation de l’intelligence, des compétences, des convictions et de l’énergie des citoyens. Or, nous percevons dans la crise des institutions politiques et la perte de crédibilité des élus nationaux la nécessité d’offrir une respiration à notre démocratie.
L’aspiration à davantage de délibération des décisions publiques, l’exigence d’une ouverture plus grande du débat public et d’un élargissement de la participation sont autant de signes d’une attente de nos concitoyens pour un renouveau politique. Loin d’un désengagement, ils formulent en fait l’urgence de donner une place plus grande à l’expression d’une société civile dont les associations sont un des piliers. En effet, les initiatives collectives recèlent la richesse d’une promesse de changement accepté et partagé, parce que produit par la société elle-même.
Ce constat d’une modernisation nécessaire des rapports entre les pouvoirs publics, les associations et les autres formes d’expression de la société civile, passe aussi par une réflexion sur les formes qu’elle peut prendre. Si dresser une liste des fonctions à renforcer est aisé (observation, développement de la recherche sur la vie associative, organisation institutionnelle du dialogue, financement et contractualisation, soutien à l’engagement…), la principale difficulté est formelle : quelle forme d’organisation retenir pour la prise en charge conjointe de ces questions et pour le renforcement d’un partenariat confiant entre les organisations de la société civile, l’état et les collectivités locales.
Deux scenarii nous semblent possibles.
En tout premier lieu, nous pourrions demander à chacun de renforcer son organisation propre et de se doter d’une réelle stratégie. Cela passe à notre sens par une réforme de l’organisation politico-administrative de l’état et des collectivités locales pour faire vivre de manière transversale et plus affirmée une politique associative. Cet effort public doit trouver son pendant dans un renforcement de la capacité du mouvement associatif à prendre la parole de manière coordonnée et indépendante. Il est en effet frappant de constater combien actuellement, la faiblesse de l’organisation inter-associative répond à une absence de transversalité et de coordination fortes des politiques de l’état en direction des associations.
Concernant l’appareil politico-administratif de l’État, cette stratégie, que nous qualifierons schématiquement de « réalpolitik » relève d’une démarche assez classique de résolution d’un problème par création d’une direction administrative et procède par une adaptation marginale du cadre actuel. Elle est retranscrite dans la note « pour une politique associative de l’état » proposant la création d’une grande direction de la vie associative à vocation interministérielle. Cette approche vise à l’efficacité à court terme. La disparition récente de la Dvaef, puis de la Diieses, montre néanmoins aussi l’ambition de cette proposition.
Mais, nous pouvons légitimement nous demander si elle est à la hauteur des défis actuels. Confier à une direction d’une administration la charge de conduire ce changement, c’est aller au devant des inévitables difficultés de l’exercice d’une compétence interministérielle par une administration particulière confrontée aux résistances des autres administrations à toute idée d’un primus inter pares ; c’est aussi courir le risque de favoriser de nouvelles formes d’instrumentalisation, d’autant plus certaines si la société civile, à commencer par sa composante associative, n’arrivait pas à affirmer une réelle indépendance de son ou ses organisations collectives. Or, l’interpénétration de l’administration et du mouvement associatif montre combien cette approche recèle des risques de refermer davantage encore « le jeu », alors qu’au contraire il est impératif de l’ouvrir.
Une seconde possibilité existe. Elle consisterait à renforcer l’autonomie de la société civile en créant une organisation paritaire qui assumerait les missions de renfort du dialogue civil. Comme le fut le Commissariat du Plan à une époque, concernant les rapports entre la sphère publique et l’ensemble du corps social, une haute autorité du dialogue civil ou de la vie associative, aux moyens et aux compétences élargis, pourrait devenir le médiateur d’un renouveau des rapports entre les pouvoirs publics et les associations pour les rendre aptes à élaborer et porter ensemble les réponses aux défis démocratiques, civiques, économiques et sociaux des temps qui viennent.
Indépendante de l’appareil administratif, elle assurerait des missions d’observation, de promotion des bonnes pratiques, de médiation vis-à-vis des pouvoirs publics, de soutien à la structuration transversale d’un dialogue civil élargi, au développement de l’engagement bénévole et à la professionnalisation des associations. Elle aurait aussi un rôle de conseil et d’expertise auprès du gouvernement et du parlement sur des questions législatives et règlementaires. Son avis pourrait être obligatoirement sollicité dans l’ensemble des domaines concernant son champ de compétences.
Pour assurer son indépendance, nous pourrions imaginer que sa direction soit confiée à un conseil paritaire dont les membres seraient nommés respectivement par le mouvement associatif, le parlement et l’état. Pour limiter les risques de professionnalisation et d’institutionnalisation, les mandats seraient intuitu personae et non renouvelables. Les moyens de cette haute autorité seraient alloués sur la base d’une convention pluriannuelle d’objectifs, élaborée dans le cadre d’une large concertation entre les pouvoirs publics et le mouvement associatif (idéalement en lien avec la préparation de la conférence nationale de la vie associative). L’évaluation de son action serait faite par la Cour des comptes.
Cette haute autorité pourrait aussi assurer la gestion de politiques transversales et globales, comme par exemple le soutien à l’emploi associatif, l’accompagnement des associations ou le financement de la formation des bénévoles. Dotée d’une personnalité juridique, elle pourrait passer des accords avec les collectivités locales pour engager des programmes d’actions concertées sur les territoires. Elle aurait aussi la possibilité de lier des partenariats avec des entreprises et des universités sur des thèmes ou des actions précises.
Sa mise en place bien évidemment poserait la question de l’existence ou de l’évolution des fonctions remplies par des structures existantes telles que le Conseil national de la vie associative ou le Fonjep.
Cette seconde piste mérite d’être débattue. Si elle substitue une institution co-gérée à une rationalisation des négociations entre l’État et les organisations du mouvement associatif, elle permettrait de développer un nouvel espace où chaque partie pourra plus librement exprimer sa stratégie de manière autonome. Elle pourrait aussi servir de levier pour aider le mouvement associatif à susciter ses propres outils d’auto-régulation en substitution, par exemple, des dispositifs d’agrément. Si les avantages d’une telle formule sont incontestables, les nombreux exemples d’institutions co-gérées, comme par exemple dans le domaine agricole, doit nous alerter sur les risques possibles de sclérose qui guettent ce type de structure à long terme. Le meilleur moyen d’y répondre serait de les anticiper et les prendre en considération au moment de la mise en place de cette structure.
Quelque soit le sort fait à cette proposition, l’essentiel reste que le débat s’engage pour que notre pays mobilise cette immense ressource de changement et de réforme que recèle la société pour peu qu’on en libère les énergies. C’est une responsabilité que nous devons assumer aujourd’hui pour nous donner les moyens de faire face aux transformations futures dont la crise actuelle nous donne un aperçu partiel.