À rebours du pessimisme ambiant, Erik Olin Wright pense qu’une transformation du capitalisme est possible. L’originalité de son approche est de considérer que ce mode peut être érodé à l’intérieur du système économique existant, à partir d’initiatives citoyennes concrètes, plutôt que par une rupture révolutionnaire . Ces expériences, Olin Wright tente de les articuler avec une réflexion théorique sur un changement social plus large, d’où le terme « d’utopies réelles » qui veut rendre compte de cette « tension en rêves et pratiques ».
Trois stratégies de transformation sociale peuvent être définies. La première, la « transformation par la rupture », a inspiré les révolutions du siècle dernier. La seconde est la plus intéressante, il s’agit de la « transformation interstitielle », celle par laquelle des initiatives citoyennes exploitent les fissures et incohérences du système économique et social dominant pour faire émerger progressivement des pratiques qui vont provoquer une transformation de grande ampleur. Il s’agit « de construire des alternatives émancipatrices dans les espaces des économies capitalistes, et en luttant pour défendre et étendre de tels espaces ». La troisième stratégie est la « transformation symbiotique », celle par laquelle les travailleurs renforcent leur action dans l’économie, pour amener les capitalistes à passer des compromis de classe sous l’égide de l’État social-démocrate.
Pour Olin Wright, le changement passe par le renforcement du pouvoir d’agir de la société civile sur l’économie et sur l’État, mais sans considérer que les initiatives individuelles peuvent ignorer l’État, comme dans la tradition anarchiste, et sans adopter non plus l’approche de la gauche étatiste qui considère que seul l’État peut changer la société.
Quelles sont les capacités de ces actions citoyennes à provoquer un changement social d’importance ? C’est à ce niveau qu’Olin Wright envisage de manière très précise, suivant quelles conditions, des initiatives de la société civile, peuvent être considérées comme des réalisations concrètes, porteuses d’utopies.
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En conclusion, ne peut-on considérer que l’ouvrage d’Olin Wright est une tentative intéressante pour définir un cadre conceptuel, à partir duquel les initiatives éparses de la société civile auraient une chance d’être porteuses d’un large changement social, à l’heure où les gauches européennes sont en mal d’utopies ?
Erik Olin Wright, Utopies réelles.
Paru en août 2017, éditions La Découverte, collection L'horizon des possibles.
Traduit de l'anglais (américain) par Vincent Farnea et João Alexandre Pexchanski.
624 pages.