Depuis cinquante ans, rares sont les plateformes revendicatives ou les rapports, voire les conférences ou assises, qui ne traitent pas de la sécurisation des partenariats financiers.
Limiter le développement des appels d’offres
Actuellement, une large part du débat se focalise sur l’impact des appels d’offres, qui en inversant la charge de l’initiative, peuvent contribuer à réduire considérablement la capacité d’innovation des associations. à ce sujet, nous constatons que la pente vers une mise en concurrence généralisée n’est pas aussi inéluctable que certains l’affirment. Le rapport de Michel Thierry élaboré dans la perspective d’application des réglementations européennes est plutôt rassurant en la matière. De même, le développement des pratiques des clauses sociales et/ou environnementales permettent à des entreprises de l’économie sociale et associative de trouver de nouvelles sources de développement.
Des pratiques fondées sur la définition concertée des objets d’appels d’offres comme l’évaluation dynamique et partagée de leurs impacts apparaissent, cherchant ainsi à tirer le meilleur parti d’une procédure administrative. S’il nous semble inapproprié de rejeter en bloc tout recours à la mise en concurrence pour sélectionner les partenaires, il convient cependant de déterminer davantage conjointement les champs où son utilisation est pertinente compte tenu des enjeux sociaux, du contexte partenarial, et de permettre une meilleure sécurisation juridique des partenariats.
Le souci d’efficacité des dépenses publiques est largement partagé par l’ensemble des acteurs. Dès lors, la question ne porte pas sur la procédure elle-même, mais davantage sur les conditions à mettre en œuvre pour qu’elle serve au mieux l’intérêt général. Pour s’en assurer, il est nécessaire de protéger l’innovation sociale des citoyens et des associations. L’engagement et la prise de risque doivent être soutenus et reconnus financièrement, ce qui conduit à rejeter l’idée de mise en concurrence systématique, mais plaide aussi pour le lancement régulier d’appels à projet et à expérimentation.
Si nous considérons que le code des marchés publics laisse des marges de manœuvre, par exemple par le biais des clauses sociales et environnementales, ou à travers la liberté laissée pour la détermination des critères de choix, un effort significatif doit être accompli en direction des décideurs publics pour qu’ils s’en saisissent. La formation, l’évaluation, l’échange de bonnes pratiques sont autant d’outils à mettre en place pour faire qu’au final les appels d’offres ne soient pas des outils d’abrasement des spécificités associatives.
Atténuer le caractère discrétionnaire des subventions
La subvention, par la souplesse et la liberté qu’elle offre à son bénéficiaire tout comme à l’administration qui en décide, reste un moyen très apprécié de financement. Son octroi est néanmoins un acte discrétionnaire de puissance publique, dont les voies de recours sont uniquement politiques et amiables. Le financement par subvention revêt trois inconvénients pour les associations.
La précarité, fruit des contraintes des finances publiques (annualité budgétaire, ouverture des crédits après le 1er janvier…). De ce point de vue, deux aspects sont à prendre en considération :
- l’annualité budgétaire limite les possibilités d’engagement pluriannuel de l’administration. La convention pluriannuelle d’objectifs et de moyens constitue une réponse partielle, dont l’utilisation n’est pas suffisamment développée. Même en cas de signature d’une Cpom, sa portée peut être limitée juridiquement par des clauses de réserve. Il est aussi des cas où le financement d’une association passe pour une partie en Cpom et le solde en subvention annuelle sur projet. Cela permet notamment en cas de baisse de crédits de respecter la Cpom en diminuant la part de subvention annuelle ;
- la seconde source de précarité tient aux procédures administratives de traitement des demandes. Malgré les efforts consentis par de nombreuses administrations, les subventions constituent encore une variable d’ajustement des budgets publics et sont souvent plus sensibles aux gels et dégels des crédits. Dès lors, il n’est pas exceptionnel que les réponses définitives à des demandes de subventions arrivent après l’été, alors que les projets sont déjà engagés, voire dans leur phase finale.
La multiplicité et la complexité des circuits de financement. La capacité des associations à mobiliser des subventions dépend souvent moins de la qualité de leur projet que des réseaux dont elles disposent ou des savoir-faire de leurs responsables salariés et bénévoles à établir leur demande ou à comprendre les « arcanes administratives ». Il faut indiquer que cette difficulté est partiellement compensée par l’engagement personnel des fonctionnaires en charge des questions associatives. Ceci pose un problème de démocratisation de l’accès aux financements publics et contribue à accentuer les mécanismes d’isomorphisme dans les fonctionnements associatifs par rapport à l’administration. Elle explique aussi l’intérêt de nombre d’associations à recruter en tant que responsables des hauts fonctionnaires en activité ou à la retraite.
La difficile prise en compte du coût réel des actions. La subvention est un outil de financement qui prend en compte imparfaitement le coût des actions. Nombre d’associations se plaignent du fait qu’elles doivent recourir à des plurifinancements pour réaliser leur(s) projet(s). Procédant ainsi par nécessité, elles peuvent se retrouver dans un climat de suspicion où elles doivent justifier que l’aide obtenue n’a pas servi au financement d’autres actions, ou même qu’une même action n’est pas financée « plusieurs fois ». Dans l’administration persiste l’idée d’un financement des actions « au juste prix », rendant difficile la prise en compte des frais de structure ou du financement du besoin en fonds de roulement, souvent important, compte tenu des délais de traitement des demandes évoquées ci-dessus. Il existe cependant d’autres modalités de financement direct des associations qui répondent à ces difficultés (ex.: prix de journée, prise en compte de critères d’activités…).
Des procédures ont été développées pour en atténuer les effets, comme par exemple le dossier unique de subvention. Plusieurs pistes pourraient être explorées pour aller au-delà de la simple revendication d’une mise en œuvre réelle de la pluriannualité. Nos propositions s’articulent autour de quelques grands objectifs :
Démocratiser l’accès aux subventions publiques. Outre la mise en place de dispositifs d’accompagnement (cf. ci-dessous), chaque administration publique devrait publier une lettre de cadrage (annuelle et pluriannuelle) par laquelle elle définirait les axes qu’elle souhaite privilégier dans son partenariat avec les associations. Cette lettre devrait être publiée sur le site internet du ministère de référence et par la direction de la Vie associative.
Rendre plus transparents et efficaces les plurifinancements. Il s’agirait d’instituer des conférences de financement annuelles ou pluriannuelles qui rassembleraient l’association et l’ensemble des différents services administratifs sollicités pour le financement. Cette conférence, qui pourrait être dématérialisée, conduirait l’ensemble des services à décider concomittamment de l’aide (et non conjointement). Ce travail pourrait être piloté par une administration « chef de file » ou par la direction de la Vie associative. Une telle procédure permettrait à chaque administration d’avoir une vision plus large des enjeux de son aide à l’association. Cela pourrait aussi renforcer les pratiques transversales au sein de l’administration qui existent déjà de manière soit informelle, soit sur la base d’une coordination interministérielle dont nous avons évoqué ci-dessus l’intérêt mais aussi les limites.
Simplifier les procédures. Le dossier unique de demande de subvention a constitué un outil de simplification important. Il convient de noter que ce premier outil de normalisation du traitement des demandes de subventions concerne au premier chef les « usagers-bénéficiaires ». La mutualisation des procédures administratives, notamment en utilisant les nouvelles technologies, devrait permettre que le dépôt des pièces indispensables à l’appui d’une demande ne soit fait qu’en un seul exemplaire. Le contrôle de légalité primaire des demandes ne serait alors fait que par une administration pour le compte de toutes les autres (par ex.: la direction de la Vie associative).
Dans un souci de plus grande transparence et d’une meilleure efficacité, il serait aussi utile que l’administration normalise son fonctionnement et adopte un ensemble de procédures partagées :
- un calendrier unique de dépôt des demandes de subventions. Par exemple, les associations devraient déposer leur demande de subvention avant le 1er décembre de l’année n-1. L’administration aurait alors trois mois pour étudier l’opportunité de la demande en fonction des objectifs qu’elle aurait communiqués. Il serait intéressant de prévoir deux fenêtres de dépôt des dossiers dans l’année, pour notamment prendre en compte le fait que nombre d’associations calent leur action sur le calendrier scolaire ;
- une obligation de motiver les refus de subventions ou de réorientation du dossier si la demande ne relève par de la compétence du service qui a reçu la demande ;
- une obligation de signer un volume minimum de conventions pluriannuelles pour les services bénéficiant de crédits d’intervention importants, ne comportant aucune clause de réserve.
Dans la mesure, où il ne nous semble pas possible d’instituer le principe selon lequel le non respect de la procédure rend automatique le financement, la possibilité de saisir une instance de médiation (située au sein de la direction de la Vie associative) pourrait être instituée. Dans le cadre de l’évaluation des politiques publiques, un rapport annuel serait rédigé sur le respect de ces procédures par les ministères. Ce rapport serait publié et transmis aux assemblées.
Enfin, nous proposons que, secteur par secteur, soient mis en place des groupes de travail pour recenser les modalités existantes de financement des associations et étudier la possibilité de les faire évoluer pour sortir du cadre strict de la subvention. C’est ainsi qu’il pourrait être utile de réfléchir à l’attribution d’une subvention minimale pour certains agréments (idée « d’un socle de sérénité »), à la facilitation des procédures contentieuses, à la possibilité d’appels à projets… Le Cnva pourrait ensuite collecter le résultat de ces différents groupes de travail pour identifier les meilleures pratiques en la matière.
Il conviendrait aussi que l’administration puisse favoriser à travers ses relations financières la mutualisation des projets et les transversalités au sein du mouvement associatif (soit par le biais d’appels à projets mutualisés, soit en négociant avec des associations des rapprochements sur projet…).
Renforcer la culture de l’évaluation
Il est normal que les pouvoirs publics veillent à la bonne utilisation de la dépense publique comme le souhaitent également les associations. Il est normal que les associations subventionnées rendent des comptes à leurs financeurs. Mais les critères et indicateurs proposés ressortent davantage d’une seule approche économique, comptable ou administrative que d’une volonté de mesurer l’utilité sociale de l’association, du projet retenu, de l’action arrêtée en commun. Cependant, le monde associatif doit délibérément entrer, avec confiance, dans une logique d’évaluation. Elle devrait permettre de dépasser la méfiance qui existe encore dans les services administratifs, vis-à-vis de la vie associative et de remettre à sa juste place la question de la mise en concurrence. Cela passe très certainement :
- d’abord par le développement d’une culture de l’évaluation dans l’état et au niveau du Parlement (sortir du seul contrôle de gestion) qui, si on veut en élargir la portée, suppose des exercices communs avec le monde associatif sur quelques politiques publiques ;
- puis par la définition partagée des critères d’évaluation lorsque l’argent public est engagé dans telle ou telle activité associative ;
- enfin, par une réflexion approfondie, qui soit organisée entre les administrations : corps d’inspection, de contrôle, cour des comptes, services d’études et recherches, direction du budget, et qui s’appuierait sur le prochain rapport Stiglitz sur de nouveaux indicateurs de mesure du Pib.