Enjeux sociétaux

Médiation culturelle : l'affirmation collective d'un métier

Tribune Fonda N°206 - Dynamiques et mutualisations interassociatives - Décembre 2010
Gabriel d' Elloy
Gabriel d' Elloy
Synthèse d'une expérimentation menée par Gabriel d'Elloy, chargé de mission à la Fonda, sur les questions de médiation culturelle et sociale notamment par l'appropriation des travailleurs sociaux de cette thématique.
Médiation culturelle : l'affirmation collective d'un métier

Cet article relate l'histoire d’une dynamique fédérative en lien avec l'émergence d'une réflexion collective autour d'un nouveau métier. Dès le début des années 1980, il est fait état du rôle croissant qu’assument les « femmes-relais » dans les procédures d’intégration des populations d’origine étrangère, même si la terminologie est encore incertaine (femmes-relais, personnes ressources, leaders communautaires, etc.), même si la fonction reste à mieux cerner (médiation culturelle ou interculturelle), Des chercheurs s’interrogent d’emblée sur la « nature de la mission assurée par les femmes relais (…) ces intervenants extérieurs auxquels les travailleurs sociaux ont recours, lorsqu’une situation implique des éléments culturels complexes ou que des ruptures de dialogue crispent les relations les populations étrangères et les institutions du pays d’accueil ».

1993 : création par Simone Veil de 1 000 Ces pour les femmes-relais.

1995 : mise en place d’un groupe de travail par Profession Banlieue autour de la fonction des femmes-relais, avec des associations de Seine-Saint-Denis.

1997 : écriture du référentiel « femmes-relais », par ce groupe de travail animé par l’Irts de Paris.

1998 : ce groupe de travail poursuit sa recherche dans deux directions : – faire reconnaître par les pouvoirs publics ce « nouveau » métier de ville (en travaillant plus particulièrement autour de quatre items concernant la professionnalisation de la fonction de femme-relais : appartenance ethnique, appartenance au quartier, genre, déontologie professionnelle) ; – s’associer à un projet européen de compréhension des processus d’intégration et analyser la place spécifique des femmes migrantes. Repérage de la « plus-value » qu’apportent les femmes-relais sur la base d’entretiens. élargissement du groupe à l’ensemble des structures supports d’activités de médiation sociale et culturelle travaillant en Seine-Saint-Denis.

1999 : le groupe de travail poursuit son analyse de la fonction de médiation sociale et culturelle et de sa perception par les usagers, les chefs de service et les financeurs. Les résultats des travaux sont présentés lors d’une rencontre de Profession banlieue « Femmes-relais : quelle place dans l’intervention sociale ? ». Il apparaît que le véritable objet du débat n’est pas tant la reconnaissance des femmes-relais que la recomposition des fonctions et donc des métiers du travail social.

La création d’un réseau fédéral d’associations de femmes-relais

2000 Création de la Fédération des associations de femmes-relais de Seine-Saint-Denis, le 7 mai, avec les objectifs suivants :

  • défendre la fonction de femme-relais comme un véritable « travail » qui nécessite donc formation et professionnalisation ;
  • poursuivre la réflexion sur la professionnalisation, questionner et analyser les pratiques et s’attacher aux conditions de pérennisation ;
  • œuvrer pour une reconnaissance officielle des pouvoirs publics des conclusions des travaux du groupe.

La Fédération naît de la volonté d’associations et de l’organisation de Seine-Saint-Denis de se rapprocher pour être des partenaires plus efficaces de la mise en place et du développement des femmes-relais. Il s’agit de :

  • se positionner comme structure d’accompagnement et de soutien aux associations de femmes-relais qui se créeraient sur le département, suite à l’annonce (circ. du 6.12.1999) de 10 000 postes d’adultes-relais, dont plus de 2 000 en Ile-de-France ;
  • intervenir dans les débats autour de la mise en place des adultes-relais6.

Au départ, la Fédération regroupe neuf structures membres : l’Association des médiatrices socio-culturelles de Pantin ; Arifa de Clichy-sous-Bois et Montfermeil ; les Agents de promotion de la vie sociale (Bondy) ; Arc-en-ciel du Londeau (Noisy-le-Sec) ; l’Association des femmes-relais médiatrices interculturelles (Bobigny) ; Adesi (Villepinte) ; l’Association communautaire Santé–Bien-être (Saint-Denis) ; l’Association des femmes médiatrices d’Aulnay-sous-Bois et Profession Banlieue.

En juin 2000 a lieu un colloque au Collège de France sur « la médiation sociale et culturelle : enjeux professionnels et politiques. L’exemple des femmes-relais, promotrices de l’intégration des migrants », c’est l’aboutissement du projet européen initié avec quatre partenaires européens (Belgique, Pays-Bas, Italie, Allemagne). Cette année-là, la Fédération prend aussi l’initiative d’une action de formation pour douze femmes-relais, encadrée par l’Irts et financée par la Délégation des droits de la femme sur Fse.

2001 La Fédération des associations centre son travail sur la formation, engageant les associations de femmes-relais à poursuivre une dynamique de qualification avec :

  • une formation spécifique des femmes-relais de Seine-Saint-Denis ;
  • une courte formation à la vie associative sur le fonctionnement des instances démocratiques d’une association et sa gestion financière ;
  • une journée des adultes-relais de Seine-Saint-Denis est organisée.

2002 – Suite au bilan de la première formation de femmes-relais, des ajustements sont proposés ; – parallèlement, avec l’Afpa, Profession Banlieue poursuit les discussions pour une validation de la formation, à travers des diplômes d’agent de médiation, information, service (Amis, niveau V), ou de technicien médiation service (Tms, niveau IV) et participe à un travail de la Div sur un référentiel de la « médiation sociale » est rendu public avec le Crepah, pour qu’il soit davantage centré sur les fonctions de proximité, de rétablissement de la communication ou de médiation sociale et culturelle plus que sur des fonctions de sécurisation de l’espace public, des transports ou des halls d’immeubles ; – accompagnement de la réflexion des associations, fortement interpelées par les administrations comme par les femmes elles-mêmes sur l’accompagnement des femmes polygames en vue de leur décohabitation ; – participation des associations à une rencontre régionale sur « les médiations sociales et culturelles en Ile-de-France », dont l’objectif était de valoriser l’apport des médiations sociales et culturelles dans les domaines de l’école, de la santé et de la justice. événement notable quant au développement de contacts et d’un réseau au niveau régional.

2003 Lors des formations de femmes-relais, l’importance d’un groupe de travail sur une charte de déontologie est mise en évidence. Il s’agit aider les femmes-relais à se positionner vis-à-vis des partenaires institutionnels et des usagers, à clarifier les limites de leur intervention, ainsi que les fonctions d’encadrement des directions d’association. Conçue comme une démarche formatrice, cette réflexion collective permet de confronter les points de vue sur la particularité du métier de femme-relais et ce qui le différencie de la médiation.

2004 Le groupe en charge de la construction de la charte de déontologie poursuit son travail et une rencontre sur la charte de déontologie des femmes-relais/médiatrices de la Seine-Saint-Denis, est organisée. Il en ressort la nécessité de développer le secret professionnel et la confidentialité, la neutralité et l’impartialité.

2005 Le groupe achève la charte de déontologie, avec l’appui et la consultation de personnalités extérieures. Point sensible, la question du secret a été largement débattue, comme faisant partie de la pratique quotidienne, permettant de participer à des réunions sans être instrumentalisés par certains acteurs ; ainsi, les structures employeurs se voient devant l’obligation d’inscrire l’intervention des femmes-relais dans le cadre du secret professionnel. – Les femmes-relais ont désormais, dans le cadre de la validation des acquis de l’expérience, la possibilité de passer le diplôme de « technicien médiation service » (niveau IV), mis en place par l’Afpa. Une formation de soutien est proposée par l’Irts.

2006 à l’occasion de la publication Principes déontologiques, dix ans après celle du Référentiel des femmes-relais (1995), Profession Banlieue organise une rencontre sur le thème « Médiation sociale et culturelle : un métier, une déontologie ». Elle constitue une nouvelle étape vers la reconnaissance du métier : « Telle est la spécificité du médiateur, qu’il ne partage avec aucun autre acteur social, telle est sa compétence essentielle : les explorations que lui-même a faites de recherche d’additions, de compromis, de négociations internes avec lui-même et avec son entourage (groupe, famille, conjoint, enfants). » – La mise en place de la formation des femmes-relais médiatrices se poursuit, en vue de l’acquisition du titre de « technicien médiation service » dans le cadre de la Vae.

2007 La formation qualifiante (420 heures) à la médiation sociale et culturelle pour obtention du titre de « technicien médiation services », est présentée dans le cadre de la Vae. – Groupe de travail sur les relations professionnelles des femmes-relais avec les assistants sociaux des circonscriptions du département : dépasser la méconnaissance, mieux cerner les spécificités, le rôle et la place de chacun pour un meilleur travail en partenariat et en complémentarité.

2008 Ce groupe de travail s’est conclu par une journée d’échanges entre les femmes-relais de Seine-Saint-Denis et les responsables des circonscriptions de service social, pour construire une relation de travail plus pérenne, complémentaire et partenariale. – Nouveau cycle de formation qualifiante à la médiation sociale et culturelle pour obtention du titre de technicien médiation services, présenté dans le cadre de la Vae. – L’assemblée générale définit les orientations suivantes :

  • mieux connaître les activités de médiation entre femmes-relais ;

  • favoriser la reconnaissance de la médiation sociale et culturelle auprès des partenaires ; éducation, santé, travail social ;

  • soutenir associations et salariés face à la sortie du dispositif adulte-relais, avec l’arrivée à échéance des contrats de 2000.

  • participer à la création de France Médiation, réseau national des médiateurs sociaux.

 

Les interrogations autour d’un nouveau type d’intervention

Dès le début des années 1990, des initiatives de médiation culturelle et sociale ont été prises, par des travailleurs sociaux, mais aussi des militants associatifs, des réseaux de connaissances ou des habitants qui souhaitent venir en aide à d’autres. La montée en responsabilité des femmes-relais, généralement issues des populations d’origine étrangère, a d’emblée soulevé une série de questions, renvoyant à des points de vue parfois divergents :

– Comment définir et mieux cerner les responsabilités de femme-relais ? Comment situer les femmes-relais parmi les acteurs sociaux, médicaux, éducatifs, politiques et administratifs ? Comment instruire des partenariats de travail efficaces ?

– Faut-il construire un nouveau métier de femme-relais dans le champ de l’intervention sociale ? Ou bien s’agit-il de la recomposition d’une fonction préexistante ? Pour aller vers une professionnalisation, comment définir un référentiel et les cadres statutaires et institutionnels de cette profession ?

– Quelle formation de femme-relais proposer, en matière de connaissance de la société française, mais aussi d’un travail sur leur propre identité socioculturelle, leur trajectoire, leur propre processus d’acculturation ?

– Comment faciliter la mise en œuvre du dispositif de validation de l’expérience bénévole et salariée ?

– Quelles instances territoriales développer pour garantir un fonctionnement durable des activités de médiation interculturelle, et pour l’observation de l’intégration et de l’action des femmes-relais, en charge de la médiation interculturelle ?

– Comment garantir un fonctionnement durable de la médiation interculturelle, en échappant aux financements aléatoires et aux emplois aidés ?

– Comment assurer le devenir professionnel de femmes-relais qui, après plusieurs années, souhaitent changer de fonction ou de lieu d’activité ou dont le Cdi n’est pas renouvelé ?

 

Des actions de consolidation du nouveau métier

Les fortes interrogations soulevées par de nouveaux types d’intervention et de métier, les différences et les divergences entre les pratiques des femmes-relais et de leurs associations conduisent les femmes-relais de Seine-Saint-Denis à étayer et consolider leur démarche dans le sens d’une indéniable professionnalisation. Elles lancent ainsi :

– l’élaboration d’un référentiel métier, à partir de situations de travail réelles : tâches, caractéristiques et situations clés, types d’employeurs, marché, etc. « Il existe une fonction de médiation sociale dans les quartiers, à l’interstice des métiers du travail social existants et qu’il convient de structurer par un statut reconnu, validé, permettant au terme d’un processus de qualification d’accéder à un métier » ;

– la formation s’impose comme une priorité, pour que les femmes-relais ne soient ni instrumentalisées par les institutions, ni objet d’appropriation par ceux auprès de qui elles interviennent ; il est indispensable qu’elles restent dans leur fonction de tiers, affaire de déontologie et de légitimité. La formation est à concevoir dans une alternance entre apports pédagogiques et analyse de la pratique ;

– la validation des acquis de l’expérience est un moyen à privilégier, vu le parcours bénévole et salarié des femmes relais ; il importe de construire un dispositif collectif d’accès à la Vae pour dépasser les obstacles et les difficultés de la démarche. Après dix années d’efforts, on constate que la reconnaissance du métier et de la qualification qu’il exige, ainsi que l’inscription dans des financements de droit commun restent problématiques.

 

Analyse de la dynamique de réseau

Motifs de départ

L’émergence du nouveau métier de « femme-relais » n’est pas un accident, loin s’en faut. Les motifs qui président à cette naissance sont de quatre ordres :

► En premier lieu, les limites rencontrées par l’ensemble des intervenants sociaux, médicaux, administratifs français de leurs interventions auprès des populations migrantes de culture étrangère différente : ce que d’aucuns nomment une « panne » du travail social face à des populations qui posent des problèmes de langue certes, mais plus encore de différence de croyances, de valeurs et de normes au regard de la culture et des modèles français.

► En second lieu, des situations de tension, voire de conflit, entre ceux qui défendent une place pour les cultures étrangères et les cadres sociaux, culturels et politiques d’une société d’accueil.

► En troisième lieu, l’évolution de la politique de l’immigration et du contexte socio-économique et urbain en France.

► En quatrième lieu, la ressource que constituent des personnes des communautés étrangères qui ont réussi leur parcours d’adaptation à la société française et qui souhaitent en faire bénéficier leurs compatriotes. écoutons ce qu’en disent deux des pionnières : « Les actions interculturelles des femmes-relais émergeaient, ici et là, à l’initiative de travailleurs sociaux et de militants associatifs, mais aussi de femmes qui se connaissaient ou qui étaient amies et qui décidaient de répondre à ce qui apparaissait comme de réels besoins. Très vite, il est apparu qu’il fallait à la fois : cerner avec d’autres les fonctions et le métier de ces femmes qui s’engageaient dans un travail et des relations de proximité ; étayer l’intervention de ces personnes, les former pour qu’elles acquièrent des compétences. Et c’est ainsi qu’elles ont été aiguillées vers Profession Banlieue. »

 

Enjeux d’intérêt général

Si le nouveau métier de « femmes-relais » rencontre d’emblée un certain succès et une attention des pouvoirs publics, c’est parce qu’il est porté par des enjeux incontestables d’intérêt général et d’utilité sociale : – promouvoir des formes et modes d’approche plus adaptés à l’accueil puis à l’accompagnement de l’intégration des populations migrantes d’origine étrangère et de culture différente, avec des solutions au cas par cas, des aménagements et des accommodements, pour un meilleur accès aux droits et aux services de proximité, pour une meilleure communication, afin d’être acteur à part entière dans la vie sociale et d’acquérir son autonomie dans la société française ; – prévenir l’exclusion sociale en permettant l’expression des habitants et la culture de l’initiative ; – rechercher une solution et un accord dans les situations de confrontation violente entre modèles et références culturelles, au travers de tentatives de conciliation, réconciliation, voire d’élaboration de nouvelles normes ; – accompagner le « choc », la rencontre, le dialogue entre des cultures avec des références différentes, pour une intégration des personnes, sans reniement ni rupture avec leur héritage, là où le respect des identités singulières conjugue aussi des « règles intangibles » de la société d’accueil et de la société d’origine ; – « créer des relations humaines » dans les quartiers et les villes, afin de casser ce qui est perçu et vécu comme des « espaces de relégation » ; promouvoir la vie sociale, provoquer des solidarités, rompre l’isolement ;

– prendre en compte la forte motivation de femmes (ou hommes) qui souhaitent, dans un rôle d’interface, aider leurs compatriotes à dépasser leurs difficultés d’adaptation à la France et à être ainsi acteurs de la cité, notamment dans le cadre de « la politique de la ville sensée favoriser l’émergence d’habitants-acteurs du développement de leur quartier ». C’est en accompagnant le mouvement de professionnalisation que l’on transforme progressivement les femmes-relais en médiatrices sociales et culturelles ; cela procède d’un va-et-vient entre des pratiques émergentes et des politiques publiques (politique sociale, politique de l’emploi, politique de formation ou encore politique de la ville)»; – gérer le face-à-face avec des institutions qui connaissent peu ces nouvelles actrices du social que sont les médiatrices, par ailleurs elles-mêmes peu préparées au dialogue avec les institutions : il s’agit pour elles d’obtenir une reconnaissance des interlocuteurs, de construire la confiance dans le temps, savoir discerner les références et les contraintes des institutions, afin de s’inscrire dans des partenariats et de véritables relations de coopération.

 

Fonction incontournable des associations

Les associations qui portent les médiatrices sont assez différentes par leur objet, leur histoire et leur rattachement institutionnel, selon qu’elles gèrent uniquement des médiatrices, ou qu’elles aient d’autres fonctions, ou qu’elles soient rattachées à un service municipal. En tout état de cause, les associations ont assuré et assurent des fonctions essentielles.

► L’association constitue un cadre de réflexion de la médiation, pour :

  • une définition de la fonction de médiatrice ;
  • l’organisation des interventions de médiation ;
  • la régulation, évaluation et supervision des médiatrices ;
  • une légitimation de la médiation et des médiatrices ;
  • le maintien de l’indépendance des médiatrices.

 

► L’association est un lieu de travail, pour :

  • la formalisation de directives pour les unes,
  • un espace de partage et de décompression pour d’autres,
  • un vecteur d’ouverture et de formation fréquemment.

 

► L’association est aussi une instance d’insertion de la médiation dans la vie associative, par :

  • des « compléments » pour les usagers (ex. cours de français) ;
  • l’appui d’une personne morale, dans certaines situations délicates de médiation (ex. violences faites à enfant). Les médiatrices participent inégalement à la vie de leur association. Par ailleurs, les associations, dans leur diversité, tiennent, depuis le début, une place particulière : « Elles sont dans une position centrale, mais fragile : centrale, parce qu’elles sont le garant d’une certaine indépendance vis-à-vis des institutions et des pouvoirs locaux et parce que la vie associative est le creuset d’une conception de la médiation qui mêle solidarité et neutralité ; fragile, parce qu’elles défendent, à travers cette pratique, une possibilité d’enrichissement mutuel des cadres de références culturels, alors que la tendance dominante voudrait que la médiation aboutisse à l’adoption, par les étrangers et leur descendance, du seul cadre de référence républicain. »

Tout compte fait, le statut associatif a permis au métier de femmes-relais de rester au plus près des réalités de terrain, dans une interface entre l’ensemble des corps constitués et structures de la société française (y compris du travail et de l’intervention sociale) et les situations des familles et des communautés en difficulté d’intégration.

 

Éléments déclencheurs

La place et le rôle du Centre de ressources

À l’origine de la dynamique entre les associations de femmes-relais, il est important de mentionner la place et le rôle assumés par le centre de ressources Profession Banlieue et sa directrice, dans le cadre de l’objectif de professionnalisation et de qualification des acteurs du développement social urbain que le centre s’est donné, depuis sa création au début des années 1990. Bien avant la création de la Fédération des associations de femmes-relais de Seine-Saint-Denis, ce Centre de ressources a perçu la nécessité d’offrir aux associations de femmes-relais un espace de rencontre (local, mais aussi journées de travail), assurant un rôle déterminant dans la dynamique qui va se nouer entre les associations en charge de médiation culturelle en Seine-St-Denis.

« Le centre de ressources s’est toujours appuyé sur : – une conviction : la mise en réseau des professionnels de la politique de la ville comme outil de transformation des logiques d’acteurs. L’échange et la confrontation entre des professionnels issus de villes ou d’institutions différentes permettent l’analyse de la complexité des situations, la recherche de réponses pertinentes et la transformation des pratiques et des métiers ; – un consensus et une volonté pour travailler autrement : l’adhésion des participants. Les différentes instances de travail organisées par Profession Banlieue se sont toujours constituées sur le volontariat des professionnels (…) ;

  • un ancrage territorial : l’inscription géographique en Seine-Saint-Denis, département emblématique de la politique de la ville qui présente des caractéristiques fortes qui sont à la fois atouts et sources de difficulté ;
  • une méthode : la mise en synergie des compétences locales et des chercheurs (…). » Les associations de femmes-relais sont unanimes pour saluer les fonctions qu’a assumé et continue d’assurer Profession Banlieue et qu’elles résument ainsi :
    • être toujours à leurs côtés pour répondre aux demandes d’information, d’aide, de conseil ou de soutien technique, tenant compte des niveaux différents de professionnalisation des associations ;
    • se battre pour ouvrir le droit et l’accès à la formation et à la Vae pour l’obtention d’un titre professionnel, alors même que la majorité des associations n’ont guère de moyens de formation ;
    • promouvoir des groupes de travail commun, offrir des espaces d’échanges et de rencontres, un cadre de travail sérieux ;
    • impulser, « éviter que cela tourne en rond » ;
    • apprendre à connaître la politique de la ville, ses enjeux, ses règles administratives ;
    • bénéficier des ressources et compétences de partenaires (Irts…).

 

L’engagement d’associations militantes

Dès 1995, l’Arifa (Archives de l’immigration familiale), association implantée sur Clichy-sous-Bois et Montfermeil, s’implique fortement dans une dynamique interassociative, convaincue qu’il faut partager des pratiques de terrain et former les femmes-relais. Une médecin de Pmi qui se heurtait à des problèmes de communication avec les femmes d’origine étrangère et rurale avait « fait appel à des amies et relations parisiennes » : elles partagèrent très vite le sentiment que l’immigration familiale devait appeler l’attention non seulement des intervenants sanitaires et sociaux de terrain, mais aussi de chercheurs et d’observateurs des mutations culturelles qui accompagnaient le regroupement des familles d’origine immigrée : « Aller interroger les grands-mères, mères et filles sur leur départ du Maghreb, leur installation en France, la transformation de leurs modes de vie, la transmission de l’histoire familiale et de traditions d’accueil. » – Les responsables des associations de Pantin (Courtillières), Bondy et Noisy-le-Sec (Londeau) ressentent aussi le besoin de se réunir pour confronter leurs expériences et la conviction que naissait, avec les femmes relais, une approche pertinente des différences culturelles.

 

L’implication d’un centre de formation

Enfin, l’implication rapide des responsables de l’Irts de Paris Ile-de-France en réponse à la demande de Profession Banlieue et de celle qui en était alors la directrice a également été un facteur important de la synergie entre les associations de femmes-relais : cet institut de formation initiale et continue de travailleurs sociaux a perçu d’emblée qu’il y avait là une nouvelle forme d’intervention culturelle et social qui dessinait les contours d’un véritable métier, induisant formation et qualification.

 

Relations avec les pouvoirs publics

Au fil de trente années d’expérimentation puis de montée en puissance et en qualification des femmes-relais, il faut constater que les politiques publiques ont campé et campent toujours sur une position ambiguë vis-à-vis des femmes et adultes relais. Cette position est faite à la fois de reconnaissance de l’utilité sociale incontournable de cette fonction et de ce métier dans les quartiers populaires où se rencontrent des cultures différentes ; et de maintien des associations dans une précarité qui ne permet pas de pérenniser les postes et les met dans la situation ubuesque de devoir licencier des Cdi sans pouvoir réembaucher. Plus généralement, de ne pas pouvoir renouveler le contrat à durée déterminée de salariés qui ont démontré leurs compétences et leur motivation à se qualifier. L’absence de perspectives professionnelles pour des adultes-relais qui ont été encouragés à se professionnaliser, et que l’on invite, après neuf années dans la fonction, à aller vers d’autres emplois est caractéristique de la position des pouvoirs publics.

C’est dire que la reconnaissance des adultes-relais n’est toujours pas acquise, on en reste à des emplois indéfiniment précaires, temporaires, à durée déterminée. Ce sont, aux yeux de l’état, des emplois temporaires d’insertion qui doivent ouvrir sur d’autres champs.

Bien avant la création de la Fédération, les associations de femmes-relais de Seine-Saint-Denis ont été l’objet d’une grande attention des pouvoirs publics. Pour preuve, la présence, lors de l’assemblée générale fondatrice, le 7 juin 2000, de la sous-préfète chargée de mission pour la politique de la ville, de la maire-adjointe aux affaires sociales de Bondy, d’un représentant de la Div.

Du coup, il est d’autant plus surprenant qu’au fil des années, l’état maintienne les femmes-relais et leurs associations employeurs dans une précarité de statut et de rémunération. C’est peut-être la manifestation de l’incapacité récurrente de la République à gérer l’immigration avec ses rapports spécifiques aux pays d’origine, ses particularités en matière de structure familiale et communautaire. Plus généralement, c’est la réelle difficulté des institutions françaises à faire une place à la différence culturelle, au prétexte que « communauté » rimerait à tout coup avec « communautarisme ». Les femmes-relais restent des emplois « hors normes » en lien avec des populations qui vivent précisément au cœur d’une rencontre de normes culturelles.

Ceci dit, dans la mesure où l’état reconnaît et soutient Profession Banlieue comme centre de ressources « politique de la ville », structure qui a largement contribué à la dynamique entre femmes-relais du 93, on peut dire que l’état a quand même soutenu indirectement les associations de femmes-relais et cela participe donc aussi de l’ambigüité de sa position.

 

Évaluation du réseau fédéral par les associations

Intérêt d’une dynamique entre associations

La plupart des associations estiment que la dynamique entre associations de femmes-relais a été très importante pour le développement de leur association et du métier.

L’initiative a permis de créer des liens entre les personnes et de la solidarité, rompre l’isolement des habitants ; de s’informer mutuellement ; de procéder à des échanges de pratiques. Elle a permis de faire naître la conscience d’un métier commun : « de mettre des mots sur le service qui était rendu et l’emploi créé » ; « de s’outiller pour se défendre ». Elle a permis de susciter des analyses collectives sur les enjeux du développement du métier : « dans le partage avec d’autres femmes-relais, élaborer et mieux comprendre ce qui se jouait autour des emplois d’adultes-relais» et d’ouvrir une réflexion méthodologique sur un « cadre de travail au travers d’un métier avec un référentiel, d’une déontologie avec une charte » ; « se situer par rapport aux autres travailleurs sociaux » ; et professionnaliser le métier.

La mise en place de la Fédération a permis de donner du poids au Collectif : « se doter d’une représentation commune auprès des pouvoirs publics » ; pour autant, les attentes des associations vis-à-vis de la fédération, si elles sont fortes et réelles, « ne sont pas clairement identifiées et ne sont pas les mêmes : participer quasiment par devoir et sans attente particulière ; venir enrichir ses pratiques ; vouloir s’accorder sur des positions (ex. : face au département et à son service social) ou sur des choix (ex. : vente de productions) ; bénéficier d’une aide parce qu’on est en difficulté ou d’un soutien technique concret (ex. : montage de dossier de financement), etc. »

 

Difficultés et handicaps à surmonter

Les responsables des associations de femmes-relais sont très lucides sur les limites de la dynamique collective dont elles sont parties prenantes, n’hésitant pas à porter un regard critique sur le fonctionnement de certaines associations, la leur comprise. Voici quelques éléments que l’on a pu relever dans les entretiens : – les relations entre les personnalités en présence ;

– le sentiment de « concurrence larvée » entre associations qui ont parfois les mêmes financeurs : « des associations peuvent s’estimer être mises à l’écart : elles considèrent que certaines associations tireraient plus de bénéfice que d’autres de leur appartenance à la Fédération ou, du moins, qu’elles sembleraient bénéficier davantage d’opportunités de financements » ;

– des obstacles à la mutualisation : « on se heurte à de grandes réticences pour mutualiser les pratiques en matière d’assurances, de comptabilité, de fiches de poste, d’accès à certaines aides financières, d’autant que les montages et financements sont complexes (Cucs, Conseil général, Caf, Gdf…) » ;

– la précarité des associations n’incite pas à investir des actions en dehors des siennes : « la crainte est récurrente que tout disparaisse avec la fin des contrats, à l’heure où il faut négocier de nouvelles conventions » ; « la précarité de l’emploi, les difficultés rencontrées entraînent la démobilisation de certaines associations » ;

– le manque de lisibilité des apports du collectif : « en tout état de cause, le problème est de percevoir l’utilité d’un collectif, au-delà d’une demande de service ou d’aide (ex.: formation) et de la contrainte de rapprocher les points de vue (ex.: relations entre femmes relais et assistantes sociales) » ;

– les différences de statuts sociaux : « certaines associations qui ne sont composées que de femmes relais, issues des communautés étrangère, font des complexes et disent qu’elles se sentent « paumées » face à des associations plus « expérimentées », parfois aussi plus généralistes dans la mesure où elles assument d’autres missions avec des ressources humaines plus conséquentes, une sécurité des emplois et un meilleur niveau de rémunération, avec parfois aussi des professionnels, médecins, chercheurs, chefs de service… qui n’ont évidemment pas eu les mêmes parcours professionnels que les femmes relais » ;

– la diversité des identités associatives : « les associations qui n’ont ni la même taille, ni les mêmes histoires, ni tout à fait les mêmes manières de travailler n’ont pas les mêmes attentes ni les mêmes moyens d’expression » ; « des associations ont des enracinements de territoire, mais aussi des références idéologiques différentes (ex. : santé communautaire, action sociale, éducation populaire » ;

– les différences dans la professionnalisation : « le niveau de professionnalisation des associations est inégal, notamment parce que certaines bénéficient de professionnels du travail social » ;

– le consumérisme de certaines associations : « certaines associations, après avoir trouvé à la Fédération ce dont elles avaient besoin, n’ont plus besoin d’elle. »

 

Évolution des méthodes

Au fil des années et des initiatives de formation et de travail collectif portées par la Fédération, avec le soutien important de Profession Banlieue, il est ressorti que les méthodes de travail devaient tenir compte : – des différences de culture, d’histoire et de préoccupations entre les femmes-relais et les associations ; – des difficultés récurrentes que connaissent certaines associations, y compris parmi les plus anciennes : elles restent dans une grande précarité et elles n’osent pas toujours dire leurs problèmes ou, quand elles les évoquent, elles n’ont pas le sentiment que la Fédération peut les aider ; – des limites du fonctionnement actuel de la Fédération qui appellent davantage de transparence et d’entraide entre les associations, une meilleure circulation de l’information, des moyens de recherche et d’investigation partagés ; – de la nécessité d’un prolongement à l’échelle d’un réseau national.

C’est pour cela que la Fédération s’est interrogée pour savoir si elle devait se dissoudre (au vu des absences et de la perte d’intérêt de certaines associations) ou continuer (au vu des combats à mener encore ensemble dans un contexte politique et financier difficile). La Fédération a choisi de continuer et, en mai 2009, elle a décidé de se doter d’un professionnel salarié pour assurer des fonctions de coordination et de soutien aux associations :

  • faire davantage le lien entre les associations qui ont le même but et les mêmes objectifs ;
  • veiller à une circulation des expériences plus efficace ;
  • échanger autour du contenu et de la forme des projets déposés auprès des financeurs ;
  • aider pour le montage du budget et la recherche de financements ;
  • analyser des situations à problèmes ;
  • mieux prendre en compte les besoins et attentes des associations ;
  • animer le réseau des associations et tisser des liens avec des réseaux plus larges ;
  • répondre éventuellement à des demandes d’aide et de conseil de la part des associations, dans le respect de leur indépendance…
Analyses et recherches
Expérimentation