L’idéal d’une société inclusive s’est largement imposé dans les discours. Il se positionne implicitement comme une réponse à son contraire : une société qui produit de l’exclusion. Face à la crise économique, le concept d’inclusion apparaît ainsi comme une solution idoine pour préserver la cohésion sociale.
Si le concept d’inclusion est fortement relié à la question économique, il ne s’y résume pas1 . Sa dimension sociale interroge tout autant les associations que les entreprises.
L’objet de cet article est de voir en quoi la société inclusive dialogue avec les valeurs du monde associatif et quels peuvent être les enseignements qui résultent de cet échange.
Un concept ambivalent
En matière d’inclusion, une double lecture est possible. La première s’inscrit dans une authentique préoccupation sociale. Elle fait le constat que l’obtention de droits politiques ne signifie pas en soi l’égalité des droits. Elle renvoie en cela à l’histoire des luttes sociales et à la défense d’une citoyenneté sociale. Cette approche suppose une réflexion sur les capabilités et sur les logiques d’empowerment2 .
Elle passe par une attention aux usages, à la nature des dispositifs d’accès aux droits et au besoin d’accompagnement. Sur tous ces aspects, les associations font preuve quotidiennement d’un grand savoir-faire et bénéficient d’une longue expérience. Avec cette lecture, l’inclusivité se présente comme un processus permettant de garantir à tous l’accès à des droits jugés fondamentaux et de favoriser l’avènement d’une société sans privilèges, exclusivités et exclusions3 .
Dans une deuxième lecture, la société inclusive se conjugue avec une promesse d’égalité des chances. Dès lors, un certain nombre de décentrements s’opère qui se traduit par des changements en matière de politiques publiques, notamment sur le terrain de la lutte contre la pauvreté4 .
Tout d’abord, l’attention n’est plus portée sur la personne protégée, mais sur son statut de sujet de droits.
L’ambition première est d’adapter le cadre de vie commun à la personne vulnérable (et non l’inverse). Cela se traduit concrètement par un soutien moins affirmé aux institutions spécialisées et l’orientation des publics vers le milieu ordinaire.
On passe alors d’une approche fondée sur la défense de collectifs à une approche beaucoup plus individualiste. Dans ce contexte, l’inclusion a tendance à valoriser le libre arbitre d’un individu placé seul au centre de l’échiquier. Elle augure de ce fait un possible affaiblissement de la fonction de médiation des associations.
L’ambivalence du concept de société inclusive plaide pour une analyse critique. En effet, le discours sur l’inclusion sociale en cache souvent un autre, qui est celui de la responsabilisation de tous dans un univers de compétition.
Ce dernier est porteur d’une injonction à s’adapter et voit dans le modèle inclusif le moyen de se défaire d’un modèle basé sur la réparation5 . Les apports d’une réflexion autour de l’inclusivité pour les associations sont donc à moduler selon les deux niveaux de lecture.
Les apports d'une réflexion autour de l'inclusivité
Sur la première lecture, les approches en matière d’inclusivité sont porteuses d’avancées sensibles en matière d’émancipation et elles peuvent faire l’objet d’enseignements riches pour les associations. À ce titre, trois perspectives d’action nous semblent importantes6 .
— L’ouverture à tous
La société inclusive se présente principalement comme l’ouverture à tous du milieu ordinaire. La transposition de cette idée dans le champ associatif est intéressante. Elle peut constituer le point de départ d’une réflexion sur le projet associatif et sur sa capacité à rassembler aussi largement que possible tous les acteurs concernés. Cela passe par s'interroger sur ceux qui sont présents et ceux qui sont absents dans les prises de décision et de pilotage.
Ce peut être l’occasion d’un retour réflexif sur les différents moyens mis en œuvre pour lutter contre les formes d’exclusion et sur les biais induits par l’institutionnalisation de publics ciblés et le traitement technique et spécialisé qui peut en découler. Cela passe également par un engagement dans un processus d’amélioration continue qui vise à faciliter l’entrée de tous les publics dans la vie associative. Un tel processus se prépare. Il suppose une analyse précise de l’environnement des acteurs : la famille, les institutions,
les dispositifs mis à disposition.
— Le refus des discriminations
Les politiques d’inclusion sont une rupture bienvenue avec les formes de stigmatisation qui ont pu historiquement s’exercer. La société inclusive tend à conjuguer la lutte contre les inégalités sociales et la lutte contre les discriminations. Il s’agit de prévenir la naturalisation des différences de genre, d’origine ethnique, de handicap, d’âge.
Une association citoyenne ne peut faire l’économie d’une attention à la place offerte à chacun des membres. Comment faire pour que chacun(e) puisse exprimer pleinement sa personnalité et son identité ? Comment valoriser tous les savoir-faire et tous les savoir-être ? Comment offrir un cadre bienveillant et convivial à chacun(e) ?
— Une gouvernance inclusive
Les questions de gouvernance sont de plus en plus au cœur des préoccupations du monde associatif. Concernant les processus d’inclusivité, il s’agit de comprendre comment le formalisme d’un dispositif de gouvernance peut rebuter les personnes les plus éloignées de l’action publique. La question cruciale qui est posée est de ne pas diviser le monde entre « ceux qui donnent sans recevoir et ceux qui reçoivent sans rien donner »7 .
Dans une logique d’entraide mutuelle, il s’agit d’appuyer l’action sur une solidarité démocratique et sur une réciprocité à vocation égalitaire. Une telle logique peut se construire à l’échelle d’un territoire organisé autour d’espaces publics de proximité8 .
Elle vise à améliorer l’accueil de toutes les personnes concernées dans les instances de gouvernance, à favoriser leur prise de parole, à valoriser leur contribution et à faciliter leur parcours.
Peut-on sortir de l'ambivalence ?
Sur la deuxième lecture du concept d’inclusion, le système institutionnel et le champ associatif sont interrogés dans leurs fondements. L’ouverture à tous du milieu ordinaire soulève en effet de nombreuses questions.
Comment éviter que cette ouverture se fasse au prix d’un manque de reconnaissance et d’une détérioration de la prise en charge des personnes? Comment préserver la filière des établissements et services spécialisés associatifs dès lors que l’on réduit significativement leur financement?
La prudence est certainement requise. Les personnes en grande dépendance (ou soumises à des situations de polyhandicap) continueront d’avoir besoin d’un accompagnement dédié. Elles ne doivent pas être les oubliées du changement d’orientation.
On peut craindre également que les stratégies d’inclusion en viennent à se déployer au détriment des intérêts de ceux qui luttent précisément pour être reconnus dans leurs différences. Un risque sous-jacent existe d’établir de facto une hiérarchie des inclus et de faire peser sur les acteurs eux-mêmes les éventuels mauvais résultats en matière d’inclusion9 .
Tout l’enjeu est donc de savoir comment on peut mesurer les résultats d’une politique d’inclusion : sur quels critères faut-il se baser ? Qui peut définir les critères retenus ? Quels pouvoirs doit-on conférer aux personnes concernées pour modifier, amender les critères proposés ?
Cela fait dire à Weil-Dubuc qu’à défaut de viser une société inclusive, il vaudrait sans doute mieux défendre une société non exclusive.
En conclusion, les perspectives ouvertes par le projet d’une société inclusive sont contrastées pour les associations. D’un côté, on peut espérer dessiner les contours d’une association ouverte à tous, non discriminante, et dont le pouvoir est équitablement partagé entre ses membres.
D’un autre côté, on peut s’interroger sur les chantiers à ouvrir par les associations en lien avec les pouvoirs publics pour défendre une société non exclusive.
Il s’agit certainement pour elles de parvenir à mieux suivre les individus dans leur parcours personnel. Cela suppose de développer plus de transversalité, de mieux collaborer sur leurs territoires, de développer des dispositifs mutualisés et de s’engager plus avant dans la constitution de communs10 .
Cela permet notamment de favoriser l’auto-organisation des collectifs associatifs et de co-construire collectivement de meilleurs critères en matière d’inclusivité.
- 1Brigitte Bouquet, «L’inclusion : approche socio-sémantique», in Érès « Vie sociale» n° 11, éditions Érès, 2015.
- 2Amartya Sen, L’Idée de justice, Flammarion, 2012.
- 3Charles Gardou, La Société inclusive, parlons-en ! Il n'y a pas de vie minuscule, éditions Érès, 2012.
- 4Francis Calcoen et al, «Société inclusive et innovation : quel rapport ? », chapitre 13 de Les associations réinventent l’innovation, Cahier technique Uniopss n° 23, 2021.
- 5Ibid.
- 6Ces perspectives ont été développées par l’inclusiscore du Mouvement associatif.
- 7Alain Supiot, La Gouvernance par les nombres, Fayard, 2015.
- 8Laurent Gardin et Jean-Louis Laville, « L’Économie solidaire », in Jacques Defourny et Marthe Nyssens (dir.), Économie sociale et solidaire : socioéconomie du 3e secteur, De Boeck, 2017.
- 9Paul-Loup Weil-Dubuc, «Arrêtons avec la société inclusive : parlons de non-exclusion», Socialter, 10 décembre 2018.
- 10 Elinor Ostrom, Gouvernance des biens communs, De Boeck, 2010, et Amartya Sen, op cit.