Avec le développement du capitalisme industriel, la réaction ouvrière a suscité à la fin du dix-neuvième siècle deux formes de démarches collectives organisées : le syndicalisme de métier qui visait à protéger les ouvriers qualifiés d'alors du lent mouvement de dépossession de leurs savoirs par ce qu'on appellera plus tard le taylorisme ; les bourses du tra ail qui ont tenté sur une base locale d'apporter des réponses au développement de la condition ouvrière sur les terrains de la formation, du chômage, de la santé : services de placement, cours du soir d'éducation ouvrière, services liés à la santé...
Ce ne sera qu'au début du vingtième siècle que ces deux branches se réuniront pour fonder le syndicalisme inter-professionnel, largement dominé comme son nom l'indique par l'approche professionnelle, voire l'approche d'entreprise. Les bourses du travail se sont alors transformées en unions locales, relais du confédéral ou chargées essentiellement du développement local des syndicats.
Fernand Pelloutier, le créateur des bourses du travail, avait pourtant en 1894- 1895 une autre ambition, celle d'un syndicalisme « intégral » qui, rompant avec la violence de l'anarcho-syndicalisme, se devait de construire par lui-même des réponses mutualisées et unifiées aux conditions de vie de l'époque sans devoir passer par la médiation de l'État ou de tout autre acteur.
Le temps a passé, d'autres réponses ont été apportées, le système bismarckien s'est développé dans notre pays, privilégiant l'approche d'entreprise (les conventions collectives, la protection sociale d'entreprise), l'État-providence est apparu à la libération et a accru son rôle au fil du temps.
Au niveau local, de nombreuses initiatives sont apparues hors de l'entreprise portées par le monde associatif. Mouvement syndical et monde associatif se sont largement ignorés sauf en de rares moments, alors même que de nombreux militants appartenaient aux deux univers puisque portant à des titres divers la volonté de dénoncer les injustices et de porter l'idéal démocratique.
Il est temps de dépasser cette distance, pour plusieurs raisons.
Le droit social, le droit du travail, le droit de la sécurité sociale, ce qu'on a appelé la protection sociale, ont dans notre pays été largement conçus à partir de l'entreprise, à partir du contrat de travail, du contrat de subordination. Avec le recentrage inéluctable des syndicats sur l'entreprise pour des raisons de quête de légitimité, dans un moment historique de restructuration mondiale des échanges qu'exprime la crise actuelle, les revendications, les négociations, tourneront plus que jamais autour du contrat de travail et de l'emploi.
Or, les contours du travail bougent, les aspirations des salariés sont de plus en plus individualisées. Auparavant, le temps de travail était normé, ses frontières deviennent plus floues avec le web et le téléphone portable, les horaires décalés ou atypiques. De sorte que réfléchir sur le travail, c'est aujourd'hui prendre en compte ce qui l'entoure, la garde des enfants et le péri-scolaire des adolescents, le transport et sa durée, le logement, la conciliation de la vie personnelle (pour ne pas en rester à la seule approche familiale) et professionnelle, les exigences de formation et d'information pour un travail de plus en plus abstrait, celles de la mobilité géographique et professionnelle.
Ces recouvrements de temps et de conditions de vie conduisent à l'élargissement du champ de la demande adressée aux syndicats, alors même que les associations y apportent des réponses. Le temps est venu de trouver des articulations entre les deux mondes pour répondre de manière adaptée à des besoins de plus en plus diversifiés et individualisés, pour construire des propositions qui ne renvoient pas seulement aux pouvoirs publics qu'ils soient nationaux ou territoriaux mais à l'initiative mutualisée.
C'est peut-être en ces domaines que la rencontre avec les autres secteurs de l'économie sociale pourra être la plus féconde. C'est en ces domaines que les comités d'entreprises pourront puiser les ressources de leur renouvellement.
L'élan démocratique qui a porté les syndicats et alimente les associations, conduit les militants des deux mondes à se connaître sur les territoires, souvent à agir le jour dans les premiers, le soir et le weekend dans les secondes sans faire de liens. Ils doivent aujourd'hui, c'est notre conviction, faire face ensemble aux transformations en cours, discuter entre eux et poser des diagnostics communs, enfin rechercher des réponses, en confiant éventuellement l'opérationnalisation à l'économie sociale.
Ce numéro est une contribution à cette dynamique.