Associations et démocratie

Mon territoire, c’est mon réseau

Tribune Fonda N°223 - Territoires et réseaux : vers de nouvelles structurations - Septembre 2014
Yannick Blanc
Yannick Blanc
Éditorial de la Tribune Fonda n°223
Mon territoire, c’est mon réseau


Au siècle dernier, le territoire était une notion militaire désignant un espace délimité par des frontières, à défendre ou à conquérir. On connaissait alors la « défense opérationnelle du territoire » et la « direction de la sûreté du territoire », plus connue comme la DST. Les années 1960 virent alors naître l’aménagement du territoire, notion que l’on peut qualifier de civilo-militaire, civile par son objet – construire des infrastructures et des équipements, répartir l’activité industrielle dans le pays – militaire par sa méthode – un travail d’état-major conduit en petit comité par la DATAR et s’exécutant par la projection de forces économiques sur le territoire national. 

Aujourd’hui, lorsque l’on parle de territoires, au pluriel, il s’agit de tout autre chose. Ce mot, par son indétermination géographique et institutionnelle, en dit long sur l’obsolescence des découpages et des frontières. Les territoires sont indistinctement des quartiers, des communes, des agglomérations, des bassins de vie ou d’emploi, des départements, des régions et bien entendu des espaces communs à plusieurs de ces entités.

Chaque territoire correspond en fait au périmètre d’action, d’influence ou de connexion d’un acteur ou d’un groupe d’acteurs. Le territoire ne se définit donc plus par ses frontières mais par les flux qu’il génère ou qui le traversent. Les cartes de géographie de mon enfance étaient des à-plats de couleur pastel délimités par des traits noirs. Les cartes de Territoires 2040, le dernier exercice de prospective de la Datar, montrent des pôles de diamètre variable reliés par des flux plus ou moins épais.

Les territoires sont des nœuds de connexions. On dit beaucoup que les métropoles concentrent le potentiel de croissance parce que les connexions y sont plus denses, plus fréquentes. C’est oublier un peu vite qu’une fois franchie la barrière de l’accès au réseau (ce qui est aujourd’hui possible partout grâce au satellite), l’intensité des connexions n’est pas seulement affaire de hasard ou d’opportunité, mais aussi d’intensité des relations humaines.

« Local is the ultimate universal » disait le philosophe américain John Dewey, non pour célébrer les vertus indépassables de la communauté locale, mais pour suggérer que c’est à partir de l’expérience de sa communauté humaine que l’individu construit sa capacité à s’ouvrir à l’universel. Le chaînon manquant entre le territoire qui m’accueille et le réseau virtuel infini de mes connexions, c’est bien sûr l’associativité, l’action menée avec mon semblable au profit de mon prochain.

Les associations s’inquiètent beaucoup, ces temps-ci, des conséquences qu’aura sur elles la réforme territoriale. Elles ont tort car la réforme ne modifiera ni la vitalité des territoires ni leur capacité à se connecter à d’autres.

En éloignant les centres de pouvoir régionaux, en diminuant le nombre et la puissance financière des leviers d’action des collectivités locales, la réforme déconstruit une tradition multiséculaire d’administration des territoires au profit de nouvelles formes de structuration en pôles, en réseaux, en filières, qui feront appel avant tout à la capacité associative des acteurs publics et privés. La zone d’incertitude ainsi créée n’appelle ni l’attente ni l’inquiétude mais l’anticipation et l’initiative.

Les territoires sont libres de s’organiser en réseaux d’acteurs, comme le démontrent déjà les pôles de compétitivité et les pôles territoriaux de coopération économique ; les acteurs sont libres de choisir leurs territoires selon leurs projets : quartiers, bassins, pays, agglos peuvent former autant d’archipels de coopération et de solidarité.

Depuis le temps qu’on nous bassine avec la compétitivité des territoires, on pourrait peut-être s’intéresser aussi à leur collaborativité...

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