Cette note d'éclairage de la Fonda fait suite aux réflexions engagées lors de l'atelier « Associations et société civile » organisé lors de l'université de prospective de novembre 2011, et animé par Sophie Blampin (Coopaname), avec l’appui de Jacqueline Mengin (la Fonda), Joël Roman (Revue Esprit) et Nadia Bellaoui (Ligue de l'Enseignement).
S’il y a bien une dynamique de création d’associations, la proportion de membres d'associations dans la population ne progresse plus depuis 2002. Les associations informelles, adossées ou non à des réseaux sociaux sur le net, semblent être cependant plus nombreuses.
Faut-il parler d'une crise de l’institution associative traditionnelle? Faut-il imaginer des formes mieux adaptées à des individus plus exigeants, plus contraints et plus mobiles, géographiquement mais aussi dans leurs parcours de vie et professionnels ?
La diversité des formes d’engagement, notamment des formes plus éphémères, plus « événementielles », caractéristiques de l’engagement aujourd’hui, interpellent les acteurs associatifs.
Les besoins sociaux ne cessent de croître : 4,5 millions de chômeurs, 8,2 millions de pauvres, 3,6 millions de personnes mal-logées ou sans abri, 15 % de personnes contraintes de renoncer à des soins médicaux… Au-delà d’une reconnaissance par les pouvoirs publics, les associations, en particulier les associations de solidarité ont plus que jamais besoin de bénévoles. Mais ceux-ci semblent à la fois plus volatiles et plus exigeants.
L'engagement peut être intense, mais il reste subordonné à la trajectoire d'un individu qui ne s'efface jamais devant la cause à laquelle il adhère. On est passé de « l’individu anonyme » à «l’individu relationnel » pour qui la notion de plaisir, de reconnaissance et de développement personnel sont déterminantes pour motiver l’engagement.1
« Pour autant, observe Yannick Blanc, l’individualisme n’est pas une régression morale et ne signe pas le déclin irréversible de l’action collective, mais cette dernière ne peut prospérer qu’en tenant compte et en tirant parti des mutations qui affectent, depuis une trentaine d’année, les modalités et les formes des relations entre les individus, les groupes et les institutions […] Les associations, mieux que les entreprises ou les organisations publiques, peuvent être des laboratoires de la reconfiguration des individus dans leurs rapports aux institutions. L’association est la seule institution où s’exerce sans contrainte la liberté d’élaborer, y compris par essai et erreur, des règles d’action collective et de vivre ensemble »2 .
Le risque de l’élitisme associatif
Dans tous les scénarios, la tendance à la professionnalisation est forte : il peut s'agir de la prise du pouvoir par les cadres salariés de l'association mais aussi de l'autorité de compétence reconnue aux bénévoles les plus qualifiés parmi lesquels les retraités se retrouvent si souvent en position de dirigeant. D'où le risque d'un véritable élitisme associatif : « Non seulement la sociologie du bénévolat et de l’engagement associatif est beaucoup plus sélective qu’on ne le pense, mais le mouvement de professionnalisation du monde associatif en accélère la transformation », soulignent Denis Bernardeau-Moreau et Matthieu Hély3
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Pour les individus, l’engagement bénévole est l’occasion d’acquérir des compétences, distinctes des diplômes, des « choses qui s’apprennent, mais qui ne s’enseignent pas ». « De l’opposition au monde salarié et professionnel, on mesure plutôt aujourd’hui les synergies, non seulement parce que le statut d’actif ne s’oppose pas au bénévolat, bien au contraire, mais aussi parce que le rôle du bénévole tend à se spécialiser et à se professionnaliser tout en produisant des compétences spécifiques, transversales notamment. Ce qui justifie, souvent a posteriori, « l’intérêt » d’être bénévole. Pour les jeunes, particulièrement, le champ associatif, au risque de l’instrumentalisation, apparaît de plus en plus comme un espace de professionnalisation. Au double titre des responsabilités que l’on peut y exercer, mais aussi parce que le monde associatif offre désormais un vrai gisement d’emplois. »
Cette évolution est profondément ambivalente : d’un côté, les associations peuvent faire valoir ce qu’elles apportent à chacun dans son parcours de formation, de vie professionnelle, de vie tout court. Les réflexions ouvertes sur la qualité de l’emploi associatif et sur la gestion des ressources humaines bénévoles permettent d’envisager une montée en compétence des associations comme lieux de développement personnel.
Certaines entreprises, les plus innovantes en matière de ressources humaines, ne s’y trompent pas : elles encouragent l’engagement associatif de leurs salariés, externalisant ainsi l’épanouissement nécessaire à la productivité, mais que les exigences de la productivité ne permettent plus d’assurer à l’intérieur de l’entreprise.
En contrepartie, le risque est de voir se diluer le sens même de l’engagement, sa signification collective, sa dimension citoyenne, la raison d’être de l’association en tant que projet. Des associations réduites à être des lieux d’accueil pourraient sans doute répondre à des besoins sociaux, mais auraient alors renoncé à toute ambition de transformation sociale. Elles ne seraient plus que les supplétives de la société marchandisée.
Ce que les associations peuvent obtenir
La première parade à ce risque, c’est de remettre le projet associatif au centre de la vie de l’association, non seulement en le remettant régulièrement en chantier pour s’assurer de la vitalité et de sa pertinence mais surtout en veillant à ce qu’il soit lisible et accessible à toutes les parties prenantes de l’association.
Leur implication dans la construction du projet est sans doute le levier essentiel de reconnaissance et de respect des personnes : volontaires, salariés, bénévoles, bénéficiaires, exclus… Cette égalité dans la contribution au projet commun est ce qui distingue l’association de toutes les autres organisations publiques, professionnelles ou religieuses. C’est grâce à elle que l’engagement associatif prend toute sa dimension civique, c’est dans l’association que chaque personne, dans sa singularité, devient acteur du bien commun.
La vitalité du projet donne à l’association toute sa capacité de proposer et de construire mais aussi toute sa capacité d’indignation et de résistance.
Quelles actions mettre en œuvre ?
Avant tout, communiquer sur le projet associatif, sur les valeurs, les principes et les objectifs portés par l’association. Il s’agit de gagner en « clarté » vis-à-vis de l’ensemble des parties prenantes : usagers, adhérents, bénévoles, salariés, partenaires, bailleurs de fonds, médias, afin de susciter un engagement conscient et responsable. Au-delà de la réponse à des besoins sociaux et de la possibilité de tisser des liens, l’engagement collectif est un terreau pour acquérir des compétences techniques, des capacités organisationnelles, il peut avoir des effets de levier, sur l’individu, dans tous les domaines de vie, professionnel, scolaire, sociale, familiale, politique, … C’est aussi un lieu de pollinisation des connaissances.
« Il faut dire aux jeunes ‘’j’ai confiance en toi‘’, aux seniors ‘’j’ai besoin de toi ‘’, et aux générations intermédiaires : ‘’servez de passeurs !’’ »
Dominique Thierry, France Bénévolat
Pour concilier les objectifs de développement personnel avec l’objet social et l’action collective de l’association, par une écoute et une prise en compte des attentes des bénévoles, les dirigeants contribueront d’une part à rendre l’engagement plus ludique, plus épanouissant, et d’autre part à fidéliser les personnes et rendre l’action plus efficace.
Autrement dit, face aux enjeux de renouvellement qui traversent le monde associatif, un juste équilibre doit être recherché. Dominique Thierry, de France Bénévolat a très bien résumé les choses : « Il faut dire aux jeunes ‘’j’ai confiance en toi ‘’, aux seniors ‘’j’ai besoin de toi ‘’, et aux générations intermédiaires : ‘’ servez de passeurs !’’ »
Il faut montrer ce que signifie le sens civique de l’engagement associatif : on peut avoir prise sur les choses. Se fixer des objectifs dans le projet associatif, les situer dans un calendrier, évaluer les résultats et les effets de l’action entreprise reste encore le meilleur moyen de montrer que l’action collective donne à l’engagement de chacun un véritable effet de levier.
Enfin, pour consolider la force de résistance des associations et construire collectivement une capacité de mobilisation citoyenne, l’engagement est clairement au service d’une cause plutôt que d’une organisation, de la capacité d’indignation des citoyens, de la capacité de dire non, en créant des « vigies », en sensibilisant l’opinion à des sujets d’intérêt commun.
En renforçant la capacité de construire collectivement une mobilisation citoyenne, on se met à même de peser sur les pouvoirs publics. Au final, cette action, qui vise à renforcer l’engagement, croise en bien des points la problématique de la capacité des associations à construire des alliances avec d’autres acteurs de la société civile pour peser dans le débat public.
- 1Roger Sue et Jean-Michel Peter, « Intérêts d’être bénévole », 2011
- 2Yannick Blanc, « Les associations face à la reconfiguration des individus », dans la Tribune Fonda n°211
- 3Denis Bernardeau Moreau et Matthieu Hély, « La sphère de l’engagement associatif : un monde de plus en plus sélectif », La Vie des idées, 31 octobre 2007. ISSN : 2105-3030.