La radicalité, du latin radix signifiant racine, inviterait, dans son acception littéraire, à remonter à la racine des phénomènes en usant de nuances, de patience et de tâtonnements.
Quiconque a déjà jardiné une fois dans sa vie sait où se trouve la racine d’une plante : jamais en évidence, sous la terre ou sous la roche, parfois prompte au déracinement, souvent résistant à se laisser détacher de son socle.
Aller à la racine demande une certaine ouverture d’esprit pour voir ce qu’un premier regard n’aperçoit pas, entendre ce qu’une première écoute ne dévoile pas. Pour arriver à la racine, il s’agit de prendre le temps d’interroger le socle commun ; c’est parfois s’arracher à ce qui nous semble évident, au fameux « bon sens ».
La Fonda a pris le parti d’ouvrir ce débat ô combien complexe : comment définir les engagements radicaux ? Avec quelles nuances, quelles motivations, quelles constructions ? D’où viennent-ils, quelles voix les portent ou au contraire les assènent ? Est-ce un terme dans lequel la personne engagée fait le choix de se draper, ou bien est-ce un terme que les autres assignent lorsqu’une action dépasse « la norme » communément admise ?
Appuyons-nous sur l’actualité pour mettre en lumière ces interrogations : est-ce que ce sont les Scientifiques en Rébellion les radicaux lorsqu’ils et elles tentent — désespérément à les écouter — de prévenir l’opinion publique et le monde politique de la réalité écologique dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui ?
Ou est-ce un monde déjà radical qui les a poussés à sortir de leur zone de confort, où les nouveaux radicaux seraient plutôt les hommes et femmes politiques qui n’écoutent pas et agissent dans un sens qui n’est plus celui de l’intérêt général ?
Le sociologue Colin Robineau voit dans l’utilisation du terme de radicalité une attaque en légitimité : « l’extension progressive du domaine de la radicalité à toutes les formes non conventionnelles d’action politique tend [d’ailleurs] à exclure du périmètre de la légitimité l’ensemble des pratiques militantes dérogeant à l’ordre social »1 .
Lorsqu’elle décrit un engagement, la radicalité est rarement un compliment. Elle est perçue comme une immobilité de pensée, un entêtement bêtifiant, un acte à côté de la vie réelle.
À cet effet, certaines personnes interrogées pour ce dossier continuent de voir dans le qualificatif de « radical » un dénigrement de leur engagement. L’amalgame fait avec les notions de radicalisme et de radicalisation, tend de fait à nous empêcher de penser l’engagement radical comme un engagement qui pourrait avoir du sens.
Les engagements radicaux ne seraient-ils pas plus difficilement appréhendables justement parce qu’ils interrogent nos normes ?
Le militant David S. ne dit pas autre chose dans son témoignage : « chacune de [nos] actions nous semble légitime face aux dangers tout à fait tangibles que sont l’urgence climatique et l’extinction du vivant. »2
Dès lors que les lois ou les institutions sont déficientes, la radicalité n’est-elle pas une manière de les faire évoluer ? Mais au nom de quelles autres normes que celle du droit agit la radicalité, et d’où peut-elle tirer sa légitimité ? À quel moment une norme du juste peut-elle prévaloir sur une norme du droit ?
Cette question ébranle différentes luttes sociales, écologiques et démocratiques au cours du XXe siècle. Elle se pose avec d’autant plus d’acuité que plusieurs intervenant.es de ce dossier observent un retour de la radicalité politique aujourd’hui en France3 . Pour les collectifs interrogés par la politiste Réjane Sénac, la radicalité est même le seul pragmatisme à l’ère des urgences sociales et écologiques4 .
Dans ce dossier, la notion de radicalité est analysée à travers différents regards de citoyens et de citoyennes, qui se revendiquent de la radicalité ou non, qui l’étudient ou l’interrogent. Les articles ne couvriront certainement pas tous les domaines où les radicalités s’expriment : par choix, par délicatesse aussi, car, encore une fois, le sujet est complexe.
Notre envie est avant tout d’interroger, aujourd’hui, la présence de ces termes dans notre société. Alors c’est quoi, un engagement radical ?
- 1Colin Robineau, « Pour une sociologie des écologistes radicaux. Quelques éléments programmatiques », e-cadernos CES n° 34, 2020, [en ligne].
- 2David S., « Personne ne rejoint Extinction Rebellion par envie de radicalité », Tribune Fonda n°260, décembre 2023, [en ligne].
- 3Notamment Réjane Sénac, Hasna Hussein et Gabriela Martin dans leurs articles respectifs.
- 4Réjane Sénac, « Les mobilisations contemporaines contre les injustices réhabilitent la radicalité politique », Tribune Fonda n°260, décembre 2023, [en ligne].