Enjeux sociétaux

Pour un multilatéralisme participatif

Tribune Fonda N°246 - Pour une société du Faire ensemble - Juin 2020
Pierre Henri Guignard
Pierre Henri Guignard
Et Gabriela Martin
Son Excellence Pierre Henri Guignard est spécialiste de longue date des questions liées au développement durable et aux enjeux climatiques. Il explique en quoi le multilatéralisme participatif est l’une des voies à privilégier pour répondre, entre autres, à la crise sanitaire que nous traversons.
Pour un multilatéralisme participatif

Propos recueillis par Gabriela Martin.

[Voir la version en anglais]


En matière de lutte contre le réchauffement climatique et de préservation de la biodiversité, quels sont aujourd’hui les principaux enjeux qui doivent retenir notre attention ?

Pierre Henri Guignard.  La réponse nous est soufflée par la nature elle-même. La grave crise du Covid-19 est une illustration des dangers découlant des interactions croissantes entre l’espèce humaine et les écosystèmes naturels qu’elle dégrade. Même si certains en refusent l’évidence, nous voyons mieux aujourd’hui le lien qui existe entre la conversion irraisonnée des milieux, la surexploitation des ressources, le changement climatique, la pollution — notamment de l’océan — et la diffusion d’espèces envahissantes, et la santé de la population mondiale ainsi que son développement durable. Alors que nous vivons, pour la majorité d’entre nous, dans un monde globalement meilleur que le monde d’hier, avec des populations dans l’ensemble mieux nourries, mieux éduquées, plus libres, en meilleure santé, plus égalitaires aussi, quoi que l’on en dise, nous percevons dans notre chair les limites du système de développement qui nous a conduits là où nous sommes. 

Au moment de l’adoption de l’accord de Paris, en 2015, après plus de vingt années de négociations difficiles, nous affirmions que nous allions devoir produire différemment, consommer différemment et vivre différemment. Or, le changement n’a pas été aussi rapide et profond qu’il aurait dû être. La planète, qui nous écoute et répond à nos actions – voyez par exemple comment les efforts de la communauté internationale depuis Montréal ont permis de réduire significativement le trou dans la couche d’ozone ! –, est en train de nous rappeler de manière douloureuse à nos engagements...


Dans quelle mesure ces enjeux environnementaux sont-ils à lier avec des questions sociales et économiques, notamment concernant la promotion d’une croissance soutenable garante d’un emploi décent pour toutes et tous ?

Là encore, les circonstances sanitaires exceptionnelles qui viennent de toucher l’ensemble des continents nous interpellent sévèrement. La crise que nous traversons ne doit pas être une simple crise d’anxiété ; nous devons saisir l’opportunité pour entrer dans une démarche de résolution. Cet événement dramatique vient nous dire que le temps est venu de repartir sur de nouvelles bases : nous avons besoin de davantage d’économie circulaire, d’une meilleure répartition des ressources, et de nous assurer que la relance sera plus verte. L’occasion nous est donnée d’entrer dans le monde post-carbone en privilégiant les énergies renouvelables, et de stopper le financement de la déforestation ainsi que celui d’une agriculture trop productiviste. 

Il appartient aux États d’assumer leurs engagements, de réaffirmer leurs ambitions, voire de les rehausser, et aussi de mettre en place les conditions pour que nous arrivions à de vrais résultats. Le président de la République, Emmanuel Macron, l’avait d’ailleurs annoncé : il faut que nous reprenions tous nos accords commerciaux à l’aune de ces objectifs. Ainsi qu’il l’avait dit à Genève à l’Organisation internationale du travail, en 2019, on ne peut construire une paix durable — et j’ajouterais, un développement durable — sur la somme des injustices.


Sur son site, l’Alliance pour la préservation des forêts insiste sur la nécessité de sortir des logiques de silos et souligne l’« intérêt d’une action collective, différente de la somme des actions individuelles ». Comment caractériser une telle forme d’action collective ? Et à quelles conditions peut-on s’assurer d’entrer dans une réelle logique d’impact collectif ?

Ne confondons pas les Alliances ! Celle à laquelle vous faites référence, que je connais bien, est une association d’entreprises recherchant des solutions responsables pour les forêts et avec laquelle j’ai un dialogue précieux. Mais ce n’est pas l’Alliance pour la préservation des forêts tropicales qu’a proposée le Président Macron à Biarritz alors que l’Amérique du Sud était en flammes. Celle qu’il m’a demandé de mettre en place est, ou plutôt sera, une coalition d’États travaillant étroitement avec la société civile, en particulier les populations autochtones, pour « conserver » — pardon pour l’anglicisme — les forêts de la ceinture tropicale de la planète. Ces forêts tropicales humides, en Amazonie, dans le bassin du Congo et en Asie du Sud-Est, ont une importance qui dépasse les pays dont elles couvrent le territoire car elles ont un rôle régulateur pour le climat et sont d’immenses réserves de biodiversité. 

En même temps, des populations y vivent et en vivent, et nous ne pouvons pas les mettre sous globe. Il appartient donc aux pays concernés de trouver les bons équilibres en travaillant entre eux et avec les pays du Nord, en particulier ceux qui, par leurs modes de consommation, importent la déforestation. 

La coalition internationale que nous cherchons à mettre en place — dans un cadre onusien car le multilatéralisme me semble porter en lui les bonnes méthodes — pourrait avoir trois missions essentielles : 

  • devenir une plateforme d’échange de bonnes pratiques entre États forestiers et pays concernés ;
  • garantir que les principes et objectifs de l’Alliance — qui ont été présentés à Madrid en décembre dernier, pendant la COP 25, par la ministre de la Transition écologique et solidaire, Élisabeth Borne — soient mis en application pour une exploitation raisonnable des ressources, mais aussi pour une restauration des espaces ou une reforestation responsable ;
  • et, enfin, la mise en place d’un système global plus efficace d’anticipation et de réponse aux situations de crise comme les incendies ou les maladies des arbres, décalqué du système européen ECHO1   qui a fait ses preuves. 

Il reste que, depuis les incendies en Amazonie puis en Australie (dans un autre type de forêts), la crise sanitaire est venue bouleverser les priorités. Au moment où nous nous parlons, la priorité est de sauver des vies. Nous avons donc virtuellement interrompu les travaux en vue de la création de l’Alliance. Mais nous reprendrons dès que possible. Mon objectif est que nous puissions tester les mérites de ce rassemblement de bonnes volontés dès la prochaine saison sèche, saison de tous les dangers pour l’ensemble des massifs forestiers.


L’Alliance pour la préservation des forêts rassemble plusieurs catégories d’acteurs : acteurs publics, ONG, chercheurs, entreprises, associations… Comment bâtir la complémentarité entre ces acteurs ? Quelle place plus particulièrement pour les associations et les citoyens engagés dans ce type de coalitions ?

L’Alliance que le Président Macron a appelée de ses vœux à New York en septembre dernier avec le secrétaire général des Nations-unies, António Guterres, et les présidents chilien, Sebastián Piñera, et colombien, Iván Duque, sera avant tout une coalition d’États volontaires. Mais, vous avez raison et on l’a vu à Paris lors de la COP 21, les gouvernements ne peuvent plus avancer sans la société civile. 

Nous travaillons donc à institutionnaliser, au sein de l’Alliance pour la préservation des forêts tropicales, un dialogue constant entre ceux qui gouvernent, régulent et légifèrent d’un côté, et les parties prenantes de la société civile qui sont les acteurs sur le terrain de l’autre : les agriculteurs, les entreprises, les collectivités territoriales — notamment dans les pays fédéraux —, les populations autochtones, les femmes et les jeunes, les chercheurs et le monde académique et, bien sûr, les ONG. 

Nous avons été témoins, en 2015, au Bourget, de l’émergence d’un multilatéralisme participatif. C’est, je crois, un mode de gouvernance qui répond aux besoins de transparence et de participation s’exprimant partout dans le monde. 
 

  • 11. La Direction générale pour la protection civile et les opérations d'aide humanitaire européennes de la Commission européenne (ECHO) est le service de la Commission européenne chargé de l'aide humanitaire et de la protection civile à l'échelle internationale.
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