Associations et démocratie

Partiel, multiforme, règlementaire et intéressé : le soutien émietté de l’État aux associations

Tribune Fonda N°263 - Jeunes aidants : engagés de fait ? - Septembre 2024
Mathilde Renault-Tinacci
Mathilde Renault-Tinacci
Et Emmanuel Porte, Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP)
Le soutien financier important que l’État apporte de longue date aux associations ne constitue pas la seule modalité de son appui en leur faveur. De 2019 à 2022, l’INJEP a mené l’enquête auprès de plusieurs ministères, organismes d’État, fédérations et têtes de réseaux pour éclairer la diversité des objectifs et des modalités de ce soutien au-delà des aspects strictement financiers. Après une présentation des objectifs de l’État en matière de soutien, le rapport qui en est issu propose une typologie autour de quatre grandes formes de soutien de l’État à la vie associative : partiel, multiforme, centré sur la reconnaissance et intéressé.
Partiel, multiforme, règlementaire et intéressé : le soutien émietté de l’État aux associations
Séance plénière du Haut Conseil à la vie associative présidée par Prisca Thévenot, secrétaire d’Etat chargée de la vie associative, le 7 décembre 2023 © Haut Conseil à la vie associative (HCVA)

Mathilde Renault-Tinacci et Emmanuel Porte (INJEP), Le soutien national à la vie associative. Enquête exploratoire d’une action publique émiettée, Paris, INJEP, coll. « Notes & rapports », 2024.

→ Lire l'article précédent Mathilde Renault-Tinacci et Emmanuel Porte, « Soutien de l’État aux associations en France : une politique publique en filigrane ? », Tribune Fonda n°262, juin 2024.

LES OBJECTIFS DES POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT DE LA VIE ASSOCIATIVE 

Les matériaux recueillis lors de l’enquête1  permettent de regrouper les objectifs de développement de la vie associative poursuivis par les services de l’État autour de quatre grands axes que nous avons choisi de qualifier et nommer en reprenant le vocabulaire régulièrement mobilisé par les acteurs du champ. 

Que veulent réaliser les bureaux ou services considérés en soutenant le monde associatif2  ? En dépit de ces grands objectifs, le soutien de l’État en faveur des associations se fait de plus en plus sous une forme privatisée — souvent prise en charge par les têtes de réseaux — mais aussi distanciée comme le montrait déjà Simon Cottin-Marx3  à propos du dispositif local d’accompagnement (DLA). 

Partiel, multiforme, règlementaire et intéressé : le soutien émietté de l’état aux associations

CONSOLIDATION : PÉRENNISER LES STRUCTURES ASSOCIATIVES 

Le premier objectif dit de « consolidation » regroupe les pratiques qui ont vocation à pérenniser la structure associative sur le long terme en la rendant robuste. 

Que veulent réaliser les bureaux ou services considérés en soutenant le monde associatif ?

Il s’agit d’un accompagnement à la professionnalisation afin que la structure soit en capacité de répondre aux besoins sociaux et à la politique publique dans laquelle elle s’inscrit sur le long terme. 

On y retrouve l’accueil information qui permet à une association de trouver l’accompagnateur spécialisé qui saura répondre à son besoin, comme Helloasso pour l’aide au numérique. 

Il existe également le soutien financier au fonctionnement ou au projet ou encore la montée en compétences du collectif via de la formation. Une maison des associations (MDA) pourra par exemple proposer une formation sur le management horizontal ou sur le droit du travail. 

MAILLAGE : RENFORCER LA COOPÉRATION ENTRE ACTEURS 

Le deuxième objectif dit d’« articulation et maillage » cherche à renforcer la coopération des acteurs publics, privés lucratifs et non lucratifs et leur présence sur un territoire ou dans un même secteur d’activité, comme les pratiques culturelles amateures. 

En dépit de ces grands objectifs, le soutien de l’État en faveur des associations se fait de plus en plus privatisé et distancié.

Cela passe notamment par la transmission d’informations, l’animation de réseaux et l’échange de pratiques entre pairs/ organisations associatives lors d’évènements ou de séminaires et aux échelles communale et départementale, mais aussi régionale.

Ainsi, la sous-direction de la mémoire combattante au sein du ministère de la Défense organise des séminaires avec toutes ses associations des lieux de mémoire qui sont des moments de partage de pratiques, de retours d’expérience. 

L’identification des innovations portées par les associations et leur circulation sur un territoire participe de cette articulation. 

OBJECTIVATION : PRODUIRE DES CONNAISSANCES SUR LE SECTEUR ASSOCIATIF 

Le troisième objectif dit d’« observation et objectivation » recouvre d’une part la production de connaissance sur le secteur associatif. 

Les bureaux ou services ministériels peuvent produire directement cette connaissance — des agents en ont directement la charge — ou bien la financer à l’extérieur. 

Dans le cas le plus fréquent, les études ou enquêtes sont produites par des cabinets d’études, des chercheurs ou des têtes de réseaux, à l’instar de l’étude sur les modèles socioéconomiques des associations de solidarité internationale réalisée par Coordination Sud et financée par l’Agence française de développement (AFD). 

Cet objectif comprend d’autre part, les espaces de réflexion collective entre services ministériels et associations où sont discutés les orientations de la politique publique ou ses effets. L’organisation et l’animation de ces espaces sont prises en charge par les bureaux ou directions ministériels concernés. 

LÉGITIMATION : RECONNAÎTRE LES STRUCTURES ET LEURS PROJETS 

Le quatrième objectif appelé « reconnaissance » recouvre l’ensemble des procédures de reconnaissance des structures associatives et/ou de leur projet. 

La reconnaissance des structures peut prendre la forme d’agréments comme celui de la jeunesse et d’éducation populaire (JEP), d’une réglementation par décret comme avec France Assos Santé ou de la reconnaissance d’utilité publique (RUP) donnée par le ministère de l’Intérieur. 

Les pouvoirs publics reconnaissent les activités avec des labels ou des prix comme le Trophée de l’ESS. 

La création d’instances de concertation dans le cadre d’une politique publique avec le secteur — de nature le plus souvent consultative — constitue une autre pratique relative à la légitimation du secteur associatif. On retrouve par exemple des instances comme le Comité national de sécurité routière ou le conseil d’orientation des politiques de jeunesse (COJ).

UNE TYPOLOGIE DU SOUTIEN ET DES RELATIONS DE L’ÉTAT À LA VIE ASSOCIATIVE 

Les grands objectifs des services ou bureaux ministériels ne suffisent pas à décrire la complexité du soutien de l’État à la vie associative. 

Aussi, une typologie du soutien de l’État aux associations a été élaborée en cherchant à faire tenir ensemble de nouveaux paramètres tels que les contenus et pratiques d’accompagnement, la relation État/association4  et enfin le degré de couverture des objectifs des bureaux ou services ministériels précédemment décrits quant au développement de la vie associative pour leur périmètre respectif. 

Quatre types de soutien de l’État sont relevés : une relation de compagnonnage, négociée, réglementaire et financière. 

UNE RELATION DE COMPAGNONNAGE 

On ne retrouve dans cette forme de soutien qu’une partie des objectifs cités précédemment. Il s’inscrit par ailleurs dans des relations de longue durée et structurantes pour les activités, à la fois celles du bureau ou service ministériel, mais également des têtes de réseaux ou associations. 

Quatre types de soutien de l’État sont relevés : une relation de compagnonnage, négociée, réglementaire et financière.

Ce type est caractérisé par l’objectif de consolidation5  mais également par celui de l’articulation et du maillage. Les associations ont ici souvent un lien historique avec le bureau ou service de l’État et leur continuité respective est dépendante l’une de l’autre.

Par exemple, le bureau des politiques et de l’action locale de la délégation à la sécurité routière au ministère de l’Intérieur ainsi que le bureau dédié aux pratiques amateures au sein du ministère de la Culture gardent des relations partenariales avec un même vivier associatif qui tend parfois « à s’essouffler » au niveau de la capacité de « représentation » des fédérations associatives, ou de leurs liens avec les publics ou les bénévoles. 

« Finalement cela ressemble à ça, une sorte d’entraide, plus que vraiment quelque chose de structuré et de mis en place au niveau d’une politique nationale », nous indique la cheffe de bureau des pratiques et de l’éducation artistique et culturelle à la Direction générale de la création artistique du ministère de la Culture. 

Les bureaux vont même jusqu’à prolonger la vie de certaines fédérations sur le déclin, qu’il s’agisse d’un déclin financier ou de l’engagement bénévole. 

En effet, de la survie d’une partie de ces acteurs associatifs dépend le déploiement de certaines politiques. Par exemple, il est impensable de mener une politique de prévention routière sans l’Association Prévention routière. 

UNE RELATION NÉGOCIÉE 

Le soutien est multiforme, car il recouvre tous les objectifs précédemment identifiés. La relation est négociée et réflexive en ce que la contribution des acteurs associatifs à l’élaboration et/ou au suivi des politiques publiques qui les concernent est déterminante.

Ce type est caractérisé par un soutien qui recouvre les quatre grands objectifs présentés : consolidation, observation, articulation, reconnaissance. Des formations sont réalisées en direct par les services de l’État ou réalisées par des opérateurs associatifs ayant une aire d’intervention nationale. 

C’est le cas des ONG françaises financées par l’Agence française de développement (AFD), principal opérateur du ministère des Affaires étrangères. La tête de réseau Coordination Sud porte ainsi le Fonds de renforcement institutionnel et organisationnel (FRIO). 

Une animation nationale autour d’une question technique peut être réalisée comme cela a été le cas pour la direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA) avec un séminaire des parties prenantes autour de la question de l’évaluation des associations. 

Des labels comme les points d’appui à la vie associative6  ou des agréments reconnaissent également la place des associations au sein de la politique publique. Une place importante est donnée à la fois à la connaissance du secteur associatif, ses besoins, son fonctionnement, et à la réflexivité autour du déploiement d’une politique publique particulière comme avec la partie études et capitalisation du FRIO. 

Le secteur est fortement invité à contribuer au cadre de la politique publique au niveau national même si cette invitation s’adresse surtout aux confédérations ou grandes têtes de réseaux. 

La place du soutien à l’initiative associative y est particulièrement importante : l’AFD a par exemple un dispositif de soutien appelé « dispositif initiative Organisation de la société civile (OSC) » qui « reconnaît le droit d’initiative et l’indépendance des OSC » lorsqu’elles proposent des projets à financer. 

UNE RELATION RÉGLEMENTAIRE 

Le soutien vise ici à reconnaître le monde associatif dans ses missions d’intérêt général. Cette relation peut être qualifiée de réglementaire dans le sens où elle s’articule à une procédure administrative et de mise en conformité vis-à-vis du cadre prescrit par le ministère. Ce type est caractérisé par l’objectif de reconnaissance des associations déployé au moyen d’agréments, des labels ou des rescrits. 

Les autres dimensions du soutien y sont quasi-absentes ou absentes. Les seuls accompagnements observés relèvent d’une aide au remplissage de dossier dans le cadre d’une procédure administrative et de transmission d’informations relatives à la démarche débutée. 

Dans de rares cas, les bureaux ou services renvoient vers des dispositifs de soutien au secteur de type maison des associations ou encore dispositif local d’accompagnement (DLA). 

Un exemple peut illustrer ce type de soutien : la demande d’un agrément pour la représentation des usagers du système de santé dans le cadre de la participation des associations à la démocratie sanitaire effectuée auprès de la Commission nationale d’agrément, division droits des usagers, affaires juridiques et éthiques au ministère de la Santé et des Solidarités. 

Toutefois, cette relation positionne le secteur associatif comme un levier/ agent des politiques ministérielles menées par d’autres bureaux ou services, dans le cas de la solidarité internationale, santé, ou transversales dans celui de l’intérêt général en droit fiscal. La légitimité de l’État renforce l’action de l’association et réciproquement7

Mathilde Renault-Tinacci lors des rencontres nationales de l’Institut français du Monde associatif (IFMA) en décembre 2022.  L’IFMA a été créé en 2019 pour promouvoir et développer la connaissance du monde associatif. © IFMA

UNE RELATION FINANCIÈRE 

On retrouve ici une forme de soutien principalement liée à la consolidation des organisations associatives notamment au travers de l’appui financier aux projets. 

Il s’agit d’un soutien indirect au secteur, car la volonté d’appui, de structuration du secteur est secondaire et ne passe que par des appels à projets. Des conseils peuvent être fournis ponctuellement, de manière bilatérale : ils concernent des notions mobilisées par le bureau ou le service ministériel dans l’appel à projets, la reddition de compte ou encore des éclaircissements juridiques.

 L’articulation et le maillage d’acteurs, les pratiques d’observation/objectivation ou de reconnaissance y sont très souvent absents.

 Le soutien au monde associatif vise à l’aboutissement d’une politique publique principalement via son financement. Il en constitue le moyen aux côtés d’autres opérateurs comme les collectivités territoriales ou encore les entreprises lucratives. 

On y retrouve par exemple le bureau de l’action pédagogique et de l’information mémorielle (BAPIM) de la Direction des patrimoines, de la mémoire et des archives au ministère des Armées. 

Le BAPIM ne pratique pas de convention pluriannuelle d’objectifs (CPO) avec le secteur associatif et n’a pas connaissance des dispositifs de soutien interministériel vers lesquels ils pourraient orienter les associations nécessiteuses. Le monde associatif est soutenu aux côtés d’acteurs publics et les projets originaux sont valorisés sur les supports de la direction. 

CONSTITUER UNE CULTURE COMMUNE 

Finalement, la diversité des formes de soutien au secteur est imbriquée aux dynamiques relationnelles et collaboratives État/associations plus ou moins instituées dans le temps. 

Au regard de ce travail, il semble pertinent d’approfondir le rôle de la production de connaissance sur le monde associatif dans des logiques de partenariat et d’accompagnement. 

En effet, cette dimension apparaît comme le parent pauvre des politiques de soutien au secteur. Pourtant la constitution d’une culture commune entre acteurs publics et tête de réseaux est déterminante pour consolider l’action publique dans le respect des libertés associatives.

  • 142 entretiens semi-directifs ont été réalisés entre 2019 et 2022 auprès de 15 ministères et organismes d’état, 19 fédérations et têtes de réseaux et 8 acteurs spécialisés de l’accompagnement. Chaque entretien a été enrichi par l’analyse de documents transmis par les enquêtés eux-mêmes à la fin de l’échange (rapports d’activités, doctrine de financement des associations, appels à projets, etc.)
  • 2Le soutien recouvre dans cette enquête une combinaison de pratiques d’accompagnement, des formes de relations État/associations qui s’inscrit dans de grands objectifs de développement de la vie associative au niveau national.
  • 3Simon Cottin-Marx, Professionnaliser pour « marchandiser » (et inversement) : quand l’État accompagne les associations employeuses, thèse de doctorat, 2016.
  • 4Éléments de coercition et existence d’espaces de négociation et d’initiatives pour les organisations, habitudes de travail, etc.
  • 5Surtout avec un support financier par appels à projets ou convention pluriannuelle d’objectifs (CPO) ou subventions.
  • 6Les PAVA devenus Guid’asso.
  • 7Valérie Chigot, « La démocratie sanitaire : une réponse néocorporatiste française à la demande de participation », Les tribunes de la santé n°64, 2020.
Analyses et recherches