Guillaume Coutey et Eddy Poitrat répondent aux questions de Bastien Engelbach, coordonnateur des programmes de la Fonda.
La transition écologique est un marqueur fort de l’identité de la ville de Malaunay. Comment les enjeux liés à la transition ont-ils émergé ?
G. C. : L’embryon de notre démarche est la mise en place d’un groupe de travail, sur la base du volontariat, rassemblant élus et agents, pour identifier des pistes de réduction de notre facture d’énergie. À partir de 2010, nous avons commencé à structurer une politique énergétique au sein de la collectivité. La démarche Cit’ergie1
, portée en France par l’Ademe, constituait une opportunité technique pour avoir un cadre dans lequel formaliser la démarche énergie / climat de Malaunay. Devenu maire en 2012, j’ai construit l’arrêté de la politique municipale sur notre démarche énergie / climat et changé la manière dont nous organisions la collectivité au niveau de ses services à partir de notre implication dans Cit’ergie. Comme je le dis souvent, nous avons changé de paire de lunettes.
Comment se construit le lien entre l’Ademe et une collectivité ? Sur quelles complémentarités ces acteurs s’appuient-ils pour mener à bien une démarche de transition ?
E.P. : L’Ademe propose un accompagnement opérationnel des acteurs des territoires, reposant sur des conseils techniques et méthodologiques ainsi que sur un accompagnement financier pour les plus ambitieux. L’Ademe Normandie soutient régulièrement les projets de transition énergétique de la ville de Malaunay. Pour le lancement de la « Transition prend ses quartiers », la ville est venue voir l’Ademe avec une nouvelle approche.
Le recours à des approches innovantes est un élément indispensable au succès des projets de transition énergétique, et tout particulièrement quand il s’agit d’un enjeu aussi fort que d’aller vers un projet de territoire, porté par les habitants et pas uniquement par la collectivité. Le système d’aide financière de l’Ademe prend en compte les critères d’innovation et d’exemplarité, ainsi que de crédibilité de l’engagement de la commune. Avec la « Transition prend ses quartiers », la ville de Malaunay a proposé une approche professionnelle et réfléchie, fondée sur l’implication des citoyens et associant des experts. Cette capacité à faire le lien entre une démarche de transition et la démarche d’ensemble de la commune est un facteur de succès.
Comment a émergé la question de la participation citoyenne dans ces démarches de transition ?
G. C. : Dans le cadre de Cit’ergie nous avons travaillé à un premier plan d’action de la collectivité, pour mettre en mouvement les élus et les agents municipaux. La ville a ensuite été labellisée Territoire à énergie positive pour la croissance verte (TEPCV) en 2015. Avec l’appui financier de l’État, nous avons ainsi pu mettre en oeuvre un plan d’action complémentaire, notamment pour le développement de l’énergie solaire sur le patrimoine municipal. L’engagement de la collectivité sur les enjeux de transition écologique et énergétique a ainsi été rendu plus visible et a forgé l’identité de la commune.
Avant d’embarquer les habitants, nous avons donc mis la collectivité dans l’exemplarité, sur ses métiers et sur son mode de fonctionnement. Avec Cit’ergie, nous avions pu mobiliser des acteurs économiques, notamment les bailleurs sociaux qui sont sur la ville. Il nous restait à franchir l’étape de la mobilisation des habitants. C’est à partir de là qu’a été bâtie la « Transition prend ses quartiers », (TSPQ ) pour mobiliser les gens au plus près de chez eux.
La participation citoyenne est-elle un vecteur indispensable de réussite d’une démarche de transition énergétique ?
E. P. : L’implication des citoyens est importante, car les propositions et les politiques publiques sont construites en tenant compte des habitudes de chacun. Travailler avec les citoyens permet de faire évoluer les politiques publiques qui s’adressent à eux.
Il existe un a priori partagé de difficulté à engager les citoyens dans une démarche de transition. En réalité, tout dépend de ce qui leur est demandé et de la démarche proposée. Les citoyens partagent très largement les enjeux de la transition et les préoccupations environnementales. La transition va concerner tout le monde à partir du moment où chacun aura le sentiment qu’il peut s’y impliquer, dans des thématiques où il souhaite améliorer ses performances. Et il est important aussi de pouvoir déconstruire cette notion de transition, pour permettre aux personnes de dire ce que cette notion signifie pour eux.
G. C. : Aucune politique publique ne peut être menée sans voir comment associer et faire participer les habitants d’un quartier quand ils sont concernés, les usagers dans le service public, ou les citoyens dans leur globalité. Lorsque les usagers citoyens ne sont pas pris en compte dans le projet, celui-ci peut être bloqué voire rejeté, faute d’être compris et partagé. Il y a une exigence supplémentaire sur les enjeux de transition écologique et énergétique, parce que nous sommes confrontés au sujet compliqué des changements de comportements.
Comment construire l’implication citoyenne dans une démarche de transition ?
G. C. : Pour la « Transition prend ses quartiers », nous sommes partis d’une page blanche. Nous avons construit la démarche en interne, en lien avec l’Ademe, et fait en sorte qu’elle soit observée par des psychosociologues et des experts pour voir ce que l’on pouvait ressortir comme enseignements intéressants.
Notre point de départ était de ne pas proposer un programme clé en main, mais de lancer des défis aux habitants, sur les thèmes de l'eau, de l'alimentation, de l'énergie… Les habitants ont ensuite pu pendant trois mois construire le projet sur lequel ils avaient envie de s’impliquer et déterminer comment ils pouvaient participer concrètement à une évolution.
E. P. : La « Transition prend ses quartiers » prête attention aux processus d’interaction avec les citoyens. La démarche permet de partir de ce que font ou veulent faire les habitants, pour ensuite aller vers le collectif. Elle se construit en plusieurs étapes, en partant de la définition par les habitants de ce qu’ils veulent en commun. L’occasion leur est offerte d’exprimer leurs attentes par rapport à une dynamique de transition et de construire un projet qui y réponde. Ils vont ainsi ensuite pouvoir définir les actions à mener, et vivre les transitions, pour mesurer ce qu’elles peuvent produire. Des changements profonds peuvent donc se produire chez les acteurs, qui sont inscrits durablement dans la démarche.
Quels sont les projets qui ont pu émerger ?
G. C. : La « Transition prend ses quartiers » est un projet prévu pour durer sur trois années. Nous avons publié une bande dessinée qui retrace l’aventure des cent dix citoyens participants à cette action et organisé une soirée en juin, pour marquer la fin de la première phase, en permettant de présenter les pistes de projets envisagés par ceux qui ont souhaité relever les défis.
Une équipe a proposé la mise en place d'un système d’échange local (SEL), dont l’assemblée générale constitutive s’est tenue en novembre. Le groupe « alimentation » a envisagé de développer des jardins potagers au pied d’immeubles, et a rencontré des bailleurs pour voir comment mettre cela en place. Je porte un projet d’axe piéton / vélo en plein cœur de ville pour relier les différents équipements publics, une idée pas encore publique qui a aussi été imaginée par un des groupes de la TSPQ. Le groupe « biodiversité » travaille sur un atlas participatif de la biodiversité, en lien avec les enfants des écoles.
Pour la deuxième année de la « Transition prend ses quartiers », nous mettons en place un service municipal dédié, avec un agent sur l’accompagnement technique et/ou financier des initiatives qui seront portées par les habitants.
Peut-on tirer de grands enseignements des démarches que vous avez menées, à destination notamment des autres territoires qui souhaiteraient s’engager dans une démarche similaire ?
E. P. : Une approche empirique ne permet pas forcément de dégager des invariants, qui supposent de prendre appui sur un point de départ théorique, avec une démarche construite en amont par les sciences sociales. Nous pouvons néanmoins tirer des conclusions – à renforcer au fil de la démarche qui bénéficie d’une observation de la part de psychosociologues. Il apparaît qu’il est important de travailler à la fois sur l’exemplarité et sur la capacité à garantir un filet de sécurité, apporté par une équipe projet dédiée et des experts, pour que les personnes qui portent les projets ne se sentent pas isolées.
La « Transition prend ses quartiers » permet aussi de prendre conscience du fait que l’implication des citoyens passe par plus que de la consultation avec de la communication autour, et suppose le développement de compétences dédiées, pour travailler avec l’humain.
Enfin, ces démarches posent la question de ce que l’on peut y mettre en avant en termes de résultats, à défaut d’indicateurs chiffrés classiques. Comment valoriser le fait de faire travailler ensemble des acteurs qui n’avaient pas l’habitude de le faire ?
G. C. : Pour que les actions autour des transitions ne soient pas menées uniquement pour réaliser des économies, mais soient des objets d’interpellation des habitants sur l’espace public, il faut mettre des moyens humains dédiés. Une démarche de transition peut alors permettre de recréer et améliorer le lien social dans le territoire de la ville.
Je suis convaincu que la réussite de la transition écologique et énergétique de la France ne sera réussie que si elle est territoriale. Les changements des comportements se travaillent au plus près des habitants et des acteurs économiques, de ceux qui font la vie des territoires, au quotidien.
Nous avons pu entrer dans un cadre d’échanges avec Loos-en-Gohelle, Grande-Synthe et Le Mené, le « réseau des villes pairs, territoires pilotes de la transition ». Il est difficile d’en tirer des enseignements communs, du fait de nos histoires territoriales différentes. Si nous ne pouvons pas définir un modèle transposable à l’identique à d’autres territoires, deux points essentiels ressortent. Le portage politique à l’échelle de la commune, pour créer une dynamique de transition et prendre le leadership qui permet d’entraîner le territoire. Faire de la transition l’arête centrale de la politique de la collectivité, pour que l’ensemble des élus, techniciens et habitants partagent les enjeux.
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- 1Porté par l’Ademe, le label Cit’ergie a pour objectif d’inciter les collectivités à renforcer leur ambition politique Climat-Air-Énergie, à travers une démarche d’amélioration continue. Cette démarche repose sur un engagement mutuel de la collectivité et de l’Ademe.