Concernant notre radicalités supposée
Pour commencer, je ne me sens pas « radical ». Je n’utilise pas ce terme pour définir mon engagement ou le mouvement au sein duquel je milite. La notion de radicalité n’est d’ailleurs pas du tout présente dans notre langage, nous préférons parler de « réponse à la hauteur de la nécessité ».
Si nous nous faisons taxer de radicaux, c’est plus par méconnaissance de qui nous sommes et de ce que nous faisons, ou par intérêts médiatiques ou politiques.
Si nous nous faisons taxer de radicaux, c’est plus par méconnaissance de qui nous sommes et de ce que nous faisons.
Personne ne rejoint Extinction Rebellion par envie de radicalité, mais plutôt en réponse à un besoin d’agir. J’ai personnellement commencé la désobéissance civile non violente pour répondre à un mal-être.
Avant de militer, j’avais l’impression de contribuer à la justice sociale et écologique par mon engagement professionnel. La crise liée au COVID-19 a rebattu toutes les cartes : pendant que j’essayais de sauver la petite entreprise « vertueuse » que je cogérais à l’époque, avec un burn-out à la clé, le CAC40 annonçait des records de profits1 . Pour faire face à cet immense sentiment d’injustice, j’avais besoin de rejoindre un mouvement plus désobéissant.
Les militants qui nous rallient partagent ce ras-le-bol généralisé. Prenons la Convention citoyenne pour le climat : ce bel exemple de démocratie directe avait donné de super résultats. Malheureusement, une grande majorité des mesures n’ont été que partiellement mises en place, voire sabotées2 alors qu’on nous avait promis qu’elles seraient appliquées telles quelles.
Pour moi, c’est ce genre de faux espoirs qui abime la démocratie et amène des personnes vers des actions directes. Extinction Rebellion est un bastion où nous pouvons reprendre notre pouvoir de citoyens. Nous agissons par nous-mêmes, nous tentons de braquer les projecteurs sur un sujet, en espérant que nos élus s’en saisissent.
L’une des quatre revendications d’Extinction Rebellion est d’ailleurs la création d’assemblées citoyennes pour choisir la politique écologique. Nous ne souhaitons pas dicter cette politique, mais bien remettre le pouvoir dans les mains des premiers concernés, les habitants des territoires.

Des actions complémentaires
Le moteur de mon engagement, et de celles et ceux avec qui je le vis, c’est la réponse inexistante face à l’urgence climatique. Je vois mon militantisme chez Extinction Rebellion comme une façon de lancer l’alerte face aux entreprises écocidaires et aux politiques inadaptées.
Même si nous ne sommes qu’une goutte d’eau dans l’univers militant, nous complétons par exemple l’action de Notre Affaire à Tous qui poursuit des entreprises en justice, ou celle de plaidoyer de Greenpeace.
Au sein du groupe local, nous choisissons collectivement où nous mettons le curseur de radicalité de nos actions selon l’objectif final visé — informer les citoyens, médiatiser un sujet, mettre à l’arrêt un site industriel… — et les risques juridiques que nous sommes prêts à prendre. Par exemple, en 2021, nous avons organisé une campagne pour dénoncer le projet EACOP de Total en Ouganda : « Le Dernier Baril ».
Les premières actions relevaient de la sensibilisation des citoyens : nous avons collé des affiches sur les banques qui financent Total et nous avons effectué une action théâtrale devant l’Opéra3 à Lyon le 23 octobre 2021. Nous avons versé du faux sang sur la place et déclamé un texte pour expliquer pourquoi nous étions là.
La deuxième action était un peu plus engagée : le 20 novembre nous avons bloqué l’accès à des stations-essence en mettant des cadenas sur les pompes. Nous n’avons rien abimé, mais nous avons empêché temporairement l’utilisation de ces pompes et tagué les stations pour exprimer symboliquement notre défiance envers TotalEnergies.
La troisième action était la plus risquée juridiquement : nous avons tenté de bloquer le port Édouard-Herriot, la porte d’entrée pétrolière qui alimente tous les jours les stations-essence de notre région. Le 3 octobre dernier, 8 militants ont été jugés pour la dégradation d’une station- service dans le cadre de cette campagne. Les peines prononcées ont été légères4 notamment parce que les juges ont estimé que nos actions relevaient « de l’exercice de la liberté d’expression sur un sujet d’intérêt général » et que notre avocate a plaidé « l’état de nécessité »5 .
De fait, chacune de nos actions nous semble légitime et nécessaire face aux dangers tout à fait tangibles que sont l’urgence climatique et l’extinction du vivant. Désobéir quand une loi est injuste, cela me paraît légitime.
De fait, chacune de nos actions nous semble légitime et nécessaire face aux dangers tout à fait tangibles que sont l’urgence climatique et l’extinction du vivant.
En cela, nous nous inscrivons dans une longue tradition : la désobéissance civile non violente est vieille comme le monde. Les actions conjointes de Malcolm X et Martin Luther King, les défenseurs du Larzac dans les années 1980, les faucheurs volontaires : tous défendaient un changement radical de modèle de société avec les mêmes méthodes que celles que nous utilisons aujourd’hui.
- 1Observatoire des Multinationales, Les principaux bénéficiaires des dividendes du CAC 40 en 2021, 2022.
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- 3Jusqu’en décembre 2021, le groupe TotalEnergies était mécène de l’Opéra de Lyon.
- 4Le 3 octobre 2023, 8 militants défendus par Maître Adeline Dubost étaient jugés pour la dégradation d’une station-service. Le 18 octobre, le tribunal judiciaire de Lyon a prononcé la relaxe de 5 d’entre eux, tandis que les 3 autres ont été condamnés à 300 euros d’amende avec sursis pour « dégradation ou détérioration légère d’un bien d’autrui ».
- 5L’état de nécessité est une disposition pénale, définie à l’article 122-7 du Code pénal, qui précise que « n’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien. »