Alors que, pour la majorité des associations, l’engagement des bénévoles reste la base des ressources humaines, les frontières entre bénévolat et salariat sont de plus en plus floues. Pour nombre d’associations, le recours au salariat est indispensable pour développer leur projet et leurs services, mais d’autres associations n’ont pas les ressources suffisantes pour embaucher et recourent à des bénévoles qui n’ont pas toujours les compétences nécessaires. Enfin, des associations se posent le problème du bénévolat pour tous et de la reconnaissance des services rendus par des bénévoles sans ressources. De plus, la jurisprudence commence à requalifier du bénévolat en salariat. Ces zones grises interrogent la vie associative et l’un de ses fondements, le bénévolat.
Tenu le 29 novembre 2003, ce séminaire a réuni une soixantaine de participants autour de trois questions principales introduites par des témoignages de responsables associatifs, des éclairages d’universitaires et des points de vue de syndicalistes : quelles sont les différentes modalités d’exercice de l’engagement bénévole ? Quelles formes de compensation pour les bénévoles ? Quelles sont les conditions et les limites de l’exercice de l’engagement bénévole ?
S’il n’avait pas pour ambition d’apporter des réponses construites à toutes les questions posées, ce séminaire a cependant conduit à mieux cerner la diversité des approches et des exercices du bénévolat.
Enfin, précisons que les membres du comité d’études et de liaison de la fonda «Engagement citoyen» ont pris le parti de ne pas produire des actes rendant compte intégralement du séminaire, mais d’essayer de dégager des lignes de force.*
« Aujourd’hui, l’engagement est pour la fonda d’une actualité particulièrement brûlante, non seulement pour les associations mais également pour toute l’économie sociale. Ce qui différencie les associations des entreprises dans une situation de concurrence, ce sont leur utilité sociale et la nature de l’engagement qu’elles suscitent. à ce sujet, des problèmes nouveaux méritent d’être traités en tant que tels. Ainsi, l’engagement bénévole et salarié dans les associations paraît d’une complexité assez nouvelle et insuffisamment analysée. Jusqu’alors, tout était assez clair : d’un côté, les salariés régis par le droit du travail et, de l’autre, les bénévoles disposant d’autres ressources et mettant leur temps à la disposition de l’association. C’est moins simple maintenant.
Les rapports entre bénévoles et salariés posent des problèmes de répartition du pouvoir et d’équilibre (principalement dans les associations de services). La diversité croissante des ressources humaines à l’intérieur d’une association en est un autre, avec actuellement une pluralité incroyable d’engagés bénévoles dans les associations. Aux côtés de profils que l’on connaissait, sont apparues des catégories nouvelles de bénévoles, en particulier des personnes sans ressources. L’adhésion ou le concours de ces bénévoles posent aux responsables des associations quelques problèmes qui renvoient à la question d’un bénévolat ouvert à tous. Dans une société où nombre de personnes ont du mal à trouver leur place, l’acte de s’engager bénévolement ne se pose pas de la même manière que dans une société du plein emploi. Du coup, des associations se demandent dans quelle mesure des bénévoles peuvent bénéficier de compensations.
Par ailleurs, dans d’autres associations qui travaillent dans la proximité, des personnes avec des problèmes psychologiques plus ou moins importants s’engagent bénévolement. Les associations rencontrent des difficultés d’encadrement de ces personnes pour qui l’association est parfois le dernier endroit où trouver une place dans la société et la reconnaissance d’une utilité sociale.
Du côté des salariés, la complexité et la diversité des statuts sont très importantes depuis que se sont multipliés les Cdd, les contrats précaires et la panoplie des emplois aidés qui se succèdent dans le temps. Bénévoles et salariés arrivent dans les associations avec des attentes et des demandes extrêmement différentes : rechercher une valorisation ou une insertion sociale, retrouver un engagement professionnel etc.
Les associations s’efforcent de faire face à cette complexité des motifs de l’engagement de leurs bénévoles et de leurs salariés. Une qualité d’ouverture, d’accueil et d’organisation, et des conditions préalables sont nécessaires. Quel accueil organiser ? Quelles compétences attendre des bénévoles ? à quel moment passe-t-on d’un statut de bénévole à un statut de salarié et réciproquement ? à l’évidence, une « zone grise » entre bénévolat et salariat apparaît. Si elle pose, bien entendu, des problèmes juridiques de positionnement des bénévoles sur le marché du travail, elle permet aussi aux associations de fonctionner. Jusqu’à quel point le droit du travail peut-il s’adapter ? Les cas de requalification de l’activité bénévole en contrat de travail salarié ne manquent pas. Juristes et syndicalistes peuvent utilement entrer dans ce débat. »
Sommaire
1 - Des formes de compensation pour les bénévoles par Marie-Agnès Fontanier, responsable du département Méthodes d’animation et de développement, Secours catholique
2 - Conditions et limites de l'exercice de l'engagement bénévole par Elie Alfandari, professeur émérite à l’Université Paris Dauphine
3 - Contrat associatif et contrat de travail par Philippe Waquet, ancien magistrat à la chambre sociale de la Cour de cassation
4 - Bénévolat, un point de vue syndical par Gérard Alezard, responsable syndical Cgt, vice-président du Conseil économique et social
5 - Syndicaliste, militant et bénévole par Stéphane Larignon, responsable syndical Cfdt
6- Une analyse fine des formes de bénévolat par Gabriel d’Elloy, La Fonda
Conclusions
1 – Des formes de compensation pour les bénévoles
Observations générales à partir des pratiques du Secours catholique et des auditions de la fonda
par Marie-Agnès Fontanier, responsable du département Méthodes d’animation et de développement, Secours catholique
Si le bénévolat est synonyme de gratuité, on découvre que l’exercice du bénévolat est assorti de ce que l’on peut appeler des compensations. Elles sont réfléchies comme telles au sein de certaines associations, notamment pour des bénévoles sans ressources ou en disposant de peu, quand ils ne cumulent pas des difficultés personnelles. On peut identifier différentes formes de compensation offertes aux bénévoles, quel que soit leur origine ou leur statut social.
Le bénévole s’inscrit habituellement, au travers de l’association, dans une organisation qui a sa vie sociale et d’équipe. Pour le Secours catholique comme pour d’autres associations, le mode de recrutement est le bouche-à-oreille : on est invité par un ami, une relation, une connaissance. Les bénévoles viennent de plus en plus par intérêt personnel, après une sorte d’étude et de recherche des différentes associations qui pourraient leur convenir. Du coup, ils sélectionnent l’association à partir de leurs propres critères en fonction de l’ambiance et de la qualité des relations qu’ils peuvent percevoir, lors du premier entretien ou contact.
Quatre modalités de compensation non-monétaire
La première contrepartie d’un engagement bénévole dans une association est précisément l’appartenance à une organisation ; c’est-à-dire, cette vie sociale et d’équipe qui génère des liens forts et une convivialité souvent reconnus comme une composante essentielle de l’association et comme un élément pour mener au mieux la mission de l’association. Dans beaucoup d’associations, le sentiment d’appartenance se manifeste à travers des publications, la mise en réseau, des manifestations qui permettent des rencontres avec d’autres. Ainsi se développe le sentiment d’appartenir à un ensemble plus large, de partager avec d’autres des valeurs, des engagements et des convictions communes.
Un second type de compensation passe par la reconnaissance de l’utilité sociale du bénévole. L’association permet de mettre en œuvre des talents et des compétences qui ne sont pas toujours mobilisés ailleurs ; c’est donc le lieu d’une reconnaissance. Le bénévole contribue à une action collective : l’association compte sur lui et ne peut pas se passer de ses services. Cette utilité sociale est particulièrement importante quand elle n’est pas (ou peu) vécue en dehors de l’association. Il arrive que le bénévole représente l’association à l’extérieur et il est alors reconnu comme étant mandaté et assurant une mission. Dans un certain nombre de cas, l’engagement associatif ouvre même sur des engagements politiques ou des mandats électifs, comme une suite logique de la reconnaissance acquise dans le champ associatif.
Une troisième forme de compensation se situe au niveau des compétences dont le bénévolat permet et favorise l’exercice, le maintien, l’approfondissement ou l’acquisition. Le fait d’avoir des compétences professionnelles est une motivation importante pour un certain nombre de bénévoles, particulièrement des jeunes retraités ou des personnes en cessation anticipée d’activité : ils trouvent dans la vie associative un lieu pour continuer à se rendre utiles par leurs compétences. Ils peuvent mettre en œuvre des compétences acquises dans d’autres secteurs : communication, administration, création d’entreprises ou autres activités.
Il est aussi d’autres talents que professionnels que l’on peut faire fructifier au sein d’une association et qui ne sont pas forcément mis en œuvre ailleurs. Dans le cadre de la vie associative, beaucoup de choses sont possibles : de la musique à la sculpture, en passant par le bricolage, autant de manière de combiner le plaisir et la mobilisation de ses propres compétences au service du projet de l’association. De nombreux bénévoles viennent dans les associations pour rendre service, mais aussi pour y trouver un moyen de maintenir des compétences qui risqueraient de s’étioler, si elles n’étaient pas mises en œuvre. Ainsi, des personnes à la recherche d’un emploi se disent que si elles continuent à faire de la comptabilité à travers le bénévolat, elles maintiendront leur niveau de connaissances et d’activité. D’autres personnes font du bénévolat et se découvrent des compétences qu’elles ne soupçonnaient pas : on leur demande d’intervenir dans l’accueil ou l’accompagnement social, de se mettre en situation d’animer une équipe, etc. L’acquisition de ces compétences se fait par la pratique d’activités dont elles n’avaient pas l’habitude. Des associations proposent à des jeunes des situations de responsabilité, autant d’occasions d’acquérir une réelle compétence et de se former progressivement. Un effort considérable de formation est conduit par les associations pour leurs bénévoles et des publics plus larges. Ainsi, le Mouvement rural de la jeunesse chrétienne met en œuvre des « vacances-formations » pour que ses membres se forment sur des sujets de société auxquels ils sont confrontés.
Enfin, quatrième compensation d’une autre nature, le bénévolat favorise indéniablement un enrichissement personnel par l’intensité et la qualité des rencontres, des relations humaines et d’expériences uniques. On y découvre une action avec du sens, en lien avec des convictions et des valeurs, sans oublier le plaisir qui est une condition essentielle de l’exercice du bénévolat.
Ces compensations et apports du bénévolat sont essentiels pour des personnes qui manquent de ressources, sont mal insérées socialement, souffrent de l’isolement ou ressentent un sentiment d’inutilité sociale. Elles n’exercent pas de métier et vivent souvent de prestations ; elles ne sont généralement pas reconnues pour leurs compétences et leurs talents. Les compensations trouvées dans le bénévolat sont alors d’autant plus importantes.
Le dédommagement des frais entraînés par le bénévolat
Le bénévolat devient de plus en plus l’apanage des classes moyennes et le « bénévolat pour tous » se vérifie de moins en moins. Au Secours catholique, les personnes sans ressources peuvent se situer parmi les personnes qui se sont présentées à l’association à un moment donné parce qu’elles étaient en difficulté, mais aussi parmi les personnes venues comme bénévoles et ne disposant pas de beaucoup de ressources. à nos yeux, ces situations appellent une réflexion des associations.
L’exercice du bénévolat peut entraîner des frais de téléphone ou de transport, pour ne citer que ceux-là . Ces frais font problème quand le bénévole ne dispose que de peu de ressources. Le remboursement des frais est un principe souvent acquis mais, si les associations devaient rembourser leurs frais à tous les bénévoles, beaucoup d’entre elles ne tiendraient pas longtemps. Certains bénévoles osent demander le remboursement de leurs frais et d’autres ne le font pas. Dès qu’on s’engage dans la voie d’un remboursement à certains et non pas à d’autres, sont posés des problèmes de cohésion du groupe. Cela est particulièrement vrai dans les associations qui visent le vivre ensemble et réunissent des personnes d’origines diverses.
Ainsi, d’un groupe de musique réunissant des demandeurs d’asile en attente de papiers et des bénévoles qui ne sont pas dans les mêmes conditions de précarité : quand on sollicite le groupe pour se produire loin de son lieu habituel de répétition, il faut financer des frais de déplacement. Comment gérer cette situation ? Va-t-on offrir le titre de transport à ceux qui n’en ont pas les moyens ou constituera-t-on une cagnotte commune ? à chaque fois, des modalités sont à trouver après mûre réflexion.
Par ailleurs, les avantages en nature, comme un repas offert à des bénévoles qui consacrent une journée à l’association, sont de plus en plus soumis à des règles fiscales. Maintenant, des associations demandent aux bénévoles de contribuer, pour une part, à leurs frais de repas ; cela peut être une contrainte financière embarrassante pour certains bénévoles.
Les associations décident parfois de rémunérer des services quand ils sont rendus par des personnes qui disposent de peu de ressources et interviennent de manière ponctuelle : animation d’un spectacle par quelqu’un qui a la compétence ; garde exceptionnelle d’enfants pour que les parents puissent participer à une activité ; compétences plus spécialisées comme savoir refaire un local. Dans ces circonstances, des associations estiment qu’il vaut mieux demander l’intervention de personnes connues dont on sait qu’elles ont des difficultés financières, plutôt que de faire appel à un prestataire ou à une entreprise. Les associations se heurtent alors à des difficultés très concrètes : la personne ne peut pas produire une facture ou un numéro Siret. La tentation peut être de proposer une vacation rémunérée, mais cela ne s’avère pas sain pour l’association et soulève des questions de cohésion.
Une autre possibilité est la création d’un emploi aidé, mais encore faut-il que les conditions de faisabilité soient remplies. Cette solution est un pis-aller quand il ne s’agit pas d’un véritable emploi. De toute manière, cela suppose un dispositif d’accompagnement et ne peut concerner qu’une minorité de personnes.
Les associations se rendent compte que la lutte contre la pauvreté n’est pas qu’une question d’argent. L’essentiel est dans la manière dont les personnes exclues ou en grande difficulté peuvent retrouver une place dans la société, se sentir reconnues et valorisées. Le fait d’exercer une activité bénévole peut permettre de retrouver une place, une reconnaissance et une raison de vivre. C’est là l’enjeu d’un vivre ensemble et d’un bénévolat pour tous, y compris pour des personnes qui connaissent des difficultés. Les associations sont conscientes que la possibilité d’un engagement citoyen est le vecteur d’une reconnaissance sociale qui permet le vivre ensemble entre personnes d’origines différentes.
Le piège de certaines compensations
Une réflexion est à mener entre les associations sur les moyens de rendre le bénévolat le plus accessible possible. La question des avantages en nature et des remboursements de frais ne peut être éludée. Que peut-on inventer en ce domaine pour lever les obstacles financiers au bénévolat ? Peut-on imaginer des solutions originales ? Sous certaines conditions, le bénévolat ne pourrait-il pas se traduire en points de retraite ou assurer une couverture pour l’assurance maladie ? Beaucoup de dirigeants associatifs estiment qu’il faut éviter le piège des compensations financières ou des pseudo emplois, pour s’en tenir à des compensations non-monétaires.
À cet égard, un point important est la validation des acquis de l’expérience (Vae). Le dispositif législatif existe et commence à fonctionner, mais il n’est pas encore très accessible aux bénévoles. C’est l’une des voies à explorer pour que des personnes qui acquièrent et renforcent des compétences par le bénévolat puissent en faire un atout pour trouver un emploi et poursuivre leur parcours professionnel. Des formes collectives d’accès à la Vae et une information mieux ciblée sont à réfléchir pour répondre aux questions posées par des bénévoles qui disposent de peu de ressources ou sont à la recherche d’une insertion sociale et professionnelle. L’élève d’une grande école utilise plus facilement la Vae que le candidat à un emploi peu qualifié. L’éducation nationale et les universités ne sont pas toujours prêtes à valider les acquis d’une expérience bénévole alors que, dans les juniors associations, les jeunes acquièrent nombre de compétences au fil d’expériences associatives ou pré-associatives.
Des solutions nouvelles et sans ambiguïté
« Pour un service ponctuel demandé à un bénévole, toute rémunération pose problème aux associations. Le portage salarial ne peut-il pas constituer une forme de réponse juridique ? Généralement, le bénévole qui veut être rémunéré apporte son projet à une entreprise, à caractère associatif ou non, qui lui verse un salaire, lui établit une feuille de paie, acquitte les charges sociales. Une autre possibilité est que le bénévole, qui a une compétence spécialisée pouvant intéresser une association et a besoin d’être rémunéré, propose son projet à l’organisme de portage salarial ; alors, l’association règle la prestation à cet organisme et le salarié reçoit un salaire déclaré. Cette solution est proche des entreprises intermédiaires du champ de l’insertion et des emplois de service. Des cadres au chômage recourent à ce type de portage qui leur permet d’être, en quelque sorte, des intermittents du conseil. Des coopératives d’activités et d’emplois assurent déjà ce portage salarial en France. »
« Si de nombreux bénévoles, qui militent pour une cause et produisent une action de solidarité, ne recherchent pas d’autre compensation que la satisfaction de réaliser des projets concrets, la véritable question ne serait-elle pas de lever les obstacles au bénévolat ? Ainsi, les femmes ne peuvent pas participer à des activités associatives si la garde de leurs enfants n’est pas résolue ; c’est pourquoi des associations organisent des gardes qui ne sont pas un surcoût pour les bénévoles. Dans le même ordre d’idée, des problèmes de transport peuvent être réglés en rapprochant des activités. Les associations ont à réfléchir sur les moyens qu’elles peuvent mettre à la disposition de leurs bénévoles, pour faciliter et accompagner leur participation aux activités et réunions. »
« Un double exemple, puisé dans le tourisme social, peut illustrer la recherche d’une compensation de l’acte bénévole au service du projet associatif, en composant avec un environnement économique et des impératifs gestionnaires. L’accessibilité du plus grand nombre à des activités sportives comme la plongée sous-marine ou le parachutisme suppose que l’on diminue au maximum les coûts. Une prestation bénévole est parfois la seule façon d’y arriver. Pour prévenir les accidents, telle association est obligée d’embaucher des médecins pour réaliser des contre-visites médicales alors que se multiplient les contre-indications chez les jeunes. Au prix du marché, 10 000 consultations représentent une somme colossale que les jeunes ne peuvent pas prendre en charge. L’association a donc recours à des médecins bénévoles qui sont indemnisés : il leur est offert un séjour à la montagne avec leur famille. Cette compensation n’entre pas dans la comptabilité, elle est le seul moyen trouvé par l’association. Autrefois, dans les séjours de tourisme social, tout le monde participait aux travaux de cuisine et de vaisselle. Aujourd’hui, la loi n’autorise pas à laisser entrer en cuisine des étrangers au service. Les personnes qui fréquentent les organismes de tourisme social sont devenues des usagers consommateurs, elles ne se sentent plus des usagers militants. »
« Quand le directeur d’une entreprise emmène ses collaborateurs dans un grand restaurant et leur offre le repas, cela ne pose pas de problèmes à l’administration fiscale, du moins si l’événement a un caractère exceptionnel. Le secteur associatif ne se censure-t-il pas lorsqu’il renonce à des formes de compensation de ses bénévoles qui n’ont rien à voir avec un repas dans un grand restaurant ? Dans une entreprise, il est admis qu’une partie des ressources soit affectée à des œuvres sociales ou culturelles pour le personnel, sans que cela soit considéré comme une activité marchande fiscalisable. Les bénévoles associatifs n’auraient-ils droit à aucune compensation ou gratification !
Lorsqu’il s’agit d’aborder le statut des bénévoles et les compensations de leur activité, peut-être faut-il distinguer ce qui relève de l’activité interne et privée de l’association et ce qui est tourné vers l’extérieur et le marché. Il existe des activités entre les membres qui relèvent du projet mutuel, de la solidarité interne et de la plus-value associative. Si l’on est dans une logique de solidarité sociale, on ne devrait plus être devant la nécessité d’acquitter les charges demandées aux entreprises marchandes. Ce n’est pas dire que l’activité bénévole échappe totalement au droit commun.
Que les bénévoles, dans l’exercice de leur activité associative, soient couverts par une assurance contractée par l’association, cela confirme un réel rapport contractuel entre les membres de l’association. Les bénévoles sont des personnes qui œuvrent sous un statut particulier. Qu’au titre de ce statut, ils aient droit à un certain nombre de gratifications pour maintenir leur motivation ou leur narcissisme ou pour ne pas en être de leur poche, cela n’apparaît pas scandaleux. »
« Un vide juridique existe entre le bénévolat et le salariat. Dans les exemples cités précédemment, une des questions importantes est d’identifier la nature des activités confiées aux bénévoles et aux salariés, ainsi que les liens juridiques et de subordination. Comment trouver un système juridique prenne en compte l’accompagnement du bénévolat, sans pour autant mettre en danger le contrat de travail ? Comment donner à des personnes volontaires les conditions matérielles et financières de réaliser leur engagement associatif ? »
« Si la question se pose de manière cruciale pour les bénévoles sans les ressources susceptibles de couvrir les frais engagés par leur bénévolat, elle concerne aussi les bénévoles que les associations recrutent pour assumer des responsabilités ou des tâches indispensables et nécessitant des compétences avérées : ces bénévoles à qui on demande de contribuer à la marche de l’association, n’ont-ils pas à être dédommagés des frais entraînés ? Mais, n’introduit-on pas alors une discrimination entre bénévoles ? Pour nombre de responsables associatifs conscients que la démocratisation du bénévolat appelle une réflexion sur les conditions financières de son exercice, la compensation financière est à réfléchir soigneusement. Comme l’emploi aidé, elle peut être une béquille nécessaire dont la mise en œuvre doit être régulièrement évaluée et gérée en toute clarté. »
2 – Conditions et limites de l’exercice de l’engagement bénévole
par Elie Alfandari, professeur émérite à l’Université Paris Dauphine
À considérer les zones grises entre bénévolat et salariat, un certain nombre de choses demeurent floues et méritent que l’on essaie de les éclaircir. Le juriste commence par dire ce qu’est un bénévole et ce qu’est un salarié, avant d’examiner comment on peut passer de l’un à l’autre et fixer les frontières, voire les effacer.
Bénévoles sous contrat d’association et bénévoles non-membres
Pour le dictionnaire Larousse, le bénévole est celui qui fait quelque chose sans être rémunéré, sans y être tenu. Le bénévole est donc une personne qui agit, pose un acte et n’exerce pas nécessairement une activité. En effet, venir au secours d’une personne blessée dans la rue, c’est faire un acte de bénévolat, un acte isolé qu’on ne fera pas toute sa vie. Le bénévolat peut être un acte isolé : le bénévole pose un acte, l’arrête puis n’en parle plus ; en ce cas, il n’est pas dans le cadre d’une activité.
Le bénévolat associatif se pratique dans le cadre d’une activité, au sein d’une organisation. Mais, quand on parle de bénévolat associatif, il faut distinguer deux catégories de bénévoles : les bénévoles membres de l’association et ceux qui ne le sont pas mais agissent pour l’association.
Si le bénévole est celui qui veut bien, il y a engagement volontaire. On peut d’ailleurs ajouter bene volens (celui qui veut du bien). La motivation peut être extrêmement diverse. Est-ce que tous les bénévoles veulent du bien ? Est-ce que les bénévoles d’un club de tennis veulent le bien des autres ? Il y a bien des sortes de bénévolat et une distinction peut être faite entre les associations de solidarité interne et celles de solidarité externe : c’est-à-dire celles qui sont repliées sur leurs membres et agissent dans leur seul intérêt et celles qui se tournent vers l’extérieur, notamment vers les personnes démunies.
Dans cette distinction entre le bénévolat des membres et le bénévolat des non-membres, il faut bien voir que l’engagement n’est pas de la même nature. Le bénévolat des membres se fait dans le cadre du contrat d’association, puisque les membres sont liés par le contrat.
On entre librement dans une association. Certes, des associations à adhésion obligatoire créent une exception et la Cour de justice des Communautés européennes estime que cette obligation pourrait porter atteinte à la liberté d’association. On en sort librement, on accepte librement les statuts et les obligations imposées par l’association. Si l’on n’en est pas satisfait, on quitte l’association.
Le bénévole associatif non-membre n’est pas lié par le contrat d’association et les règles de la loi de 1901. Il prend un engagement vis-à-vis de l’association. Plus que d’une absence de contrat, parlons d’un autre type de contrat en jeu, d’autres relations juridiques. Bien qu’en dehors de l’association dont il n’est pas membre, il peut tout de même être lié par des obligations. Ainsi, l’association peut se doter d’un règlement intérieur qui s’impose à ce type de bénévole : ce qui doit être fait ; comment agir ; ne pas aller à l’encontre des intérêts de l’association.
La frontière entre bénévole et salarié et son franchissement
Le salarié est aussi celui qui veut bien. Il faut espérer que le travail forcé est fini mais, à lire la presse, des associations ont encore des pratiques critiquables. La liberté du salarié n’est pas toujours totale. Dans le cadre du droit français et du contrat de travail, le salarié s’engage volontairement et est lié à son employeur par un lien de subordination. L’employeur détermine ses tâches et peut prendre des sanctions. En compensation, le salarié perçoit un salaire et bénéficie d’une protection sociale.
Ces définitions très simples étant rappelées, il apparaît effectivement des zones grises. Le bénévolat est d’un côté et le salariat de l’autre, avec des frontières semblant être établies. Ces frontières peuvent être franchies, ce n’est pas interdit, ou effacées, ce qui est plus dangereux.
Comment peut-on franchir ces frontières, sinon en changeant de statut, en passant d’une catégorie à l’autre ? Rien n’interdit qu’un bénévole puisse devenir salarié de l’association. Mais attention aux abus : par exemple, si un dirigeant devient salarié et se fait rémunérer grassement, l’association ne peut pas le payer du point de vue fiscal au risque d’être considérée comme ayant une gestion intéressée. Par contre, s’il s’agit d’un véritable travail, qui n’est pas fictif et est rémunéré normalement, un bénévole peut devenir salarié.
De son côté, un salarié peut devenir bénévole au sein de son entreprise (le bénévolat n’est pas réservé à l’association). Un salarié d’association, après avoir pris sa retraite, peut travailler bénévolement dans l’association. à ce propos, il ne faut pas opposer le bénévolat au professionnalisme : les bénévoles peuvent être des professionnels. Un expert-comptable peut se mettre au service d’une association en proposant de tenir la comptabilité sans demander une rétribution : par exemple, dans le club de tennis où il joue.
La dimension professionnelle de nombre d’associations est évidente. On parle d’ailleurs de validation des acquis de l’expérience bénévole, reconnaissant ainsi les compétences mises en œuvre. œuvrer dans une association peut permettre d’acquérir une compétence professionnelle utilisable plus tard. On ne peut donc pas dire que l’association n’a pas un caractère professionnel.
On peut également être un bénévole associatif rémunéré comme salarié. Cette situation est dangereuse et nécessite des limites. Ce n’est pas l’activité de bénévole qui est alors rémunérée. Mais l’association confie à l’un de ses membres une mission qui ne rentre pas dans le cadre de l’activité du bénévole : par exemple, réaliser une enquête ou mener une expertise. Si l’association avait eu recours à quelqu’un d’autre, elle aurait dû le rémunérer. En conséquence, comme elle fait appel à l’un de ses bénévoles, elle décide de le rémunérer. On peut admettre que, de façon limitée, un bénévole puisse exercer une activité et soit rémunéré comme salarié.
Tout cela n’est pas contraire au droit et ne pose pas de problème particulier. Les zones grises commencent avec l’effacement des frontières et des critères fondamentaux qui distinguaient jusqu’alors le bénévolat et le salariat.
Effacement des frontières et des véritables zones grises
La première zone grise se situe sur le terrain de la liberté et de la non-subordination. Le vrai bénévole est celui qui a fait le choix de s’engager et de ne pas être rémunéré. Il refuse toute rémunération parce qu’il a de quoi vivre par ailleurs, qu’il soit retraité, fonctionnaire ou tout simplement actif. Des bénévoles ne sont malheureusement pas dans cette situation. Ainsi des personnes en extrême difficulté se mettent au service d’une association pour exercer des activités de salariés : par exemple, collecter des vêtements ou des objets chez les particuliers pour les transformer, avant de les revendre. Dans ces conditions, si l’association leur donne un pécule, les loge, les nourrit, on est à la limite d’un statut de salarié.
Beaucoup d’associations dites caritatives ont recours à ce type de bénévoles, avec l’intention louable de leur donner au moins de quoi vivre, éventuellement de les former et de les réinsérer. Ce n’est pas négligeable de créer un climat pour que ces personnes ne soient plus isolées. Mais il ne faut pas que ce genre de bénévolat déguise un contrat de travail que l’on ne veut pas établir afin de ne pas payer les charges sociales et de ne pas verser un salaire.
L’on apprécie les situations au cas par cas. Les critères du contrat de travail sont-ils remplis ou non ? On ne peut en juger que de façon objective. On ne pourra jamais dire qu’il n’y a pas de contrat de travail, au prétexte que les personnes n’en ont pas voulu. La volonté privée ne peut pas aller à l’encontre des règles d’ordre public du code du travail.
Trois arrêts vont dans ce sens. Ainsi, un arrêt de mai 2001 statuait sur les Chiffonniers d’Emmaüs. La Cour de cassation a jugé que, du moment qu’ils vivaient en communauté et étaient liés à une activité d’insertion, il ne pouvait pas y avoir un contrat de travail. Mais pourquoi la vie en communauté, sauf situation de communauté religieuse, exclurait-elle le contrat de travail ? Les dangers d’une telle analyse sont évidents.
Un deuxième arrêt de janvier 2002 par cette même Cour concernait la Croix-Rouge et a admis la possibilité d’un contrat de travail dans des circonstances à peu près identiques. Enfin, un troisième arrêt de janvier 2003 de la chambre criminelle de la Cour de cassation visait les Témoins de Jéhovah. Il y avait violation des règles de la sécurité du travail. En effet, une personne qui travaillait pour les Témoins de Jéhovah avait eu les doigts coupés et avait déposé une plainte en objectant que son employeur n’avait pas respecté les règles de sécurité.
L’employeur répondait qu’il n’en était pas un : la personne vivant en communauté, il n’y avait pas de contrat de travail. Le raisonnement n’a pas tenu et la Cour de cassation a condamné et rappelé les règles d’ordre public du contrat de travail.
Le second terrain où le flou s’installe est celui de la rémunération. Le bénévole est celui qui veut bien et accepte de ne pas être rémunéré. Le droit associatif s’oppose à la rémunération des membres de l’association, il s’agirait d’un partage indirect des bénéfices. Le droit fiscal se montre plus tolérant à l’égard de la notion de gestion désintéressée, puisqu’il accepte que les dirigeants associatifs soient rémunérés jusqu’à un certain pourcentage : une loi de décembre 2001 a même élevé le montant de ce pourcentage.
On comprend le problème des dirigeants qui sont beaucoup plus impliqués que les simples membres. Parfois, ces derniers se contentent d’assister aux assemblées générales, alors que des tâches importantes incombent aux dirigeants. Il est surprenant de constater que les bénévoles de gestion sont mieux traités que les bénévoles qui conduisent des actions sur le terrain.
Par ailleurs, si la loi de 1901 s’oppose à la rémunération des membres, dirigeants ou non, elle ne s’oppose pas à la rémunération des non-membres. C’est pourquoi, il faut bien distinguer les bénévoles membres des bénévoles non-membres. L’association peut rémunérer des bénévoles non-membres, comme le font Emmaüs ou la Croix-Rouge.
En conséquence, si le bénévolat en général n’a pas de statut, existent des statuts de bénévoles rémunérés. Le volontariat international et le volontariat civil sont dotés de statuts et sont légalement rémunérés ; ils bénéficient même d’une protection sociale, alors que les autres bénévoles n’ont qu’une protection sociale très limitée ou un système d’assurance volontaire.
Le bénévolat se rapproche donc peu à peu du salariat et, avec les formes nouvelles de salariat que sont les emplois atypiques et les emplois précaires, le salariat se rapproche du bénévolat. Que penser de ces emplois aidés, pour lesquels la rémunération ne vient pas de l’entrepreneur ou de l’association, mais des pouvoirs publics ? Les bénévoles ou les salariés rémunérés des associations ne sont-ils pas un peu dans la même situation ? Effectivement, il y a du flou autour des frontières.
3 – Contrat associatif et contrat de travail
par Philippe Waquet, ancien magistrat à la chambre sociale de la Cour de cassation
On ne prend pas suffisamment en compte un certain nombre de difficultés qui résultent du droit du travail et sont bien normales.
Pourquoi notre droit du travail est-il un droit dont la tendance est aussi envahissante ? D’ordre public, il est sanctionné pénalement. C’est pourquoi il est étonnant d’entendre parler du portage salarial comme d’une véritable planche de salut. Le portage salarial paraît comporter un danger considérable : si certaines activités de portage peuvent être valables, elles tombent généralement sous le coup du délit de marchandage et, par conséquent, de poursuites pénales extrêmement graves. Il ne faut donc pas se faire d’illusion à ce sujet.
Droit du travail et requalification
Le droit du travail est un droit impérieux et d’ordre public qui s’impose pour deux raisons. Tout d’abord, c’est un droit de protection pour le salarié. Si celui qui travaille pour autrui est presque toujours salarié, des quantités de formes de travail pour autrui ne sont pas à proprement parler du salariat : à chaque fois, il faut trouver une qualification légale, un contrat valable, pour justifier ce travail en dehors des règles du salariat. C’est le cas des médecins qui travaillent pour leurs malades et reçoivent d’eux une rémunération ; ils n’ont pas de lien de subordination aux malades et les règles du droit du travail ne jouent pas, sauf dans le cas de médecins engagés dans le cadre de la fonction publique ou d’organismes où ils peuvent être salariés. De même pour un avocat, un architecte et tous les métiers indépendants. La situation est identique pour les commerçants qui travaillent pour leurs clients en faisant venir des marchandises, en ouvrant un magasin et en restant à la disposition de leur clientèle. Cela s’inscrit dans les règles du contrat de vente, c’est le code civil qui s’applique.
Mais, s’il n’y a pas de contrat particulier, existe comme une aspiration du droit du travail et l’on considère qu’il y a travail pour autrui et qu’il est à gérer en référence aux règles du droit du travail, quelle que soit l’acceptation par le travailleur du statut de non salarié qu’on veut lui donner.
Récemment, la chambre sociale a requalifié un grand nombre de contrats de chauffeurs de taxi : ces chauffeurs se présentaient comme étant locataires de leur taxi ; ils ne percevaient rien sauf de leurs clients ; mais, chaque semaine, ils allaient en un endroit précis où on leur confiait un véhicule et, en contrepartie, ils payaient celui qui était présenté comme leur bailleur. Le juge de la Cour de cassation, usant de son pouvoir de requalification des situations, a estimé que le montage était une pure apparence, un déguisement de contrat de location, derrière lequel se cachait un véritable contrat de travail. Les chauffeurs travaillaient pour une maison qui fournissait des voitures conçues pour faire taxi et leur imposait des obligations et contraintes qui en faisaient de véritables subordonnés. En raison de ce lien de subordination, ces chauffeurs de taxi étaient des salariés. Ce type de requalification se produit tous les jours, en référence à l’arrêt du 19 décembre 2000.
Un autre cas peut être cité : une entreprise de transport routier avait trouvé un système pour échapper au droit du travail. Elle disait à ses chauffeurs qu’ils étaient des associés, qu’ils constituaient une association en participation, que l’entreprise apportait le capital et les chauffeurs leur travail. Les chauffeurs roulaient durement, partageaient les pertes en tant qu’associés, et n’y gagnaient rien. La Cour de cassation s’y est reprise à deux fois pour requalifier cette situation, car les Cours d’appel estimaient que le système était licite.
Quels que soient les habillages ou magnifiques ornements que l’on met sur les situations, seules comptent les conditions dans lesquelles les parties se trouvent de fait. Elles ne peuvent, au travers des dénominations qu’elles donnent à leurs contrats, échapper aux règles du droit du travail. Un individu, qui a accepté pendant quinze à vingt ans d’être un locataire ou un mandataire, peut réclamer sa véritable qualification et, dans la limite de la prescription quinquennale des salaires, réclamer les droits qu’il aurait dû avoir en tant que salarié.
En matière d’application du droit du travail, une seconde raison est fondamentale : le statut du contrat de travail et l’application du droit du travail ne sont pas seulement une protection des travailleurs, ils fondent aussi notre protection sociale. à travers le salariat et les cotisations calculées sur les salaires, se remplissent les caisses de sécurité sociale, les caisses de retraite et les systèmes de protection sociale. Les autres travailleurs, notamment les travailleurs indépendants, s’acquittent également de cotisations. En conséquence, ce ne sont pas seulement les salariés et les travailleurs qui peuvent réclamer une requalification et demander une application du droit du travail, mais aussi les services de l’État, la Sécurité sociale, l’Urssaf et diverses caisses. Ils peuvent reconnaître que, dans telle situation, la personne trouve normal de ne pas percevoir de rémunération, mais ils peuvent estimer qu’il y a matière à cotisation.
La tendance hégémonique de notre droit du travail
Nous sommes dans un système à tendance hégémonique, autoritaire et impériale. Le système du droit du travail tend certainement à devenir le régime de l’homme moderne.
Certes, le salariat s’est transformé. Outre le rapport Jean Boissonnat, existent de nombreuses réflexions sur la question. Le salarié n’est plus le prolétaire qu’il était au moment de la révolution industrielle, il a acquis des droits. Le salariat continue de changer de formes. S’il a perdu des aspects qui lui donnaient un caractère pénible, un statut est recherché à travers lui.
Au XIXe siècle, les partis politiques luttaient pour l’abolition du salariat qui représentait un substitut du servage. Aujourd’hui, tout le monde veut être salarié. Un des meilleurs exemples est celui des avocats salariés. Alors qu’avant le Barreau considérait comme inhérent à la fonction d’avocat d’être indépendant et de ne pas avoir de lien de subordination, il admet à présent des avocats salariés.
Nous disposons d’un système extraordinairement attirant, qui fonctionne comme un aimant. Les bénévoles des associations seraient au nombre de neuf millions, ils représenteraient un million d’emplois en équivalent temps plein. Il n’en reste pas moins que, pour les associations ayant des salariés, il est toujours intéressant d’avoir affaire à des bénévoles.
Le professeur Elie Alfandari a souligné que le terme de bénévole restait ambigu. Venant participer à ce séminaire, les membres de la fonda font un acte bénévole ; ceux qui ne sont pas membres de la fonda viennent comme de simples citoyens. Dans une société démocratique, il est essentiel que le travail gratuit continue à exister. Le professeur Supiot insiste sur cette valeur fondamentale du travail gratuit qui comporte une quantité d’aspects : par exemple, utiliser les énergies de très nombreux retraités, en bonne santé et capables de participer à l’activité sociale. Il est intéressant de maintenir vivante l’idée de l’acte gratuit : tout n’est pas rémunéré, tout ne donne pas lieu à une compensation, même sous forme de gloire ou de décoration. Si l’idée de gratuité est bonne, elle pose néanmoins problème.
Comment éviter la requalification des bénévoles ?
Pour éviter la requalification des bénévoles, deux voies sont possibles : la voie légale et la voie jurisprudentielle. La voie légale existe avec deux statuts mis au point. Le premier statut est celui du volontaire pour le développement qui a donné lieu au décret du 15 mars 1986, appliqué d’une manière libérale par la chambre sociale de la Cour de cassation. Cette dernière a cassé un arrêt d’une Cour d’appel qui avait voulu voir un salarié dans un de ces volontaires pour le développement. La Cour de cassation s’est opposée à ce jugement, nonobstant le fait que ce volontaire touchait une gratification modique qui lui permettait une petite autonomie sans s’enrichir. Plus récent, le statut du volontariat civil est le résultat de la loi du 14 mars 2000.
Deux statuts existent donc, il pourrait y en avoir d’autres. Peut-être pourrait-on envisager une annexe à la loi de 1901 ou un autre texte permettant un système de volontariat avec une petite gratification, là où il n’y en a pas actuellement. Le juge cherche toujours à trouver une solution aux problèmes concrets, il essaie d’entrer dans les subtilités de la société et de répondre aux besoins sociaux qui se présentent. C’est pourquoi, il a déjà fait un certain nombre d’exceptions au système du droit du travail.
La première exception concerne le secteur religieux. L’église catholique et les églises protestantes et réformées ont réussi à échapper au droit du travail. S’il existe des religieux salariés, ils n’ont pas en général un contrat de travail en bonne et due forme. On considère que les religieux, qui rendent en France un service considérable, ne sont pas pour autant des salariés. En conséquence, ils échappent totalement au droit du travail. Ceci étant, des arrêts récents n’ont pas tranché de la même façon en ce qui concerne par exemple les rabbins qui sont considérés comme des salariés : les Juifs n’ont pas d’organisation ecclésiale, il n’y a pas d’église juive, le rabbin ne se met pas dans une sorte de communauté, il est au service des fidèles et au fond leur salarié.
Ces exemples, puisés du côté des religieux, résultent notamment d’un arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 8 janvier 1993. Plus récemment, la chambre sociale a signé un arrêt que l’on pourrait qualifier de bienveillant. Il a été rendu en faveur d’Emmaüs : les travailleurs qui sont acceptés dans les foyers Emmaüs et participent au travail d’Emmaüs ne sont pas des salariés. Ce jugement se rattache à la jurisprudence religieuse mentionnée précédemment et renvoie à l’idée que l’on s’engage par vœu ou d’autre manière dans une communauté, que l’on n’y travaille pas avec l’idée de rendre service à un tiers ou à un employeur. Ce point de vue est peut-être discutable. Toujours est-il qu’il a justifié l’arrêt en question. En l’occurrence, le plaignant avait été mis à la porte. En tout état de cause, il s’agit d’un lien de subordination très particulier.
« S’agissant des religieux, le contrat de travail est exclu parce qu’ils ont fait vœu d’obéissance à l’autorité religieuse. Ils sont bien dans un état de subordination, mais exceptionnel. Par contre, si le religieux travaille dans un établissement d’enseignement sous la subordination du chef d’établissement, le contrat sera bien un contrat de travail dans le cadre d’un emploi subordonné. Pour les communautés d’Emmaüs, il apparaît déplacé de parler de vœu d’obéissance à l’autorité supérieure. »
« Un compagnon d’Emmaüs peut arriver dans la communauté quand il veut et on lui donne du travail ; il peut tout autant partir quand il veut. »
L’aboutissement de la jurisprudence actuelle est l’arrêt qui concerne la Croix-Rouge. Il s’agissait d’individus qui accompagnent des personnes malades, fatiguées ou âgées en voyage. Ces tiers accompagnateurs avaient évidemment leur voyage payé et ils recevaient une petite aide. La question était de savoir s’ils étaient salariés ou pas. La Cour de cassation a choisi de fonder son jugement de la manière suivante : on ne peut qu’être salarié quand on travaille pour autrui et quand cette activité se rattache à l’existence et à l’exécution d’un contrat déterminé. Par contre, il est possible de rester dans un contrat associatif qui précise la nature et l’étendue des indemnisations. Par exemple, je suis membre d’une association et appelé à travailler à la réalisation de l’objet de l’association qui est de se grouper en vue de faire progresser tel projet ou telle idée : si on me demande de travailler à cette idée, ne serait-ce qu’en collant des timbres, je fais avancer cette idée et je ne fais pas un travail qui relève du droit du travail, mais une activité qui relève du contrat d’association.
Par ailleurs, légalement parlant, l’association a des dirigeants : des personnes qui donnent des directives. Ainsi, ils peuvent donner l’ordre aux adhérents de coller des timbres, d’aller à Montparnasse ou de soigner quelqu’un, autant d’activités qui rentrent dans le but de l’association. Dès lors qu’il n’y a pas de fraude, on est dans le cadre associatif et non pas en présence d’un contrat de travail.
L’arrêt concernant la Croix-Rouge est très important. En l’espèce, parce que les intéressés n’étaient pas membres de la Croix-Rouge, la Cour de cassation les a considérés comme des salariés qui travaillaient pour le compte de la Croix-Rouge et ne cherchaient pas à satisfaire au but de la Croix-Rouge, n’étant pas militants ou membres. à ce propos, l’idée de militance est intéressante : les sociétaires sont naturellement des militants qui visent le but de l’association, celui-ci fut-il de faire jouer au football. C’est un but social, voilà toute la spécificité du système.
Quant à la question d’une modeste rémunération pour ceux qui souhaitent recevoir quelque chose, en raison de leur situation précaire, il n’est pas exclu par le droit des associations que les personnes membres d’une association puissent recevoir une certaine indemnisation pour leur tâche. S’il n’est pas question de verser aux bénévoles de véritables salaires car cela serait de la fraude, il n’est pas exclu que les dirigeants, sauf dans le cas des associations reconnues d’utilité publique (pour lesquelles cette rémunération est expressément exclue par la loi), puissent être indemnisés pour l’activité sociale accomplie et les simples sociétaires peuvent également recevoir une indemnisation modérée. Il faut bien entendu que cela soit inscrit clairement dans les statuts et que l’on sache que l’on est dans le cadre associatif, les contrôles et les contestations n’étant pas écartés.
Un article du professeur Jean Sabatier, publié dans la Revue de droit social en mai 2002, critique l’arrêt sur la Croix-Rouge indiquant que les sociétaires ne devraient recevoir que le seul remboursement de leurs frais. La formule a été introduite pour montrer que l’on voulait restreindre le système. Ce n’était pas une échappatoire au droit du travail. En définitive, une évolution est possible dans le sens d’une indemnisation limitée des bénévoles, membres de l’association.
4 – Bénévolat, un point de vue syndical
par Gérard Alezard, responsable syndical Cgt, vice-président du Conseil économique et social
Le militant syndical n’est pas un bénévole, même s’il est de bonne volonté. Il n’est pas davantage un juriste. Sur un sujet comme celui-là, syndicats et associations ne peuvent pas continuer de se renvoyer la balle ou de jouer le statu quo. Il serait inédit de rechercher ensemble une solution, dans la discussion.
La recherche commune de solutions
Il s’agit d’un problème sociétal sur lequel nous devons tous nous pencher, évidemment sans confusion des genres. Le syndicalisme a lui-même à regarder du côté de ses propres bénévoles, car il peut y avoir problème. Nous devons réfléchir ensemble aux questions du salariat et du bénévolat, avec une double exigence d’évolution réciproque et de recherche d’une autre pratique sociale. Nous partageons un même besoin de transparence et des aspirations à la démocratie sur les choix et les pratiques.
Alors que le monde associatif est de plus en plus marqué par le social, vu l’étendue des problèmes et des carences, le rapprochement et la rencontre entre nous sont absolument indispensables. Nous sommes davantage en mesure de sortir des clivages et des concurrences hérités de l’histoire, sans minimiser les séquelles et les risques de rechute.
On est dans une situation où le nécessaire politique, au sens de la responsabilité que nous avons les uns et les autres, est très loin du possible militant. On a besoin de rechercher les moyens de l’efficacité. Des réflexions comme celles de ce séminaire nous invitent à des travaux pratiques sur la question plus large des rapports entre le syndicalisme et le monde associatif.
Un contexte de remise en cause des acquis sociaux
Le rapport entre le bénévolat et le salariat est compliqué, comme l’est le rapport entre le bénévole et le dirigeant. Derrière cela, c’est le rapport au code du travail. Il est urgent de le traiter car nous sommes dans un contexte de mise en cause sérieuse de ce qui touche au droit du travail, à la protection sociale, aux contrats. Quand on généralise le dérogatoire, on peut se faire du souci sur nombre d’éléments constitutifs du droit du travail.
Aux termes de travail gratuit, préférons ceux d’acte gratuit, au regard des nombreuses situations concrètes auxquelles nous pouvons nous référer. Il n’y a pas de réponse valable sans poser deux conditions : le besoin d’une réflexion entre les syndicats et les associations et le besoin d’un dialogue social au sein de l’économie sociale. Si l’on peut discuter de ces questions, notre organisation syndicale est disponible.
Le protocole en cours de négociation avec l’Union des syndicats et groupements d’employeurs représentatifs dans l’économie sociale (Usgeres) montre des prémices intéressants à ce dialogue, même s’il s’avère compliqué. D’une part, il faut absolument préserver et développer l’engagement bénévole : il offre aux associations une base de ressources humaines ; la Cgt a un « Comité des sans emploi » constitué de bénévoles, contraints, forcés ou convaincus. D’autre part, le développement des activités associatives pose la question des compétences et de la professionnalisation. N’opposons pas professionnalisation et bénévolat. Ou, plutôt que de professionnalisation, parlons de qualification, de compétence et d’expérience.
N’éludons pas un certain nombre d’effets pervers de la période, notamment autour du travail. La théorisation sur le bénévolat prétend parfois justifier le désengagement des pouvoirs publics à l’égard des associations. Parler de bénévolat, c’est dire qu’il en faut et tout faire pour le développer. Mais, il faut examiner attentivement ce qu’il recouvre car il est aussi parfois des utilisations des bénévoles discutables.
On peut aussi parler des obligations imposées au bénévolat. Si des bénévoles deviennent des sous-salariés, il ne faut pas évacuer ces situations et faire comme si elles n’existaient pas. Cela renvoie au comportement des associations, mais c’est aussi la conséquence de situations extrêmement difficiles de personnes prêtes à accepter une activité, même si elle est en dehors des normes et des règles. Les syndicats n’ont pas à s’ingérer dans les affaires des associations, mais ces dernières ne doivent pas chercher à contourner le droit du travail.
Trois convictions à propos des bénévoles
La première conviction est que, s’il faut un bénévolat plus nombreux et plus compétent, faisons en sorte qu’il dispose d’un statut social effectif. Pour les retraités, la question se pose différemment. Mais pour les salariés ou les retraités, c’est un statut social du bénévole qu’il s’agit de promouvoir ensemble. Ce combat est à articuler à celui contre la précarité installée. S’il faut un bénévolat plus nombreux et plus compétent, qu’il puisse aussi disposer de temps et de moyens pour être exercé quand on est salarié. La fonction publique met à disposition, mais elle n’autorise pas officiellement (il n’y a ni droit ni texte à ce sujet) le salarié à suspendre son activité salariée pour exercer une activité bénévole.
Le débat sur le statut du militant et du bénévole se pose aussi à l’intérieur des syndicats. Du côté des syndicats, il arrive que l’on joue sur les droits syndicaux pour que les militants puissent avoir une activité associative ; cela nous paraît parfaitement normal. L’activité bénévole ne devrait pas entraîner de coûts pour le bénévole. Pourrait-on se retourner vers les entreprises et les employeurs en général ?
Une seconde conviction est que nous devons étudier toutes les contraintes qui peuvent peser sur l’exercice du bénévolat. Compensation et indemnisation méritent d’être étudiées de près. Le recours au portage salarial n’est souvent qu’un piège, alors que le mouvement associatif a d’autres expériences. Si un bénévole est salarié, il n’est plus bénévole et, s’il est salarié, il vaut mieux qu’il ne soit pas un sous-salarié.
Ma troisième conviction est qu’il y a d’urgence à trouver les voies pour travailler ensemble. Il serait intéressant de faire un état des lieux sur le sujet. Quel que soit le terme, bénévolat ou volontariat social, je propose que l’on y réfléchisse car s’impose une mise à jour de la nature des missions à assumer sur le terrain du bénévolat, très brouillé et très flou, d’autant que la diversité des associations est à prendre en compte.
Enfin, nous sommes preneurs des questions de la formation et de la validation des acquis. Du côté syndical, on est loin d’être satisfait au regard de ce que nous attendions de cette démarche. Néanmoins, le syndicalisme pourrait aider à ce que la validation des compétences acquises dans le monde associatif puisse se concrétiser dans l’entreprise.
En guise de conclusion, il faut faire la liste des garanties imprescriptibles. Ainsi, on ne peut pas utiliser les bénévoles n’importe comment et dans n’importe quelles conditions, alors que les droits sociaux existent. Discuter des moyens nécessaires aux associations est également important. Syndicats et associations ne peuvent pas se développer sur les ruines des autres. Or, il est aussi des terrains inoccupés et, si l’on pouvait les occuper ensemble avec nos spécificités propres, ce serait une bonne chose.
5 – Syndicaliste, militant et bénévole
par Stéphane Larignon, responsable syndical Cfdt
Le militant syndical ne peut que convenir qu’il participe de la zone grise : salarié du syndicat, il est aussi adhérent et militant. En effet, il est difficile de concevoir le rôle de permanent d’une organisation syndicale sans être militant.
Ma confédération a très peu réfléchi sur ces problématiques. Je me retrouve dans beaucoup des remarques faites par mon collègue de la Cgt, en particulier sur les évolutions du travail et la diversité des situations. Ce sont des questions extrêmement sensibles pour les fédérations professionnelles qui ont affaire avec beaucoup d’employeurs associatifs ; mon syndicat sera donc amené à travailler ces questions au plan confédéral.
Il faut évacuer le fait qu’il pourrait y avoir une forme de concurrence ou d’opposition entre le syndicalisme et le monde associatif, si nous voulons aborder ensemble les questions qui touchent au bénévolat. Près de 80% des associations n’ont pas de salarié et fonctionnent donc grâce au bénévolat ; c’est un des éléments de l’absence de conflit entre nous sur ces questions.
Par ailleurs, nous reconnaissons l’importance fondamentale de l’engagement bénévole dans notre société, qui est non seulement facteur de cohésion sociale mais également facteur d’émergence de nouveaux besoins, de missions et d’activités qui peuvent être solvabilisées et contribuer au développement de l’emploi. Les questions ne peuvent donc être posées en termes de concurrence entre le bénévolat et le salariat. Même si nous savons bien, aux dires de nos fédérations professionnelles, que les relations sont souvent difficiles entre les salariés et les bénévoles des associations, en raison des conflits qu’ils peuvent avoir dans leurs rôles respectifs et des différences de professionnalisme que chacun apporte dans ses responsabilités.
L’objectif principal du travail de la Cfdt pour tenter de résoudre ces questions est de participer à la construction d’un véritable dialogue social dans le champ associatif. Le constat est encore une relative absence de réflexion collective des associations sur leur rôle d’employeurs. Ce terrain-là est le plus urgent à travailler. à ce titre, avec quatre autres confédérations, nous sommes impliqués dans un travail avec l’Union des syndicats et groupements d’employeurs représentatifs dans l’économie sociale (Usgeres), à partir d’une déclaration commune de 2001. En 2002, ces employeurs ont candidaté aux élections prud’homales ; nous nous félicitons de cette avancée comme de la reconnaissance du rôle d’employeur par le mouvement associatif de l’économie sociale.
L’accord passé avec l’Usgeres a permis de commencer un travail sur trois axes. Le premier axe est celui du dialogue social : il est lié au grand nombre de petites structures et nous a conduit à un projet de déclaration commune pour l’organisation des élections des représentants des salariés à une date unique. Le second axe porte sur la qualité des services et la qualité de l’emploi, préoccupations qui sont communes avec les vôtres. Le troisième axe renvoie à la question de la pérennisation et de la professionnalisation des emplois jeunes. à travers ces questions, on peut aussi aborder celle du rapport entre les salariés et les bénévoles dans les associations. La reconnaissance par les associations de leur rôle d’employeur permettra d’avancer sur la question du bénévolat.
Syndicats et associations sont confrontés à des problèmes, sinon similaires, au moins parallèles : ainsi des questions par rapport à la syndicalisation dans les Pme. Nos organisations pourraient se rejoindre, à l’heure où des évolutions importantes marquent l’emploi et le travail dans le secteur associatif.
6 – Une analyse fine des formes de bénévolat
De la diversité d’approches et d’exercices du bénévolat
par Gabriel d’Elloy, La Fonda
Qu’il me soit permis de pointer quelques pistes pour mettre en travail, dans les associations, des approches du bénévolat souvent beaucoup trop indifférenciées et bien rapides, quand elles ne sont pas embarrassées par des stéréotypes ou des préjugés insuffisamment critiquées. Les zones grises et les ambiguïtés se révèlent dans les situations concrètes observées au sein des associations, mais aussi dans la tête de certains responsables associatifs ou représentants des pouvoirs publics. Ce séminaire peut permettre de commencer à mettre de l’ordre dans nos têtes, afin que nous portions un regard plus lucide sur les bénévolats et les déroulements de carrière des bénévoles. La vie associative en sera alors mieux gérée et surtout plus facilement (re)dynamisée, là où elle a besoin de l’être. Ainsi, une identification de la frontière entre bénévole et salarié facilite la perception des limites à respecter, mais aussi des franchissements possibles ou même à encourager.
Du bénévole et du salarié, il a été avancé des définitions qui clarifient les choses. Par contre, le terme de militant est encore dans le brouillard, notamment quand on en fait un synonyme de bénévole. On parle des militants politiques, des militants syndicaux, des militants associatifs, des salariés militants et des bénévoles militants. Le militant est celui qui se bat et qui lutte : cette définition renvoie à l’engagement de qui s’active pour des convictions et des valeurs, pour un projet ou des actions. Tous les bénévoles ne sont pas nécessairement des militants et des salariés peuvent être aussi des militants.
Lors d’une enquête auprès des bénévoles de 180 associations, dans une grande ville de l’Ouest, un responsable associatif signalait l’activité bénévole d’une mère de famille qui, à l’année, lavait les maillots de l’équipe sportive à laquelle appartenait son fils. Il ajoutait qu’elle n’était pas militante, mais simplement une femme qui rendait un service gratuitement. En rencontrant cette personne, son rapport à l’association, aux jeunes, au développement social du quartier et au projet de ville s’est avéré plus prégnant que ne le laissait penser la réaction d’un administrateur. Quant au temps qu’elle consacrait au lavage des maillots, il était plus important que celui accordé à l’association par certains administrateurs du comité directeur. à quelle aune se mesure le bénévolat ? Cet exemple démontre qu’il faut éviter les stéréotypes et les analyses trop rapides.
Pour prendre un autre exemple, dans des associations où les salariés sont très nombreux, les conditions d’exercice du bénévolat ne sont pas toujours faciles à identifier. Comment éviter que les administrateurs bénévoles soient complètement instrumentalisés par l’équipe salariée de direction ? Ainsi, dans une association qui décompte 75 000 heures de salariés par an et où le bénévolat de gestion autour des instances statutaires est de l’ordre de 750 heures par an, soit une heure de bénévolat pour 100 heures de salariat. Dans une telle situation, les fonctions et les responsabilités des administrateurs et des cadres de direction doivent être très cadrées, des méthodes de travail sont à concevoir pour que la direction ne soit pas dans une gestion de fait, avec des administrateurs en simple faire-valoir. Dans de telles situations, les cadres de direction doivent être formés et préparés à gérer l’association afin que les responsabilités entre administrateurs bénévoles et salariés soient exercées complémentairement et en synergie.
Dans sa diversité, sa complexité mais aussi sa fragilité, la vie associative appelle une approche fine des bénévolats et de l’articulation des engagements bénévoles et salariés, si c’est le cas. Les statuts et les responsabilités de chacun sont à identifier, avec les inévitables évolutions qui les accompagnent dans le temps. Les carrières et trajectoires des bénévoles peuvent être aussi différentes et aussi variées que celles des salariés. Elles doivent donc être suivies, voire accompagnées comme telles, par les responsables associatifs, notamment quand elles jouent avec des préoccupations d’insertion sociale et professionnelle : le demandeur d’emploi bénévole n’est pas dans la même situation sociale et économique que le salarié bénévole, même s’ils sont sous les mêmes couleurs associatives. En conséquence, selon les associations, les remboursements de frais et autres compensations (dont la formation et la validation des acquis de l’expérience bénévole) ne sont pas honteux et ne peuvent pas être traités à la marge. Il y va de l’accès au bénévolat de personnes sans les moyens économiques de faire face aux coûts induits ou secondaires d’un bénévolat qui peut entraîner des frais de déplacement, de séjour, de téléphone, etc.
Dans un contexte de crise économique et de dérégulation de l’activité salariée et de certains emplois, la vie associative ne peut pas ne pas être vigilante sur ce que les pouvoirs publics et la société attendent du bénévolat. à ce niveau, il n’y a pas de position toute faite. à défaut d’en parler et d’examiner les choses lucidement, les zones grises se développeront.
Pas de classification ou de normalisation hâtive
« Nous sommes confrontés à la tentation, davantage ancrée dans notre culture que dans notre droit, de classer, identifier et normaliser.
Première illustration : dans son voisinage, un retraité ou un actif rend des services, avec constance et régularité, intervenant auprès de personnes âgées, de malades et d’enfants à qui il consacre temps et compétence. Un de ses voisins exerce des fonctions dans une association parfaitement identifiée, il y passe du temps et y prend des responsabilités par délégation. On est assez souvent tenté de revendiquer pour le second un statut de bénévole et de dire au premier d’abandonner son statut de citoyen ordinaire et de se faire reconnaître comme bénévole pour avoir un statut.
Un autre type de confusion porte sur les notions de bénévole et de militant. On ne les oppose pas l’une à l’autre, mais on a tendance à glisser de l’une à l’autre : on accorde des vertus de disponibilité aux bénévoles qui doivent être reconnus, tandis que les militants qui défendent des intérêts d’ordre général et ne revendiquent pas cette reconnaissance sont méconnus. Entre ceux qui consacrent beaucoup d’énergie pour transformer et améliorer la société et ceux qui assument des bénévolats concrets et visibles, faut-il établir une hiérarchie des valeurs ? Faut-il accorder aux bénévoles, notamment à l’heure de la validation des acquis, le mérite de cette reconnaissance, alors que les militants de l’ombre qui ne le revendiqueraient pas seraient laissés à des combats utiles mais inconnus ?
Évitons d’imprimer des labels, de normaliser et de donner un type de statut aux uns, laissant les autres à leur bonne volonté de citoyens. La difficulté est grande de vouloir dresser une typologie des citoyens engagés, car ce n’est plus à la sociologie qu’il faut faire appel pour cela, mais à la psychologie et à la psychanalyse. »
Des associations instrumentalisées
« Qu’est-ce que le militantisme, sinon peut-être l’adhésion à un certain idéalisme, c’est-à-dire un dépassement de soi avec la dimension d’un engagement politique qui peut aller à l’encontre des visées du pouvoir en place ? Dès lors, ne faut-il pas mettre en garde non pas contre le militantisme (ou l’esprit critique, fondamental dans une démocratie), mais contre l’association si elle perd son militantisme : financée par les pouvoirs publics, elle n’ose plus les critiquer ; soumise à des impératifs de gestion, l’important est d’assurer la rentrée des fonds pour payer ses salariés. Si beaucoup d’associations militent, par exemple en faveur des droits des étrangers, et restent très critiques pour faire avancer des solutions à des problèmes évidemment difficiles, beaucoup d’autres s’enferment dans la gestion classique et traditionnelle de leur activité, sans ambition politique ni militantisme : elles recrutent alors des bénévoles à qui elles demandent des engagements techniques davantage que politiques. »
« Aujourd’hui, alors que les coupes budgétaires sont relativement importantes, quels financements restent-ils pour la vie associative ? Les associations ont régulièrement des tâches supplémentaires à accomplir, dans tous les domaines et particulièrement celui du sanitaire et du social. Les recettes publiques ont tendance à diminuer. Alors que le gouvernement voudrait augmenter les réductions fiscales, la réponse de Bercy est qu’on ne peut indéfiniment les augmenter. La générosité du public n’est pas extensible à l’infini et elle a sans doute atteint un seuil.
Quelles recettes sont proposées pour le financement d’actions qui sont de plus en plus urgentes, de plus en plus importantes et qui le seront tous les jours un peu plus, compte tenu de l’explosion démographique, du développement de la pollution, de la mondialisation ? Le problème dramatique est que, face à des besoins sociaux qui seront de plus en plus importants dans les années à venir, les recettes vont diminuant. C’est la quadrature du cercle. »
Des méthodes et des outils associatifs à trouver
« Considérons le projet d’une association qui s’occupe de handicap et veut organiser une réunion avec ses membres sur une question technique les concernant. Le budget, de plusieurs dizaines de milliers d’euros, a comme dépense principale la location d’une salle. Cela signifie que le mode de consommation du monde associatif est devenu dépendant des acteurs du secteur marchand et qu’il s’exprime de plus en plus au travers des représentations dominantes de ce secteur. On pourrait imaginer que les responsables de cette association trouvent un amphithéâtre prêté par une ville ou une université, ou un cinéma comme l’a fait le Forum social européen en utilisant des salles aux heures sans projection.
Quand on parle d’idéalisme militant, de quel modèle de société s’agit-il ? Quand nous montons un projet associatif, sommes-nous du côté de la démonstration qu’il peut y avoir une production sociale un peu particulière et indépendante des moyens financiers alloués à ce projet, un mode d’expression et une intervention sociale à la hauteur du projet de départ ? La vie associative n’a-t-elle pas à réfléchir à la mise en commun de ressources et de personnes qui fédèrent, vendent en coopérative ou louent ensemble des services ou des moyens modestes ? Quand nous parlons du développement des associations, sommes-nous dans une catégorie de la société de consommation, avec des critères qui nous empêchent de mener des actions bénévoles au nom de la protection sociale et du code du travail ? En même temps que nous avons un projet, pouvons-nous inventer des procédures et des outils particuliers qui échappent aux modèles économiques dominants ? Il est remarquable qu’un grand nombre d’innovations et d’expérimentations réussies soient le fait d’associations. »
« La notion de frontière évoquée précédemment permet d’évoquer la situation de beaucoup d’associations de jeunesse qui gèrent ou ont géré des centres de vacances. Lorsque la convention collective de l’animation a été mise en place, les partenaires de ce secteur ont voulu une annexe concernant les animateurs de centres de vacances qui n’entrent pas facilement dans le droit du travail. Ces animateurs exercent d’abord des fonctions qualifiées et reconnues par des brevets qui ne sont pas des diplômes professionnels. Ils sont corvéables à merci pendant des journées entières, avec une grande part de bénévolat, et ne peuvent pas entrer dans le droit du travail. Cela dit, leur fonction auprès des jeunes est importante. On a longtemps considéré que ces grands frères intervenant auprès des jeunes avaient une fonction sociale et éducative essentielle. Aujourd’hui, en fonction de cette annexe à la convention collective, des inspecteurs du travail envoient au tribunal des directeurs d’associations qui sont condamnés au pénal parce qu’ils ne respectent pas le droit du travail. Les règles et le franchissement des frontières sont à discuter. Les appels de nos partenaires syndicaux à la négociation et au dialogue social sont importants car, jusqu’alors, des positions syndicales n’ont pas favorisé la prise en compte de ce type de problème en lien avec la citoyenneté des jeunes. »
« La question des moyens financiers est importante mais elle ne paraît pas, pour le moment, essentielle. En revanche, la dimension de gratuité l’est. Il faut donc pouvoir donner un statut et cerner un peu mieux les frontières. Les moyens viendront après. Les problèmes comme la requalification des contrats sont à explorer avec le concours des organisations syndicales. Ce sont une vision et un projet de société qui sont en cause. »
« La question des moyens financiers est essentielle dans la mesure où elle interroge les moyens donnés aux citoyens que l’on invite à participer à un projet. Par exemple, des centres sociaux sont en grande difficulté dans le secteur de l’alphabétisation : des habitants des quartiers souhaitent pratiquer cette activité dans un cadre associatif, de façon bénévole et originale au nom de la solidarité ; cela n’est plus possible dans la mesure où l’on assiste à un transfert des moyens financiers sur des organismes de formation ; qui plus est, ces derniers ne s’inscrivent pas dans le cadre d’un projet participatif comme celui que mettent en œuvre des bénévoles des quartiers dans les centres sociaux. »
Poursuivre le travail d’élucidation
« Tout le monde semble d’accord pour ne pas viser l’impossible. Un état des lieux général est un préalable indispensable car nous avons amplement constaté des zones grises. Associations et syndicats, sans avoir le même regard, peuvent travailler ensemble en toute franchise. Des interlocuteurs représentatifs peuvent être trouvés au niveau confédéral. Il serait intéressant de produire une mise à jour des besoins, des droits et des moyens. Sinon, nous multiplierons colloques et séminaires sans arriver à un accord et les situations de flou et d’ambiguïté perdureront. Le pire serait que, si nous ne faisions pas ce travail ensemble, quelqu’un de « la France d’en haut » nous l’imposerait et nous devrions alors essayer de limiter les dégâts ; ce serait vraisemblablement dans la voie d’une précarisation qui ne dit pas son nom, plutôt que dans celle du respect des droits et des besoins des uns et des autres. »
« Le statut de la coopérative européenne et celui de la société européenne ont été créés, mais on attend toujours l’association européenne. Ce serait moins urgent car l’association européenne serait moins dans le champ de l’économie et du marché. En même temps que le statut de la coopérative européenne était fixé, une directive européenne a été prise au sujet de la participation des travailleurs des coopératives. De la même manière, nous aurons peut-être un statut de l’association européenne et peut-être une directive sur les salariés des associations, et on peut l’espérer, sur les bénévoles associatifs. »
Conclusions
« À partir d’une réflexion sur les zones grises entre salariat et bénévolat, nous en sommes arrivés à nous interroger sur notre conception du travail, de la gratuité, de la militance, des moyens associatifs, de la société, de son encadrement législatif et juridique. Nous avons essayé d’élucider pour mieux comprendre ce à quoi nous sommes confrontés. La complexité n’est jamais facile à appréhender, mais c’est le premier acte indispensable à la définition d’orientations stratégiques et tactiques permettant de développer des actions qui aient quelque chance d’efficacité. Il ressort qu’il y a encore un travail à faire et des précisions à apporter sur la terminologie, car ce sont aussi des limites sémantiques qui ont été mises à jour : bénévole/militant/salarié ; rémunération/compensation/gratuité ; contrat/engagement ; compétences/qualifications/savoir-faire/savoir-être.
Des chantiers s’ouvrent devant nous : la reconnaissance du bénévolat et des conditions juridiques et financières de son exercice ; le problème des compensations, des avantages en nature ; le respect du statut de salarié et l’opportunité d’autres formules… Les associations doivent bouger, car on ne peut pas laisser les choses en l’état. Sur les problèmes d’indemnité et de rémunération, peut-on aller plus loin et jusqu’où ?
Le sujet est à traiter au plan technique et au plan politique. Nous ne pourrons mener ces chantiers qu’avec ceux qui nous ont déjà aidés et, nous l’espérons, vont continuer à le faire. Il est essentiel de travailler avec des syndicalistes, car ils connaissent des problèmes similaires aux nôtres et on ne peut pas avancer sur ces sujets sans leur regard et leur aide. Nous avons également besoin de juristes parce qu’ils nous montrent combien il est facile d’avancer des sottises.
Permettre à chacun de choisir une voie militante, bénévole, salariée, non seulement pour trouver une place socialement et légalement reconnue, mais aussi pour avoir prise sur son environnement, cela sous-entend que les associations mettent en place des formules innovantes dans le nécessaire respect du droit et les fassent reconnaître, mais aussi qu’elles aient les moyens de leur développement. »
(avec la collaboration rédactionnelle de Suzanne Kneubühler, Gabriel d’Elloy et Jacqueline Mengin, membres de la fonda)