Projets en coopération

Comment placer les personnes concernées au cœur du système ? - « Coopérer : comprendre les obstacles pour agir »

Fondation de France
Et La Fonda, Réseau national des Maisons des associations (RNMA)
Lors des Rencontres « Coopérer : comprendre les obstacles pour agir », un échange entre pairs animé par Marion Ben Hammo a tenté de répondre à la question suivante : comment placer les personnes concernées au cœur du système ? Au cours de cet atelier, Richard Diot est revenu sur l’expérience de Point d’eau, une association grenobloise quioffre un accès à l’hygiène aux personnes sans domicile.

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Objectifs de l'atelier

  • Approfondir un des obstacles concrets à la coopération territoriale : l’engagement des personnes premières concernées par les problématiques auxquelles la coopération entend répondre
  • Croiser les points de vue et échanger ensemble pour identifier de bonnes pratiques et des leviers d’action

Qui sont les personnes concernées et comment s'engagent-elles ?

Commençons par définir qui sont les premiers concernés avec eux pour ne pas décider à leur place. Il n’y a pas une seule lecture évidente : on pense facilement à certains, tandis que d’autres restent invisibles. Cela peut créer une forme de hiérarchie : premiers concernés vs autres concernés vs tous concernés. 

Tout le monde ne se sait pas concerné : cela pose la question de la perception des impacts et des risques d’une problématique sur soi-même, ce qui n’est pas naturel. Il est donc important de créer des espaces de dialogue et de sensibilisation pour relier les personnes au sujet, questionner leur lien à celui-ci. 

L’accueil bienveillant est une porte d’entrée pour un engagement futur. Il évolue de plus en plus d’un engagement auprès d’un collectif ou d’une structure vers un engagement envers une cause. L’échelle locale ou microlocale est facilitante. 

Une attention doit être portée à l’institutionnalisation de l’engagement en France. Les formes d’engagement informelles, notamment dans les Quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), sont variées, souvent peu visibles, mais essentielles. 

La stigmatisation ou l’autostigmatisation peut empêcher de se sentir légitime à s’engager. Pourtant les « bénéficiaires » ou « usagers » peuvent eux-mêmes devenir bénévoles. Des freins sociaux existent également : temps disponible, charge parentale, problématiques de santé mentale, freins psychosociaux… 

Le rôle de la gouvernance pour considérer

C'est donc à la gouvernance de questionner et d'intégrer la place des personnes concernées. Cela nécessite du temps, minimum un an, et un processus de questionnement et d’ajustement permanent. 

Par exemple, Les Grandes Voisines ont transformé un « comité de coordination élargi » qui avait un rôle d'information en « comité de pilotage », ainsi qu’un « comité de participation » en « comité de projets ». À chaque étape, le pouvoir réel conféré à l’instance, son rôle et ses moyens d’agir ont évolué. Donner un réel pouvoir aux personnes/instances, soit les moyens d’agir et de transformer concrètement les choses, est indispensable pour engager. 

Les freins à l'engagement des personnes concernées

Plusieurs obstacles persistants ont été identifiés à commencer par le manque de temps et d’énergie. Les priorités des associations sont recentrées sur la survie, la recherche de fonds plutôt que sur l’engagement. 

Plus généralement, les acteurs rencontrent une crise de confiance : pourquoi s’engager si aucun moyen d’agir ou de transformer derrière ? 

Aussi, l’engagement se situe parfois en marge de la vie professionnelle. Les effets vécus au travail (absence de pouvoir, de moyens d’agir, de marge de manœuvre) compliquent l’engagement parallèle : il faut y croire. 

L’expérience de Point d’eau pour donner sa place à chacun

Il y a 15 ans, Point d’eau était porté par 5 salariés et de bénévoles âgés. Aujourd’hui, l’association rassemble 30 salariés et 200 bénévoles dont 1/3 de personnes concernées soit 180 personnes de la rue. L’évolution a commencé par lever les freins à la participation, soit « laisser faire », en confiance et autonomie. L’objectif partagé était qu’aucun projet ne soit lancé sans les personnes concernées. 

Les trois points d’ancrage de Point d’eau sont une bagagerie autogérée, un service civique jeunes en errance et un atelier cuisine. 

La bagagerie était initialement gérée par les salariés de l’association. Les vols étaient alors fréquents, la zone tendue, et la gestion chaotique. En confiant la gestion aux personnes de la rue, il n’y a plus eu aucun vol en 15 jours. La structuration a été spontanée et efficace, ce qui a été un déclencheur pour une philosophie plus générale : on teste, on fait confiance, ça marche, ce qui permet d’aller plus loin sur d’autres plans. Soit une politique des petits pas : une première preuve entraîne la suite. 

Le Service civique jeunes en errance part du constat que les 18-25 ans représentent 30 % du public. Six jeunes et leurs chiens ont donc été recrutés en service civique. Malgré des débuts chaotiques, deux d’entre eux sont aujourd’hui devenus travailleurs pairs salariés. 

L’atelier cuisine était quant à lui l'initiative d’un stagiaire. Il a proposé et lancé la démarche en autonomie, dans une cuisine annexe, sans budget. Progressivement, 40 personnes se sont rassemblées deux fois par semaine . Aujourd’hui, chaque repas convie un invité extérieur, ce qui a permis à Point d'eau de s’installer dans un réseau d’acteurs. 

L’atelier a même donné naissance au chantier d’insertion traiteur « Les Mets connus » qui propose des prestations pour entreprises et fondations. Cet autre positionnement est une vraie porte d’entrée différente sur Point d’eau que la recherche de subventions. La participation concrète ouvre donc des leviers financiers, logistiques et organisationnels. 

Pendant la crise liée au COVID-19, les bénévoles et personnes concernées se sont mobilisés pour maintenir l’accueil ouvert. De nouveaux services et ateliers ont été créés par les personnes elles-mêmes : couture, vélo, apprentissage du français. À noter que tous les ateliers sont animés par des personnes de la rue. 

Un collège des personnes concernées a été créé au sein du Conseil d’administration (CA) de Point d’eau. Une inclusion progressive au bureau de l’association est en cours et les statuts mis à jour en ce sens. 

Plus généralement, dans chaque action le modèle choisi est celui où la personne est partenaire, et non regardée comme à part, c’est-à-dire assise à côté, ou au centre comme « problème ». 

Les actions pour placer les personnes concernées au cœur du système font de Point d’eau une des rares associations à Grenoble à ne pas souffrir du manque de bénévoles. En effet, leur participation modifie l’équilibre entre bénévoles et salariés : la masse de bénévoles permet aux éducateurs de se recentrer sur leur cœur de métier. Ce modèle rencontre néanmoins des difficultés à se pérenniser. Quand Richard s’est absenté, l’équipe a dû reprendre l’activité de façon plus autonome, non sans difficulté. D’où l’intérêt de réfléchir à la codirection ou coprésidence. 

Des leviers pour agir

  • Nourrir l’espoir, la convivialité, la reconnaissance et la confiance
  • Accepter l’erreur qui fait avancer, soit prendre le risque que cela fonctionne
  • Travailler sur la pérennité de la participation des personnes : codirection, inscription dans les statuts, partages de responsabilités progressives, etc.

 

Conclusion : Au-delà de prévoir des instances de gouvernance adaptées et évolutives, 
penser la place des personnes concernées dans une coopération demande 
de ne pas brider la participation ni l’institutionnaliser en bloc. « Laisser faire », 
c’est permettre l’émergence d’initiatives spontanées. Cette forme d’apprentissage 
en marchant, basée sur la confiance et la considération, peut aussi être appliquée 
au niveau interstructures avec la notion d’« archipel territorial ». 

Ressource pour aller plus loin : Richard Diot, « Considération et participation des personnes accueillies à Point d’eau », Supplément Tribune Fonda « Coopérer : comprendre les obstacles pour agir », septembre 2025.

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Ce compte-rendu a été rédigé sur la base d’une prise de note de Camille Mauguier et d’une animation par Marion Ben Hammo. Il est mis à disposition sous la Licence Creative Commons CC BY-NC-SA 3.0 FR.


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