Les propos de Marie-Aleth Grard ont été recueillis par Marie-Christine Combes et Jacques-André Pill.
La rédaction. Quelle est l’origine du projet « Territoires zéro chômeur de longue durée » initié par ATD Quart Monde ? Comment s’articule-t-il ?
Marie-Aleth Grard. ATD Quart Monde part du postulat que nul n’est inemployable. Nous voulons éradiquer le chômage de longue durée, afin de redonner un vrai espoir à ceux qui sont éloignés de l’emploi depuis longtemps. Dès lors, il s’agit de rencontrer les personnes loin de l’emploi sur un territoire, comprendre leurs projets, leurs envies, c’est vraiment cela à la base.
Ce projet suscite beaucoup d’enthousiasme mais nous entendons souvent qu’il faut aller vite. Or, nous, nous voulons prendre le temps et cela nécessite d’être exhaustifs sur le recensement de personnes en recherche d’emplois, sans avoir de priorités, d’où cette exhaustivité nécessaire à la mise en œuvre de ce projet.
Si à long terme, cette proposition a une envergure nationale, elle s’inscrit d’abord dans une dynamique de petits territoires qui feront le choix politique d’opter pour une organisation économique n’excluant personne : ainsi, à l’échelle d’un territoire (commune, communauté de communes, quartier), il s’agit de proposer à toutes les personnes privées durablement d’emploi (depuis plus d’un an) et qui le souhaitent, un emploi en contrat à durée indéterminée au Smic, à temps choisi, et adapté à ses compétences, ses envies.
Concrètement, sur un territoire donné où sont recensées des personnes, chaque personne rencontrée exprime son projet, ses envies, sa formation. Parallèlement une prospection est faite sur le territoire concerné de façon à mettre en évidence de façon exhaustive ici aussi les manques sur ce territoire, les travaux non faits et qui se trouveront en adéquation avec les aptitudes des individus rencontrés.
À ce sujet, nous avons rencontré en particulier les agriculteurs et les artisans, lesquels ont montré leur intérêt pour cette expérimentation parce que cela correspond à leurs besoins. C’est toute la finesse du projet : on reste sur des territoires délimités permettant la rencontre de besoins croisés. C’est le travail du chef de projet sur le territoire.
Cette activité se structurera autour d’entreprises conventionnées, à créer ou existantes, à but d’emploi et non lucratives. Le directeur de cette société à but d’emploi va gérer la rencontre entre besoins et compétences, et l’accompagnement des personnes. On est assez avancé sur cinq territoires ruraux.
Ainsi, il sera proposé via l’entreprise conventionnée par le dispositif un CDI payé au Smic horaire, à temps choisi, et bénéficiant d’un accompagnement sur douze à dix-huit mois. Parce que lorsque vous avez été éloigné de l’emploi durablement, vous avez souvent perdu les repères nécessaires à une reprise d’un travail en continu.
Quels types de territoires sont concernés ?
Et quels sont les partenaires associés ?
Ce sera – et c’est déjà – expérimenté sur cinq territoires ruraux et il y aura sans doute cinq territoires urbains. Dans ces derniers, il s’agit de délimiter des quartiers où les besoins sont les plus criants. C’est un travail de proximité. Il sera très intéressant de voir avec les municipalités comment approcher d’autres publics. Dans les territoires ruraux où l’expérimentation est la plus avancée, il s’avère qu’il y a un énorme manque de main-d’œuvre dans des secteurs d’activité autour d’entretien agricole, horticole, de livraisons, de soutiens à des artisans ou agriculteurs. Dans la Nièvre, le changement d’étiquette politique n’a pas nui à la poursuite de l’expérimentation. Il y a consensus prouvant un intérêt véritable au-delà des clivages politiques. Pour ce qui est des partenaires associés, il s’agit de mobiliser les entreprises, les agriculteurs, les artisans, les commerçants, toute l’activité économique du territoire, les institutions mais aussi les particuliers.
Ce projet doit s’inscrire dans un cadre légal. Quel est-il ?
Le cadre de la loi de 2003 autorise les collectivités à expérimenter en dérogeant à la législation en vigueur car son financement impliquera la réorientation de certaines dépenses publiques dont l’affectation est réglementée. Il faut pour cela définir le cadre dans lequel s’inscrit cette expérimentation, ce qui nécessite le vote d’une loi d’expérimentation. Celle-ci s’est faite à l’initiative du député Laurent Grandguillaume qui a porté ce projet « Territoires zéro chômeur de longue durée» à l’Assemblée nationale et a reçu, fait notable, l’assentiment de la totalité des députés ainsi que de leurs collègues du Sénat, à une exception près. Le député a fait passer le message que l’intérêt était pour tous, que c’était le commun que nous avions à porter pour éradiquer le chômage. Et le projet a été voté et les décrets d’application sont en cours de parution.
Que représente ce projet en termes financiers ?
L’étude menée par Patrick Valentin (initiateur du projet à ATD Quart Monde) a amené au constat que, grossièrement, le coût de chômage de longue durée est de l’ordre de 15 000 euros par individu concerné et par an. Il a été proposé de verser cette somme de 15 000 euros, économisée en indemnisation-chômage par cette expérimentation, à l’entreprise conventionnée qui rémunérera la personne embauchée.
C’est donc une rétribution par la collectivité publique. L’entreprise conventionnée est une entreprise « à but d’emploi », qui aura pour tâche de mettre en relation les demandeurs d’emploi et les entreprises classiques, et d’accompagner les nouveaux recrutés. Globalement il est estimé que 3 000 personnes bénéficieront de l’expérimentation, ce qui met la contribution de l’État sur les cinq années du projet à environ 45 millions d’euros.
L’État fera une première évaluation des réalisations en fin de première année d’expérimentation puis une seconde un an avant le terme de cinq ans. Cette évaluation sera menée par l’équipe nationale du projet qui regroupe les responsables des dix territoires ainsi que des représentants de l’État.
Pouvez-vous préciser la question de l’accompagnement ?
Comme de la capacité de l’employeur ?
Il s’agit en premier lieu de bien comprendre les envies, les projets de la personne, d’être certain de son désir de s’inscrire dans cette démarche. Ensuite, les personnes seront accompagnées dans l’entreprise, ce sera là important de soutenir pour qu’elles arrivent à durer dans leur emploi. Les chefs de projet ont tous une sensibilité pour l’accompagnement de personnes mais c’est un travail fin et quotidien, surtout durant la première année. Cette approche rentre dans l’objectif d’ATD Quart Monde de ne laisser personne sur le bord du chemin. Un travail de formation est ainsi prévu pour les chefs d’entreprises qui seront confrontés à des gens éloignés de l’emploi depuis longtemps.
Pour conclure, disons que ce projet arrive à temps, on le voit dans les territoires ruraux où l’on constate des situations très difficiles au point que des gens se cachent parce que désespérés. Il faut donc mettre toute l’énergie pour aller à leur rencontre. Nous n’avons pas le droit à l’erreur. Les conditions de réussite tiennent entre autres à la ré-allocation des ressources affectées à la gestion actuelle du chômage. Ces sommes ne doivent pas être absorbées par l’économie actuelle, à travers des effets d’aubaine. Il faut assurer cette étanchéité pour la réussite parfaite du projet.
Ce qui est également important, c’est que, sur le terrain, les territoires échangent sur l’avancement de leurs travaux, de leurs expériences afin d’améliorer les méthodes et atteindre les objectifs. Et puis le but c’est bien d’éradiquer le chômage de longue durée sur les territoires.