Une fondation qui connecte les initiatives
Les crises qui s’accélèrent renforcent la conviction qu’on n’agira pas sur une cause sans agir sur toutes les autres.
Mais les initiatives qui veulent bouger les lignes sont trop souvent limitées à un secteur d’intervention thématique, à un territoire, à un environnement institutionnel.
À partir de ce constat, la Fondation de France a fait l’hypothèse fin 2020 qu’elle pouvait être davantage qu’un financeur : un connecteur, pour provoquer des rencontres de pairs qui se méconnaissent et déboucher sur des collaborations voire des coopérations fertiles au long cours pour « Inventer demain »1.
24 associations ont été sélectionnées afin de rejoindre la communauté des « Acteurs clés de changement » (ACDC). À la promesse d’un soutien financier pluriannuel non fléché et d’un compagnonnage avec les bénévoles et les salariés de la fondation, s’ajoutait la proposition d’une dynamique collective dont les contours et les contenus seraient à co-construire, pour développer l’interconnaissance et la confiance.
Des rendez-vous réguliers pour construire des bases de réflexion commune
La dimension financière a sans surprise été chaleureusement accueillie. La proposition qui consiste à transformer une logique descendante d’accompagnement imposé en chemin de compagnonnage où associations et fondation apprennent ensemble a nécessité un moment d’apprivoisement mutuel. Enfin, la construction collective des perspectives de partage, de réflexion et de faire ensemble, a nécessité du temps et quelques détours.
Comment créer l’envie sans forcer le mariage ?
En sélectionnant les ACDC après des conversations approfondies, l’équipe de la Fondation de France avait quelques idées sur des problématiques partagées, des rencontres qu’elle imaginait fertiles. Dès les premiers échanges, elle a suggéré à certains de prendre contact entre eux, sans grand succès. Lorsque la fondation a pris en main la logistique de ces réunions, un pas supplémentaire a été franchi.
Mais s’impliquer outre mesure sur des rencontres bilatérales n’était ni dans l’esprit du programme ni réaliste en termes de temps à y dédier. L’énergie a été mise dans les temps de rencontre de l’ensemble du groupe. En 2021, des rendez-vous mensuels en ligne ont été organisés pour construire une vision commune de ce programme et de sa valeur ajoutée. Ces visioconférences ont permis de partager les actions, les ambitions et les manières de faire pour produire des transformations sociétales et discuter des enjeux transversaux qu’elles soulèvent.
À la fin de l’année, une cinquantaine de participants se sont retrouvés à Paris, sans bien savoir encore ce qu’ils faisaient là, mais soucieux de répondre à la demande du financeur. À l’issue de cette journée alternant temps d’interconnaissance et de co-développement, l’envie de construire ensemble était plus palpable et il est acté que le groupe se rassemblera deux fois chaque année pendant deux jours.
Entre ces moments de retrouvailles fédérateurs, des échanges maïeutiques sont organisés individuellement avec la coopérative Ellyx pour construire des bases de réflexion commune sur ce que signifie être un ACDC et porter une ambition de changement systémique.
Dès 2022, un groupe de travail réunit quelques ACDC volontaires autour de la culture comme vecteur d’émancipation. En 2023, Charlotte Dudignac, étudiante en design, modélise une « cartographie des relations » pour favoriser la prise de conscience des liens existants ou potentiels entre ACDC. Dans la foulée sont organisés des ateliers d’idéation sur des pistes de collaborations concrètes. Ce moment constitue un tournant dans la mise en œuvre de projets communs.
InSite et Yes We Camp : une illustration concrète de coopération entre ACDC
C’est ainsi que naissent les Chantiers conviviaux, menés par InSite et Yes We Camp. Ils incarnent la force du faire ensemble dans une rencontre entre ruralité et urbanité.
L’idée est simple : conjuguer l’ancrage local d’InSite, qui accompagne la revitalisation des villages avec son programme de volontariat rural2, avec le savoir-faire opérationnel de Yes We Camp, spécialiste de la mise en œuvre de grands chantiers collectifs et d’espaces communs ouverts3.
InSite repère les villages où l’aménagement d’un espace commun peut avoir un impact fort et mobilise une communauté volontaire. Puis Yes We Camp apporte ses savoirs pour guider la réalisation concrète et l’animation conviviale.
L’hybridation de ces deux modes d’action permet un effet démultiplicateur : en un temps court, des dynamiques collectives émergent, porteuses de transformations durables.
Si les secteurs d’intervention respectifs des deux associations ne laissaient pas présager une collaboration spontanée, plusieurs facteurs ont favorisé la conduite d’un tel projet en commun :
- un ADN commun centré sur la convivialité, les coopérations et les expérimentations ;
- les animations organisées par la Fondation de France pour faire émerger des projets communs ;
- et enfin, des affinités interpersonnelles renforcées par les séminaires biannuels du programme.
En juin 2025, la collaboration entre Yes We Camp, InSite et la commune de Vinzieux a pris une forme très concrète. Le projet, approprié et co-construit avec les élus, a su s’adapter aux réalités du territoire, en s’appuyant sur les dynamiques locales existantes.
Pendant une semaine, un chantier participatif a rassemblé une centaine de personnes — soit 20 % de la population du village — mêlant habitants, habitantes, jeunes issus de quartiers prioritaires accompagnés par la mission locale, bénévoles venus de grandes métropoles et volontaires en service civique mobilisés via InSite.
Ensemble, ils ont aménagé une nouvelle place publique à mi-chemin entre deux villages séparés par une colline, mettant en valeur le sentier qui les relie. Ce nouvel espace, composé de tables de pique-nique, d’une petite scène et d’un coin détente, est devenu un véritable trait d’union, à la fois physique et symbolique, entre les deux communes.
Cinq-cents heures de bénévolat ont été mobilisées, avec 20 à 30 personnes se relayant chaque jour entre construction et préparation collective des repas. Chaque soir, chacun et chacune pouvait apporter ses grillades ou ses spécialités, et l’on chantait, dansait, partageait. L’inauguration, le jour du solstice, s’est faite en fanfare : un véritable rite d’activation collective.
L’altérité est au cœur de la démarche : des personnes venues de milieux sociaux différents — de villages, de banlieues, de grandes villes —, d’âges et de cultures variées, se retrouvent, échangent, coopèrent.
Cette richesse nourrit les regards, les pratiques, les imaginaires. Et les élus locaux, en s’impliquant concrètement, montrent que la co-construction est possible et souhaitée.
Avec une frugalité assumée, en mobilisant des ressources locales — matériaux de récupération, approvisionnements en circuits courts, programmation culturelle issue des initiatives locales —, le chantier a semé des graines de vivre-ensemble, de pouvoir d’agir, de commun. Cette expérimentation a prouvé que c’était possible et reproductible à peu de frais. D
ans l’action, Yes We Camp et InSite ont pu observer et s’acculturer à leurs façons respectives de faire équipe, de décider, de mobiliser : une hybridation fluide, germe de transformations mutuelles plus profondes et durables.
- 1
Lire à ce sujet Axelle Davezac et Yannick Blanc, « Face à des problèmes complexes, nous devons apprendre à faire ensemble. », Tribune Fonda n°257, mars 2023.
- 2
Hannah Olivetti, « Le volontariat rural : un engagement pour le vivre-ensemble », Tribune Fonda n°266, juin 2025.
- 3
Par exemple, « Bercy-Charenton, créer des communs urbains », à retrouver dans la Tribune Fonda n°252 « L’inclusion comme horizon », parue en décembre 2021.