Associations et démocratie Gouvernance

Pour une prise en compte des communs urbains par l'Administration, vers un règlement d'administration mise en commun

Tribune Fonda N°245 - Associations et collectivités - Mars 2020
Olivier Jaspart
Olivier Jaspart
Un règlement d’administration partagée pourrait-il exister en France ?

Cet article est une contribution à la version numérique enrichie de la Tribune Fonda n°245. Il ne figure pas dans la revue papier.


Dans le cadre du programme Erasmus + Enacting the Commons, des collectivités locales et des associations de la civic tech, sous la coordination de la 27e Région, parcourent l’Europe pour s’inspirer des différentes pratiques de collaboration entre les administrations publiques et les communs.

À cette occasion, au début 2019, un voyage a été initié pour voir l’évolution de ces relations en Italie, sous l’angle notamment des règlements d’administration partagée et des pactes de collaboration. À ce titre, l’article 118 de la Constitution de la République italienne dispose que peuvent participer directement à l’exécution de certaines prestations les citoyens dit « actifs » et que ce concours est valorisé par les collectivités publiques des différents échelons territoriaux. Il s’agit du principe dit de « subsidiarité horizontale » permettant aux citoyens de participer de manière pro-active à l’administration territoriale de la République italienne.

Ce règlement d’administration partagée est un acte administratif général qui permet de conclure des « pactes de collaboration », à savoir des contrats administratifs agréant une personne, physique ou morale, voire un collectif non institué, d’une mission d’intérêt général, charge à elle ou lui de gérer cette mission sous le contrôle de l’administration.

Un tel règlement d’administration partagée pourrait-il exister en France ?

À la différence de l’Italie, dont la pensée juridique donne une définition très ouverte des biens communs1 , l’article 714 du code civil dispose que : « Il est des choses qui n'appartiennent à personne et dont l'usage est commun à tous. Des lois de police règlent la manière d'en jouir. » Nous tentons depuis plusieurs années de définir une théorie d’un droit administratif des biens communs. À ce titre, nous pouvons rapidement envisager que ce qui constitue un « Commun » est à considérer comme un droit d’initiative citoyenne à la préservation d’une chose ou d’un droit d’usage accessible à tous.

Aussi pour transposer le règlement italien (voir à ce sujet l'article de la Tribune Fonda n°232) ; il convient de réinventer la notion de « collaborateur occasionnel au service public » en l’intégrant dans un processus plus étendu de démocratie participative (I). Toutefois, il conviendra également d’aborder le cas de certaines utilisations des espaces publics par des personnes morales qui satisfont à une utilité publique (II).


I) La collaboration occasionnelle au service public à réinventer


Notion jurisprudentielle, la collaboration occasionnelle au service public2  permet de caractériser a posteriori un citoyen comme agent de l’administration : un collaborateur est un « agent par accident ». Si la jurisprudence reconnaît que l’Administration peut faire appel à des citoyens pour apporter leur concours ponctuel à une mission d’intérêt général, c’est souvent en urgence que spontanément des citoyens, étrangers au service public, vont apporter leur concours.

Dans le cadre d’un règlement d’administration mise en commun, des citoyens offrent spontanément leur concours à l’exécution d’une mission d’utilité publique, mais non prise en charge ou insuffisamment prise en charge par l’Administration. Ou enfin, il peut s’agir d’une entente négociée entre l’Administration et un citoyen pour entreprendre une action d’utilité publique. Si dans tous ces cas, il ne s’agit pas de répondre à un besoin préalablement exprimé par l’Administration, il s’agit cependant de répondre à un besoin d’utilité publique qui nécessite a minima l’agrément de celle-ci.

Posé ainsi, ce postulat envisage un droit d’association accru des citoyens, non seulement dans le cadre d’une procédure de démocratie participative, mais également et surtout, il envisage un droit à l’association dans la détermination de l’action d’utilité publique et de sa direction.

Le droit d’association nécessite la mise en place d’une procédure d’accompagnement du citoyen volontaire et d’une acceptation par l’Administration d’ébaucher un droit souple et adaptatif au regard de l’utilité publique de l’action envisagée.

Depuis l’entrée en vigueur du principe du « silence vaut acceptation » et de ses nombreuses exceptions, codifiés aujourd’hui par le code des relations entre le public et l’administration, une nouvelle pédagogie de l’accompagnement des demandeurs doit ainsi être envisagée. De même qu’une certaine bienveillance administrative à l’égard de personnes volontaires, mais également profanes et ignorantes de la réalité administrative est à promouvoir.

Enfin, le droit d’association se décline dans un droit à la direction de l’action d’utilité publique. Cela implique alors la mise en place de « comités extra-communaux » au sens de l’article L2143-2 du code général des collectivités territoriales. Ces comités, regroupant l’ensemble des personnes disposant d’un agrément ou parties à un pacte d’engagement répondant à une même utilité publique (par ex. l’ensemble des titulaires d’un permis de végétaliser d’un quartier) serait d’abord le lieu de leur rencontre, de leurs échanges et de la possibilité pour eux d’échanger et de proposer des évolutions avec l’administration.

Toutefois, certaines actions d’utilité publique ne peuvent être entreprises que par des personnes morales au regard notamment de la gestion du risque juridique qu’elles emportent. C’est le cas notamment des utilisations des espace publics.


II) Les utilisations des espaces publics par des personnes morales qui satisfont à une utilité publique


Repensant le cadre d’une dévolution d’un service public sous la forme d’un contrat de la commande publique ou d’une subvention, la mise en place d’un règlement d’administration mise en commun pourrait développer l’utilisation de certains espaces publics par des associations ou des entreprises de l’ESS notamment sous un angle différent. Actuellement, le fait de conclure de tels contrats oblige l’administration à respecter les formalismes et procédures qui s’y rapportent.

L’acte de préservation du droit d’usage, substitué à l’acte de consommation du service public, doit faire prendre conscience à chacun de l’importance de sa pérennisation par tous. L’action d’utilité publique ne peut pas alors être envisagée en soi comme une activité économique. Ainsi, il revient alors à l’administration de se prononcer sur les modalités de dévolution d’une action d’utilité publique. C’est ainsi que Roubaix a pu mettre en place un guide pratique d’aménagement auto-construit par des tiers sur l’espace public.

L’hypothèse la plus vraisemblable à envisager ici est celle d’une occupation du domaine public de l’administration qui ne saurait être accordée à un opérateur en vue d’y accomplir une activité économique ; ou s’il y a activité économique, elle ne peut être que l’accessoire de l’activité non économique, comme par exemple des friches ou des espaces en transition. À cette occasion, le cahier des charges pourrait permettre la sélection d’une offre « la plus communément avantageuse ». Il ne s’agirait plus d’appel d’offres, mais « d’appel à Communs », permettant une occupation d’utilité publique plus qu’une privatisation d’un espace public. À terme, des « espaces civiques »3 pourraient voir le jour, permettant des actions à usage civique de voir le jour comme par exemple à Naples, dans le cadre de l’Asilo.

Il est donc possible de transposer le principe de subsidiarité horizontale italien, en repensant les cadres juridiques actuels d’une part, dans une optique de d’approfondissement de la démocratie participative ; et en éditant un document unique définissant les conditions de dévolution de véritables Communs administratifs.

  • 1Dictionnaire des biens communs, sous la direction de Marie Cornu, Fabienne Orsi et Judith Rochfeld, PUF 2017  définissant les biens communs comme « certains biens, dont la consommation est non-rivale, non concurrentielle, dont l’usage n’est pas exclusive mais épuisable, et dont l’utilité est liée à l’exercice des droits fondamentaux et au libre épanouissement des citoyens [...] ou encore qui peuvent représenter un objet de jouissance collective, pourraient faire partie de la catégorie des biens communs. Entreraient donc dans cette catégorie certains biens du domaine naturel et environnemental, sans oublier les biens appartenant au patrimoine indisponible ».
  • 2Cf. étude du Conseil d’État demandée par le Défenseur des Droit, 20 décembre 2013.
  • 3Terme employé par Pascal DESFRAGES, de RETISS, lors d’une rencontre sur les Communs le 17 octobre 2019, en marge de l’October Make du Réseau Français des Fablabs ; visant à ouvrir des espaces pour y entreprendre des activités de solidarité et de cohésion sociale.
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