Engagement

Une recherche action pour faciliter les engagements des jeunes occitans

Tribune Fonda N°261 - Engagements des jeunes : encadrer ou accompagner ? - Mars 2024
Stéphanie Bost
Stéphanie Bost
Et Marianne Loiseau-Nail
En 2022, le CRAJEP Occitanie et Trait d’Union ont lancé la recherche-action participative « Dynamisation et facilitation des engagements des jeunes en Occitanie » qui a impliquée des acteurs du monde associatif, mais aussi des pouvoirs publics et de la recherche. Partant des pratiques de jeunes engagés au sein de structures d’éducation populaire de la région, l’étude explore les causes et les conséquences de l’engagement pour les jeunes les plus vulnérables, ceux qui sont par ailleurs les plus éloignés des dispositifs d’engagement dits « classiques ». La recherche-action a rendu ses résultats fin 2023, en y intégrant des préconisations pour l’ensemble des acteurs jeunesse.
Une recherche action pour faciliter les engagements des jeunes occitans
Le 2 juin 2023, exposition photographique photographique coproduite Trait d’Union/CRAJEP sur l’engagement des jeunes. © CRAJEP Occitanie/Trait d’union

Comprendre l'engagement des jeunes en difficultés 

Le Comité régional des associations de jeunesse et d’éducation populaire (CRAJEP) Occitanie a été sollicité fin 2021 par le commissaire à la lutte contre la pauvreté Éric Pélisson pour conduire une réflexion sur l’engagement des jeunes en difficulté, les plus éloignés des dispositifs d’engagement. 

« Dans un contexte de crise sanitaire, de montée de la précarité des jeunes et de multiples crises, l’enjeu avait déjà été identifié par les différentes associations composant le Comité régional »1 , se remémore Marianne Loiseau-Nail, directrice du CRAJEP Occitanie de 2013 à 2023. 

Les associations membres du CRAJEP ont vu dans cette commande l’opportunité d’interroger leurs pratiques d’acteurs associatifs, mais aussi de faire évoluer les politiques publiques en matière d’engagement des jeunes. 

À terme, il s’agissait aussi de permettre à tous les jeunes de s’engager. Pour Marianne Loiseau-Nail, « certains jeunes ont des freins à l’engagement, qu’ils soient socio-économiques ou autres. Nous voulions identifier des leviers pour les lever. » 

En avril 2022, le CRAJEP Occitanie contacte le dispositif Trait d’Union2  à la Maison des sciences de l’Homme (MSH) de Montpellier pour être accompagné dans cette démarche de recherche-action3

« C’était la première fois que le CRAJEP s’engageait dans ce type de recherche participative », précise Marianne Loiseau-Nail, « nous avions besoin d’un appui méthodologique et d’une mise en relation avec le monde académique. » Stéphanie Bost, coordonnatrice du dispositif, a porté cet accompagnement. Le CRAJEP et Trait d’Union ont ainsi établi ensemble le calendrier et les actions à mener, dont le recrutement d’un chargé d’étude en octobre 2022 et la commande d’un état de l’art à Coop’Eskemm. 

11 dispositifs innovants étudiés 

À partir de janvier 2023, une dizaine d’actions innovantes en direction de jeunes éloignés ont été identifiées au sein d’associations membres du CRAJEP. Les jeunes éloignés des dispositifs d’engagement relevaient de problématiques diverses : des jeunes réfugiés, en situation de handicap, issus de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), non insérés ou précaires. 

L’étude de ces dispositifs innovants s’est décomposée en trois temps : onze auditions avec les responsables des dispositifs étudiés, quatre focus groups4  avec des jeunes impliqués et un questionnaire adressé à ces mêmes jeunes. 

Cette dernière action n’a malheureusement pas été concluante : seuls neuf jeunes ont répondu au questionnaire sur une cinquantaine de jeunes ciblés, rendant ces résultats difficilement exploitables. 

En parallèle, le chargé d’études Thomas Michelet a réalisé six auditions de partenaires publics5  et quatre auditions de structures en prise avec les publics jeunes et/ou en situation de précarité, qui ne sont pas des associations de jeunesse et d’éducation populaire (AJEP)6

Une recherche collaborative 

Toujours dans cette démarche de croisement des regards, trois espaces de travail ont été créés. « Nous voulions nous adosser à un parterre d’acteurs engagés eux-mêmes sur toutes ces questions, avec des représentants du monde académique, des institutions et des associations », précise Stéphanie Bost, coordinatrice de Trait d’Union. 

Le comité de pilotage institutionnel était composé du commanditaire Éric Pélisson, mais aussi de représentants de la Délégation régionale académique à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (DRAJES) Occitanie, de l’INJEP et du CRAJEP. 

Le comité de pilotage a été complété d’un comité de suivi interne, composé d’associations membres du CRAJEP impliquées dans la démarche, et d’un comité scientifique avec des chercheurs au niveau national et au niveau local, des cabinets d’étude ou des institutions publiques de recherche. 

Un engagement qui ne se dit pas  

Premier résultat de l’enquête : les engagements des jeunes vulnérables en Occitanie s’inscrivent dans les territoires de vie de ces jeunes et prennent des formes plus informelles. « Ces engagements se situent véritablement à la marge, voire en opposition avec les pouvoirs publics », remarque Marianne Loiseau-Nail. 

La recherche-action a également mis en avant qu’une partie des jeunes Occitans sont totalement exclus des espaces et dispositifs d’engagement, car ceux-ci ne sont pas adaptés à leurs aspirations, besoins ou réalités. 

Selon Stéphanie Bost, « la notion de dégagement d’Alain Vulbeau7  nous semble sur ce point particulièrement éclairante : une partie de la population se situe hors du champ civique et politique, ce qui entraine une méfiance de la part des pouvoirs publics par rapport à ces jeunes ». 

Des visions divergentes de l'engagement 

L’enquête a également mis en lumière l’absence de définition consensuelle de l’engagement, avec des points de vue différents en fonction des acteurs. Les jeunes interrogés s’engagent pour être acteurs et transformer la société. Dans un cadre associatif, ils développent une citoyenneté choisie. 

Dans l’ouvrage L’engagement des jeunes en difficulté, Valérie Becquet et Martin Goyette avaient déjà remarqué que « les jeunes s’engagent pour tenter de répondre aux maux qu’ils identifient dans la société »8 . L’un des dispositifs étudiés est à ce sujet éclairant : les Kolocations à projet solidaire (KAPS) de l’Afev. Ces colocations à loyer modéré accueillent des jeunes étudiants ou en service civique au coeur d’un quartier populaire. Les jeunes colocataires s’engagent à y mener des projets collectifs s’intégrant dans la vie du quartier. 

Comme le rappelle la coordinatrice des KAPS Elza Mouret, « le fait que [les jeunes] accordent trois à cinq heures par semaine au quartier dans lequel ils vivent [leur ouvre] des perspectives sur différentes choses, notamment sur la vision de l’engagement et de son impact. »9  Le focus group réalisé avec les jeunes en KAPS a révélé un collectif investi et une vraie volonté de faire « bouger le quartier »10

Une partie des jeunes Occitans sont totalement exclus des espaces et dispositifs d’engagement.

Pour les acteurs associatifs interrogés, l’engagement est en effet un acte citoyen, mais il présente aussi une dimension consumériste ou utilitariste, car il permet aux jeunes de se responsabiliser. Enfin l’engagement est vu par les partenaires institutionnels comme l’une des conditions du bien vivre et du bien commun. 

Les interactions entre engagement et précarité 

Autre apprentissage de l’étude : une tension forte s’observe entre engagement et précarité. Pour que les jeunes s’engagent, il faut d’abord répondre à leurs besoins primaires, dont le logement, l’alimentation ou la santé. 

Plusieurs coordonnateurs de dispositifs interrogés ont par exemple mis en avant la difficulté pour des jeunes de s’engager dans des dispositifs où ils sont peu indemnisés alors qu’ils pourraient obtenir une meilleure gratification avec des petits boulots payés au SMIC11

Pour que les jeunes s’engagent, il faut d’abord répondre à leurs besoins primaires.

L’étude du dispositif Volont’R de la Ligue de l’enseignement corrobore cette hypothèse. Le dispositif accompagne environ quinze jeunes réfugiés par an dans la réalisation d’un service civique. Les jeunes mobilisés sont confrontés à d’importantes contraintes économiques, du fait de leur arrivée récente en France. 

Caroline Dutaut, coordinatrice de Volont’R le rappelle : ils préfèrent souvent « effectuer un travail au SMIC type magasinier plutôt que de toucher uniquement 600 euros en service civique, ce qui n’est pas suffisant pour vivre et subvenir à leurs besoins. »12

 Néanmoins, ces freins ne sont pas conscientisés en ces termes par les jeunes. En effet, aucun des entretiens réalisés avec les jeunes n’a fait remonter de tels éléments de discours. 

L’engagement peut par ailleurs aussi être un vecteur d’accès à des droits et à un statut. Lorsqu’il est interrogé pour l’étude, Nicolas Remond, directeur de Pôle engagement, jeunesse et vie associative de la DRAJES Occitanie, défend ainsi que « l’engagement concourt à l’insertion […] cela a une action positive sur la lutte contre la pauvreté et la précarité. » 13  Cette réflexion est à mettre en lien avec une tendance émergente d’injonction à l’engagement. 

Extrait de l’exposition photographique coproduite Trait d’Union/CRAJEP. © CRAJEP Occitanie/Trait d’union

L’injonction à l'engagement  

Dérive des politiques publiques mêlant engagement et insertion professionnelle, une injonction à l’engagement est observée en Occitanie. Le Service national universel (SNU), mais aussi dans une certaine mesure le Service civique, sont des dispositifs où se développent une confusion entre un engagement individuel au service d’un collectif et une démarche utilitaire au sein d’un collectif. 

Le directeur du site de Montpellier Hérault, CRIJ Occitanie, Pierre Guyomar déclare même dans l’étude : « le SNU est une pure injonction à l’engagement avec l’idée qu’on est un bon citoyen quand on s’engage. [...] Plutôt que des dispositifs de ce type, il y a un réel besoin d’éducation à la citoyenneté et à la politique pour les jeunes. »14

Dans le cadre de cette enquête, trois visées distinctes de l’engagement des jeunes ont été identifiées : la visée utilisatrice, la visée utilité sociale et la visée émancipatrice. « Cette visée émancipatrice est par ailleurs moins conscientisée par les jeunes », précise Marianne Loiseau-Nail. 

L’évolution terminologique d’un engagement qui serait forcément profession- nalisant crée une confusion pour les acteurs de l’engagement, pour les acteurs publics, mais aussi pour les jeunes eux-mêmes. 

Nombre de coordonnateurs de dispositifs ont mis en avant des difficultés significatives liées aux représentations des encadrants et des professionnels mobilisés auprès des jeunes. Pour Vanessa Lefrère de la Ligue de l’enseignement, l’une des responsables associatives interrogées, « certains professionnels sont uniquement centrés sur l’insertion, [...] le professionnel manque de culture de l’engagement »15

Le flou engendré par des dispositifs type Service civique, où les jeunes ont souvent l’impression d’être des professionnels « au rabais », les empêche de se projeter dans un parcours d’engagement. Plusieurs préconisations pour limiter cette confusion sont présentées à la fin du rapport16 , s’adressant autant au monde associatif qu’aux pouvoirs publics. 

Une diffusion nationale en 2024  

La version définitive du rapport paraîtra en 2024, accompagnée d’une exposition photographique coproduite Trait d’Union/CRAJEP sur l’engagement des jeunes et ses multiples dimensions. Les résultats ont par ailleurs été restitués lors d’une journée régionale le 2 juin 2023 à l’Université de Perpignan Via Domitia, mais aussi au Conseil économique, social et environnemental régional d’Occitanie au mois d’avril. 

Les acteurs de la jeunesse et de l’éducation ont tout intérêt à s’interroger sur leurs publics.

Stéphanie Bost espère que cette recherche-action fera tache d’huile : « nous avons prouvé que les acteurs de la jeunesse et de l’éducation ont tout intérêt à s’interroger sur les publics qu’ils touchent, sur les territoires où ils sont mobilisés et à se faire accompagner par le monde académique dans cette réflexion ».

  • 1Marianne Loiseau-Nail et Thomas Michelet, « Recherche-action sur l’engagement des jeunes en Occitanie », Journée de bilan et perspectives, Canal-U, [en ligne].
  • 2Trait d’Union est un dispositif similaire à une Boutique des Sciences qui favorise la coopération entre les acteurs locaux (notamment associatifs) et la communauté scientifique pour ancrer les recherches dans le territoire et favoriser une transition écologique et sociale en Région Occitanie.
  • 3Lire à ce sujet Raphaëlle Anginot, Florence Belaën, Hélène Chauveau, Cyril Fiorini, Julien Mary, Glen Millot, Pascale Moity-Maïzi et Mathieu Thomas, « Le renouveau des Boutiques des Sciences en pratiques et en question : focus sur deux dispositifs territorialisés à l’interface Sciences-Société », Technologie et innovation n° 7, 2022, [en ligne].
  • 4 
  • 5Les partenaires publics auditionnés dans le cadre de l’enquête « Dynamisation et facilitation des engagements des jeunes en Occitanie » sont Éric Pélisson, Commissaire à la prévention et à la lutte contre la pauvreté, la DRAJES Occitanie, le Conseil régional Occitanie et les Conseils départementaux de l’Aude, de l’Hérault et de la Haute-Garonne.
  • 6Les partenaires associatifs auditionnés sont le Centre régional de l’information jeunesse (CRIJ), Occitanie, l’Association régionale des missions locales (ARML) Occitanie, ATD Quart Monde et le Groupe régional animation initiation nature environnement (GRAINE) Occitanie.
  • 7 
  • 8Valérie Becquet et Martin Goyette, « L’engagement des jeunes en difficulté », Sociétés et jeunesses en difficulté n° 14, 2014, [en ligne].
  • 9CRAJEP, Dynamisation et facilitation des engagements des jeunes en Occitanie, 2023.
  • 10CRAJEP, Ibid.
  • 11Au 1er janvier 2024, le montant du Smic s’élève à 1 766,92 € brut par mois, soit 1 398,69 € net pour 35 heures hebdomadaires. À la même date, l’indemnité nette perçue par les volontaires en Service civique est de 504,98 €.
  • 12CRAJEP, Ibid.
  • 13CRAJEP, Ibid.
  • 14CRAJEP, Ibid.
  • 15CRAJEP, Ibid.
  • 16CRAJEP, Ibid.
Outils et ressources utiles