Cet article est issu de l'ancien site du collectif Pouvoir d'agir
Jean-Pierre Worms, sociologue et membre du Collectif Pouvoir d’Agir, ancien chercheur au CNRS et ancien parlementaire, est intervenu aux rencontres Convivialistes (http://www.lesconvivialistes.org) au théâtre de la Tempête (Paris) en Juin 2016. Voici une synthèse de l’intervention.
S’il est un sentiment facilement identifiable en ces temps mouvementés, il s’agit bien du sentiment d’urgence nourri par la désagrégation du tissu social sous le poids de logiques mortifères ainsi que la nécessité tout aussi pressante de réagir. Il semblerait, en effet, que la prophétie des Temps Modernes de Chaplin dépasse maintenant le simple cadre de la chaîne de montage de l’usine.
Le rythme effréné, la surexploitation des ressources ainsi que la logique de la division du travail ne concernent plus uniquement le travailleur à l’oeuvre mais sculptent aujourd’hui de nombreux domaines de vie et participent à la crise démocratique que nous traversons. Assurément, ce taylorisme sociétal éloigne l’individu de son environnement, de sa nature au sens large et donc de la conscience de soi, annulant aussi toute possibilité de conscience de groupe, décourageant ainsi pour beaucoup l’idée du pouvoir d’agir. Il s’opère d’ailleurs partout: – en matière écologique: la survie même de l’espèce est menacée par l’épuisement du vivant. – en matière économique: la surconsommation et l’obsolescence programmée, la spéculation et le surendettement laissent présager une crise financière sans précédent. – en matière sociale: l’écart toujours plus important entre les revenus menace directement l’intégrité du tissu social, surtout dans une société consumériste comme la notre où un revenu trop faible est synonyme d’arrêt de mort.
Cette frénésie dévastatrice est symptomatique d’un pouvoir politique impuissant, dont la légitimité est pleinement remise en cause. En d’autres termes, le contrat social paraît avoir échoué: l’Etat ne semble plus en mesure d’assurer ni justice ni cohésion sociale. Cette crise politique semble trouver ses causes dans une démocratie dont les fondements, le fonctionnement et la représentation sont nettement problématiques. En effet, notre modèle démocratique a d’abord mal vieilli: il s’est construit sur des espaces et des temporalités dépassés; la concentration du pouvoir dans l’Etat ne satisfait plus des acteurs qui sont maintenant beaucoup plus éclairés qu’au moment de la Révolution Française. Ensuite, notre démocratie ne peut également plus remporter l’adhésion des citoyens lorsqu’elle est incapable de qualité relationnelle de proximité, pressée par des moyens trop rares comme c’est le cas pour les collectivités locales. Enfin, le personnel politique lui-même, par sa consanguinité marquée, son attachement à ériger des questions triviales en faux enjeux cruciaux et sa théâtralité exacerbée par la complicité des médias, ne peut que provoquer la défiance des citoyens. Alors, quelle solution? Comme le conseille Gramsci, il faut opposer au pessimisme de l’intelligence l’optimisme de la volonté. Mais, attention, il ne s’agit pas simplement de belles déclarations d’intention, le passage à l’acte est impératif et urgent.
Il s’agit de prendre conscience du fait que chaque moment de crise est en fait une opportunité inouïe de renouveau. Il faut absolument reconnaître que le pouvoir d’agir des citoyens est capable de pallier à l’incompétence du pouvoir politique, la multiplication des initiatives en est la preuve. La richesse inestimable des citoyens réside en ceci qu’ils sont les seuls véritablement sur le terrain, les seuls capables de raisonner de manière empirique. Néanmoins, le développement de l’initiative citoyenne et du pouvoir d’agir se confronte à quelques problèmes majeurs: – Une crainte réelle d’aliéner sa liberté en participant à une forme d’organisation collective supérieure. – Le manque de visibilité médiatique. – Le découpage thématique (emploi, éducation, santé, etc…), renforcé par les différentes structures administratives, rend difficile la communication entre les différentes initiatives citoyennes et donc la mise en commun des ressources et des actions.
Pour remédier à cela, la réforme de la constitution, des institutions et procédures publiques ne sont pas des tâches qu’il est possible d’éviter. Il s’agit d’élaborer les moyens juridiques et institutionnels de mise en oeuvre de notre volonté de transformation sociale et les porter dans les débats politiques.
Retrouvez l’intégralité de l’intervention de Jean-Pierre Worms ici: jpworms-a-la-tempete