Cet article se base sur les expérimentations explicitées dans les publications suivantes Médiation culturelle, l'affirmation collective d'une métier Développement territorial et collectif d'associations
En Seine-Saint-Denis, depuis vingt-et-un ans, la dynamique entre les associations de femmes-relais a pris une forme fédérative et permis de démontrer l’utilité sociale de ce métier de femme-relais pour l’insertion des populations de cultures différentes dans la société française et le « vivre ensemble » dans les quartiers. Elle s’est efforcée d’inscrire les femmes-relais dans les politiques publiques ; force est de constater que la reconnaissance des fonctions qu’elles assurent au quotidien n’a pas abouti à une pérennisation des actions et des postes.
À Reims, depuis cinq ans, le Collectif des associations qui est monté en puissance a également démontré l’utilité sociale d’une dynamique entre associations pour le développement global du territoire et sa capacité à s’inscrire comme partenaire reconnu dans les politiques locales, notamment de rénovation urbaine et d’animation globale du territoire.
Le rôle de l’environnement
Dans ses attendus de départ, l’expérimentation avait avancé le constat que les démarches fédératives et collectives entre associations s’inscrivaient dans un contexte d’éparpillement des financements et des actions où chaque association fait valoir son projet et ses actions.
Depuis le lancement de l’expérimentation, la crise financière et économique est passée par là, mais les expériences de dynamique interassociative ne se développent guère, alors même que, de leur côté, les grands réseaux fédéraux sont mis à mal par la diminution drastique des financements de l’état.
Quant aux pouvoirs publics, dans un contexte de crise des moyens, on pouvait penser qu’ils pourraient encourager des démarches fédératives et collectives, chevillées au terrain. Or, ce n’est pas véritablement le cas, du moins en Seine-Saint-Denis, à l’heure où chaque association se retrouve devant l’obligation de renégocier ses postes de femmes-relais.
À Reims, le Collectif bénéficie d’une politique municipale récente qui veut développer la démocratie locale, grâce à des espaces de consultation et de concertation avec les associations et les habitants. Ce n’est pas pour autant que la municipalité encourage, jusqu’ici, la conjonction des projets et des actions associatives, en lien avec les politiques publiques, même si une charte de la vie associative rémoise, récemment élaborée, plaide dans ce sens.
Les catalyseurs d’une dynamique entre associations
Des territoires concernés par la « politique de la ville »
À l’heure des conclusions, on remarquera tout d’abord que les deux expérimentations concernent l’une un département et l’autre un grand quartier, inscrits pour une part de leur territoire dans la « politique de la ville ». Ce n’est vraisemblablement pas un hasard que ce soit, dans un tel contexte, que des associations conjuguent leurs énergies autour des problématiques complexes qui traversent ces territoires.
Il serait intéressant de croiser cette double expérimentation avec des expériences conduites dans d’autres quartiers ou sur des espaces ruraux. Pour ces derniers, il serait possible d’évaluer ce qui se joue entre associations dans les conseils de développement ou les autres structures de concertation avec les associations du territoire (ex. : parcs régionaux).
Des centres de ressources catalyseurs de la dynamique entre associations
Dans les deux situations, un autre facteur essentiel a été l’existence d’un « centre de ressources » qui a catalysé la mise en place, puis le développement d’une dynamique entre les associations : en Seine-Saint-Denis, il s’agit de Profession Banlieue, centre de ressources de la politique de la ville ; à Reims, la Maison de quartier Wilson. Dans l’un et l’autre cas, le savoir-faire et l’expérience des directeurs de ces structures, ont été décisives : il s’avère que ces professionnels sont aussi des militants de la vie associative ou de l’éducation populaire.
Des responsables associatifs porteurs de cette dynamique entre associations
Dans les deux cas, la dynamique de la Fédération des femmes-relais de Seine-Saint-Denis ou du Collectif associatif rémois n’aurait pas pu voir le jour et durer sans l’engagement et l’implication forte de quelques responsables bénévoles : il s’agit de militants associatifs convaincus de la nécessité de dépasser les enfermements et les clivages associatifs. Parmi les présidents et les présidentes d’associations, il est fondamental qu’un petit nombre trouve le temps de porter et d’animer le développement de ce type de réseau.
Les contraintes d’une dynamique entre associations
En ce qui concerne les freins et les blocages des dynamiques entre associations, l’expérimentation a apporté de nombreux éléments, vraisemblablement parce que la Fédération des femmes-relais et le Collectif rémois étaient l’une et l’autre à un virage de leur histoire. Ce qui a été identifié comme des « freins » ou des « blocages » peut être résumé au travers de six ensembles de « contraintes » à prendre en compte et à gérer pour réussir une dynamique fédérale ou collective entre associations à l’échelle d’un territoire :
– le repli habituel des responsables d’associations sur leur association : en général, l’association reste tournée vers « ses » adhérents, « son » objet statutaire, « son » projet, « ses » actions et activités, « ses » financements. S’il peut y avoir une concurrence larvée avec les autres associations qui interviennent dans le même champ ou sur le même territoire, la position la plus communément adoptée par les associations est de se cantonner à son association. L’ouverture à d’autres associations est exceptionnelle et provoquée par un besoin d’aide, de conseil ou la nécessité d’instruire un rapport de forces avec les pouvoirs publics ;
– l’hétérogénéité des profils des responsables d’associations : les différences de culture, de niveau de formation, de parcours et d’expérience associative, de professionnalisme sont considérables ; des affinités se révèlent, mais aussi des oppositions. Une dynamique collective entre associations doit dégager un projet et des actions communes, en mesure de dépasser ces différences, de travailler positivement à partir d’elles. Ce n’est ni évident au départ, ni pour toujours acquis ;
– le caractère très « spécialisé » de certaines associations : à l’heure où il s’agit de déterminer une dynamique collective, d’identifier puis de cultiver des intérêts et des actions partagées, la « spécialisation » de certaines associations est une contrainte plus difficile à gérer que le projet « généraliste » d’autres ;
– les réticences à échanger des pratiques : les associations éprouvent une grande difficulté à partager des informations sur leurs projets et leurs actions, leurs montages financiers, leur gestion des ressources humaines, leurs modes d’organisation. La difficulté est plus grande encore quand il s’agit d’envisager une mutualisation des pratiques (ex. : assurances, dispositif comptable, etc.) ;
– la fragilité et les problèmes internes des associations : qu’ils soient récurrents ou non, la précarité de leurs ressources constituent un handicap certain pour une dynamique entre associations qui veut fonctionner dans la durée ;
– les formes de travail des responsables associatifs : des responsables associatifs ont souvent des formes de travail qui les rendent indisponibles ou très peu disponibles pour s’inscrire dans une dynamique entre associations qui suppose une prise de recul ; cette indisponibilité est renforcée évidemment par les situations de fragilité et de précarité précédemment évoquées ;
– les attentes diverses et inégales vis-à-vis du réseau ou du collectif associatif : dès le départ d’une dynamique fédérale ou de réseau, les attentes des associations se révèlent diverses, inégales, changeantes parfois : aide, assistance, conseil, réflexion, formation, représentation auprès des pouvoirs publics… la dynamique fédérale se construit dans un compromis flexible et évolutif autour de ces attentes.
Préconisations
Les enjeux d’une dynamique entre associations
Les responsables associatifs eux-mêmes identifient clairement cinq enjeux qui ont permis une dynamique entre leurs associations :
– permettre de mieux prendre conscience de ce que fait chaque association : se présenter à d’autres et appréhender ce que font de leur côté les autres associations, afin de renforcer son identité associative, tout en identifiant les points de convergence et les différences au sein du collectif ou du réseau ;
– confronter des projets et des pratiques associatives pour les enrichir : s’informer et se documenter, se former et se qualifier, s’outiller et se professionnaliser ;
– développer des solidarités entre associations : dans des situations de précarité et de fragilité, sans oublier celles de crise, se donner des possibilités d’entraide, de conseil, d’expertise… ;
– s’aider à mieux saisir les enjeux : réfléchir collectivement aux enjeux politiques, culturels, sociétaux, professionnels auxquels les associations sont confrontées dans un monde en changement ;
– faire reconnaître un type d’intervention : se battre ensemble pour une approche de la médiation ou du développement des quartiers, défendre des métiers et leur éthique, s’organiser collectivement pour avoir davantage de poids dans les politiques publiques.
Des formes et méthodes de travail adéquates
Le rôle des « centres de ressources » et leurs professionnels salariés témoignent de l’importance des formes et méthodes de travail qui permettent à une dynamique entre associations d’éclore, puis de se développer. On peut parler de professionnalisme de l’inter- associatif.
Avec deux histoires différentes, la Fédération des associations de femmes-relais de Seine-Saint-Denis et le Collectif d’associations rémoises expérimentent la nécessité d’ajuster leurs façons de travailler : en effet, collégiales ou pas, les formes et méthodes de travail de la Fédération ou du Collectif sont pointées comme un frein ou un blocage, pour partie ou totalité des associations. Cette rigueur (qui n’exclut pas la convivialité !) nécessaire au bon fonctionnement de dynamiques de réseau ou de fédération d’associations peut présenter quatre dimensions :
– faire du Collectif ou du réseau des associations un espace de synergies : mettre en place une circulation efficace d’informations, mais aussi partager des diagnostics, des analyses, des orientations et des priorités ; développer éventuellement des actions communes ; mutualiser des moyens ; mettre en place des dispositifs de solidarité et d’aide. Tout ceci gagne à être convenu entre la totalité des associations et, à défaut, entre une partie d’entre elles ;
– revenir régulièrement vers les associations membres du Collectif ou du réseau : revisiter les attentes des associations, y compris dans leur spécificité, mais également leur implication dans le fonctionnement du collectif ; évaluer à échéances régulières la pertinence et l’efficacité du collectif, et s’assurer de ce qui peut continuer (ou pas) de « faire contrat » entre les associations : priorités, méthodes, moyens ;
– évaluer particulièrement les relations avec les politiques publiques : mesurer la pertinence et l’efficacité des interventions retenues, des moyens mobilisés, des alliances négociées ; ajuster l’action du Collectif ou du réseau aux forces et faiblesses du politique ; contribuer à la recherche d’une autre façon de co-construire et évaluer les politiques publiques ;
– organiser et améliorer les temps et lieux de travail du Collectif ou du réseau :les membres du collectif ou du réseau étant conscients des enjeux mais aussi de leur disponibilité très relative, ajuster les méthodes et les outils de travail est une priorité opérationnelle : circuits et modalités d’information, groupes de travail et délégations de tâches, élaboration des ordres du jour, gestion du temps et relevé de conclusions des réunions, etc.