« Promettre du sang, de la sueur et des larmes n’est pas sans doute à la portée de n’importe quel responsable politique, mais il est encore plus irréaliste de vouloir bâtir une action collective sur un déni de réalité. » Tel est le message que Bernard Perret veut transmettre « à [nous] tous, qui [sommes] les restes du monde » (comme le disait Ionesco) .
Nous sommes en train de détruire notre milieu de vie, la « niche écologique » : nous nous cramponnons à des modes de pensée et d’action, et avons du mal à nous interroger sur les moteurs du changement qui conduiront vers un développement durable :
- mettre à jour les conditions sociales (structures sociales) de la transition vers un nouveau modèle de développement autre que celui de la raison collective actuelle entièrement occupée par l’économie, repenser la cohérence de nos raisons d’agir (sans éviter le questionnement éthique), s’imprégner du souci du long terme (différer un plaisir, renoncer à ce qui est offert dans le champ), parler au nom de l’avenir en se fondant sur un sens élevé de la dignité et de la vocation humaine ;
- déplacer nos manières de lire le monde pour que l’homo economicus qui est en nous, se métamorphose en « homo viabilis », l’homme viable ou, mieux, « celui qui trace un nouveau chemin » (une nouvelle « Voie » dirait Edgar Morin).
Il ne s’agit pas de rendre la société meilleure, mais de la rendre viable. Le moment est venu de faire le pari de la lucidité en mettant les gens face à la réalité et à leurs responsabilités. La condition première de la responsabilisation est l’intelligence partagée des enjeux, l’intériorisation par chaque membre de la société des conditions de notre survie collective. Depuis les années 1980, l’humanité consomme et détruit plus que la terre n’est capable de produire et de régénérer.
Élément d’un nouveau cadre de rationalité écologique
Le dépassement de la raison économique impose un effort sans précédent de lucidité et de créativité face à la réalité et à nos responsabilités. Les nouveaux mots clés sont : travail en réseau, management par le sens, mise en pouvoir des acteurs et de la société civile, dialogue avec les parties prenantes, évaluation partagée, débat public, démocratie participative.
Pour fonder juridiquement un développement durable, nous aurions besoin :
- d’un principe de limitation qui obligerait à prendre en compte les limites de la biosphère dans toutes les décisions ;
- d’un principe de sobriété qui obligerait à faire un usage aussi limité que possible des ressources non renouvelables ou dont la production risque d’avoir des effets réversibles sur la biosphère.
Sans faire de la nature une idole digne de tous les sacrifices, il n’en reste pas moins vrai que nous sommes dépendants de la nature autant que nos ancêtres. En vue de fonder une rationalité écologique à même de la préserver, Bernard Perret propose plusieurs pistes parmi lesquelles :
- utiliser efficacement les ressources rares : en 2014, les énergies renouvelables ne représentaient que 15% de la consommation française d’énergie primaire ;
- réutiliser, réparer, recycler : en finir avec le tout jetable et intégrer les contraintes du recyclage dès la conception des produits ;
- favoriser l’écologie industrielle en tirant profit des complémentarités techniques entre différentes activités productives sur un espace de proximité ;
- développer l’économie de la fonctionnalité, qui « consiste à intégrer la mutualisation d’un bien dans une nouvelle offre marchande », en substituant la vente d’un service d’usage (accès à Internet) à celle du bien lui-même (modem), ce qui suppose un effort d’éco-conception et la maximisation du service produit avec un même équipement ;
- faire de la gouvernance des biens communs, soit le redéploiement de la fonction politique dans des dispositifs de gestion collective de biens communs à différentes échelles, le paradigme central d’une nouvelle économie politique pour favoriser l’utilisation parcimonieuse de ressources limitées et une gestion coopérative, juste et efficace, des « biens communs mondiaux » (l’environnement, le climat, la biodiversité océanique) ;
- faire évoluer le droit de propriété pour développer une culture de la copropriété et de la gouvernance collective des biens dans la durée (ex. : contrat de performance énergétique, développement du partenariat au détriment de la concurrence…) ;
- réinventer la planification : Pdu , Scot , Plan climat, Agenda 21, en concertation.
Penser en termes de qualité du vécu, du bien-être
La commission Stiglitz établit « une distinction entre l’évaluation du bien être présent et l’évolution de sa soutenabilité, c’est-à-dire de sa capacité à se maintenir dans le temps ». Les stocks de capital qui importent pour notre vie (capital naturel, physique, humain, social) seront-ils ou non transmis aux générations à venir ?
« Il existe un consensus sur le fait que la qualité de vie dépend de la santé, de l’éducation, des conditions de vie quotidienne (dont le droit à un emploi et un logement décent), de la participation au processus politique, de l’environnement social et naturel des personnes et des facteurs qui définissent leur sécurité personnelle et économique. » Le bien être subjectif comprend : bonheur, satisfaction, joie, fierté, souffrance, inquiétude, et seule leur mesure dégagerait une appréciation globale de la vie des personnes.
Le caractère attractif et esthétique d’une vie simple et conviviale doit devenir dès à présent un signe de ralliement et un motif pour agir. Elle nous enjoint à :
- cultiver l’intelligence écologique pour partager des enjeux, une expertise collective comme moyen de décloisonner les savoirs et de se confronter ensemble à des questions formulées du point de vue de l’intérêt général ;
- cultiver les responsabilités, pour développer de nouvelles manières de combiner démocratie et connaissances ;
- cultiver le sens de la beauté et de ses mystères en tant que figures des énigmes qui entourent notre propre vie ;
- cultiver la complexité, pour combiner des interrelations entre innovations techniques et organisationnelles, et de transformations sociales, voire culturelles et spirituelles.
Bernard Perret, 2011, Pour une raison écologique, éditions Flammarion, 276 pages