La Fonda remercie Alice Barbe, co-fondatrice de Singa, pour cette contribution.
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405 millions. C’est le nombre de personnes déplacées de force estimées d’ici à 2050, en majorité du fait du réchauffement climatique. Des femmes et des hommes qui vont quitter leur pays dans des conditions extrêmes, et seront ensuite appelées réfugiés.
Derrière ce mot, combien de fantasmes ? Combien de stéréotypes ? Combien de peurs ?
Le terme réfugié fait débat depuis quelques dizaines d’années. Utilisé en politique, notamment dans un contexte d’extrême polarisation, il divise et déchaîne. Dans un monde hyper-connecté, dans lequel la notion de frontière cristallise les passions, la question de la migration forcée et du mouvement des humains apparaît comme l’un des plus grands challenges du XXIe siècle.
L’Europe doit faire avec.
Une des réactions politiques à la migration est celle choisie par Donald Trump à de nombreuses occasions (décret anti-immigration, proclamation de l’état d’urgence à la frontière Mexicaine pour la construction d’un mur frontalier), Matteo Salvini en Italie (adoption d’une loi anti-migrants), Bolsonaro élu au Brésil (retrait du Pacte mondial sur les migrations) et tant d’autres, consiste à refuser catégoriquement l’immigration. À faire peur et faire plus de bruit que les autres.
Dans pratiquement tous les pays de l’Union européenne, les discours populistes et nationalistes cristallisent les passions autour de la question migratoire. Pourtant les démocraties européennes sont un refuge contre la dictature, une promesse d’équilibre et de paix pour de nombreux exilés.
Dans un contexte politique tendu, Singa se positionne dans une voie qui pose la question du « nous » commun. Les humains se déplacent, et les guerres, les famines, les persécutions, les dérèglements climatiques sont les causes de ces déplacements. La question n’est plus de savoir si on est pour ou contre les réfugiés, mais bien comment les nouveaux arrivants vont faire partie des sociétés qui les accueillent, pas seulement en tant que victimes de persécutions, mais aussi en tant que citoyens à part entière.
Née en 2012 à Paris, Singa a pour objectif de créer des liens entre nouveaux arrivants et société d’accueil. Sous la forme d’un mouvement citoyen et portée par des valeurs de collaboratif, d’impact et d’empowerment, l’organisation fonctionne autour de deux piliers.
Singa permet à chacun, quelle que soit son histoire, de vivre ses passions et de faire des rencontres. Les personnes réfugiées ou demandeuses d’asile, ou tout autre statut (d’où le terme de « nouvel arrivant »), sont « matchées » (mises en correspondance) via un algorithme avec des « locaux » puis vont organiser ou participer à des activités.
Près de 2000 événements ont été organisés en 2018 par 30 000 personnes, pour rire, collaborer ou cohabiter. Ce sont les membres de la communauté qui les organisent, autour de ce qui les rassemblent, ce qu’ils ont en commun, par exemple la course à pieds, la cuisine, la musique, le bon vin.
Pourquoi mettre la rencontre au cœur de l’enjeu migratoire?
La communauté Singa a deux types d’impact : le premier est la création d’un capital social, un réseau, pour les nouveaux arrivants. Grâce à ce réseau, ces derniers peuvent accélérer leur apprentissage du français, faciliter leur recherche d’emploi et trouver des opportunités de logement plus simplement. La mesure d’impact de Singa, réalisée avec (Im)Prove, a montré que plus une personne réfugiée rencontre de locaux, plus elle sera rapidement « intégrée ».
En parallèle, plus un local connait de nouveaux arrivants, plus ses perceptions envers la migration sont positives, tant pour lui que pour son entourage, ce qui permet de changer le narratif.
Révéler les potentiels de chacun
Le second pilier de l’action de Singa s’appuie sur la création d’entreprise ou de projets à impact. Avec sept incubateurs, un accélérateur et un espace de co-working, Singa accompagne l’émergence, la création et le développement de projets liés à la migration, portés par des nouveaux arrivants et des locaux. Si les personnes réfugiées et nouveaux arrivants peuvent choisir l’entrepreneuriat comme solution face aux différentes barrières rencontrées à leur arrivée en France (langues, diplômes, réseau social), ou résultant de la frugalité liée à l’exil, il n’en demeure pas moins que de nombreuses compétences, ou tout simplement point de vue différent, peuvent révolutionner l’économie des pays d’accueil.
De plus, les idées nées des rencontres entre locaux et nouveaux arrivants, particulièrement depuis 2015, ont permis à de nombreuses organisations liées à la migration de naître et de bousculer le statu quo, comme Wintegreat, Natakallam, Meet My Mama ou encore Kodiko.
La migration n’est pas une crise, c’est une opportunité.
Singa est aujourd’hui présente dans vingt villes européennes, en France, Suisse, Belgique, Royaume-Uni, Italie, Espagne, Allemagne, et vise à se développer autant que possible. Chaque citoyen souhaitant créer un Singa dans sa ville est en mesure de le faire. Nous sommes persuadés que le changement viendra du terrain, de la mobilisation, et de l’émergence de solutions collaboratives.
Les mouvements citoyens européens seront la clé d’un meilleur accueil et d’un changement de paradigme autour de la question de l’exil. Ce sont eux, locaux et nouveaux arrivants, qui construisent l’Europe de demain. L’impulsion citoyenne est déjà là, avec de nombreux mouvement de mobilisation de communautés, qui petit à petit changent la donne.
Tant à l’échelle citoyenne qu’au sein du secteur privé, la migration va impacter le continent. Le parti pris de Singa est de faire en sorte que toutes les conditions soient réunies pour que cet impact soit le meilleur possible, partout, avec tous. En créant des communs, en racontant des histoires, en concevant des expériences de la rencontre, en révélant le potentiel, parfois caché ou sous-estimé, de tous.