Une mobilisation mondiale
Depuis les années 1970, des activités de protection de l’environnement se sont développées, par exemple avec la création de parcs naturels régionaux, et les premières interrogations politiques sont apparues. Aujourd’hui, la mobilisation est mondiale, avec notamment les conférences sur le climat, en particulier sous la pression :
- de la raréfaction de ressources agricoles et minérales (métaux semi-précieux, énergies fossiles, appauvrissement des sols agricoles, amplifiés par l’option des agro-carburants pour la transition énergétique…) ;
- des normes environnementales (Iso 14001, création de l’Agence de l’environnement européenne en 1995) ;
- des changements de comportement des consommateurs vers une consommation responsable et collaborative (leboncoin.fr, blablacar, Air’n’b, velib…) s’éloignant de la société du jetable ;
- du changement climatique qui intervient dans un monde urbain et sédentaire et entraîne avec lui, entre autres, une montée du niveau des mers, un recul des terres cultivables, une progression de la désertification et un afflux de réfugiés climatiques à prévoir dans les cinquante prochaines années ;
- du creusement des inégalités en trente ans (selon Oxfam, les 1_% les plus riches détiennent près de la moitié des richesses mondiales).
Comme le souligne Yannick Roudaut, alors que « nous assistons à l’effondrement de certaines vérités : la permanence d’une croissance forte, le nécessaire sacrifice du vivant pour l’assurer… » et « face à l’urgence écologique, la démographie, le mal-être social », « nous sommes contraints de tout repenser » : nos manières de consommer, de produire, de gérer nos relations dans un cadre élargi, de vivre en intelligence avec l’environnement et l’humanité… Ce contexte nous invite à entrer dans l’ère de l’économie du sens et de l’économie du partage, à passer du copyright aux licences Créative Commons… : « il va falloir vivre avec le Vivant, et non contre ou sans le vivant ! »
Si l’écologie est depuis un demi-siècle un terrain de débat politique, l’idée d’une « économie verte » est plus récente, et cherche encore à devenir un modèle spontanément légitime. Certains pensent même que le plus urgent n’est pas d’enclencher un cercle vertueux de ruptures successives, mais de chercher à s’adapter à cette nouvelle donne. Cependant, la société civile et de nombreuses associations se mobilisent de manière déterminée et constante pour que les responsables politiques prennent les mesures à la hauteur de la situation. Actuellement, le mouvement s’amplifie, avec une mobilisation plus importante des scientifiques, au-delà des spécialistes du climat, des responsables religieux et une information bien suivie par la plupart des citoyens.
Au-delà des actions sectorielles menées par les associations spécialisées dans le domaine environnemental, la situation pose un défi à l’ensemble des associations pour favoriser des actions transversales, un travail éducatif et informatif. Par exemple, une expérience « Zéro déchet », comme celle en cours à Roubaix, est l’occasion d’une mobilisation transversale en relation avec les collectivités territoriales.
Quelles approches pour entrer dans l’ère écologique ?
L’entrée dans l’ère écologique peut être pensée à partir de différentes approches. Si ces approches sont imbriquées, elles ne suivent cependant pas toujours les mêmes objectifs ni n’empruntent les mêmes chemins.
L’écologie industrielle
Pour Suren Erkman, « l’écologie industrielle s’intéresse à l’évolution à long terme du système industriel dans son ensemble, et pas seulement aux problèmes d’environnement » : elle est une composante opérationnelle du développement durable. Elle cherche à stopper le fonctionnement linéaire des systèmes industriels classiques qui agissent comme si les ressources étaient infinies et produisent des déchets en quantité illimitée, pour y substituer des systèmes éco-industriels dont le fonctionnement s’inspire des écosystèmes naturels. Le terme « industriel », par son origine américaine, désigne ici l’ensemble des activités économiques dans la société industrielle, au-delà donc du seul secteur secondaire. Le terme écologie renvoie lui à la science qui étudie le fonctionnement des systèmes vivants. L’écologie industrielle vise autant à reconceptualiser l’ensemble des activités qu’à faire évoluer le système industriel.
En effet, dans le système industriel classique, la contrainte environnementale est considérée en aval, en fin de processus (« end of pipe »), et consiste surtout à « réparer » en traitant la pollution, ce qui nécessite des équipements (pour traiter déchets, eau, polluants), des infrastructures (pour le fonctionnement de ces équipements) et des services associés (suivi, conseil…). Dans cette perspective on s’attache à minimiser les impacts du système industriel sur l’environnement, vu comme extérieur à l’activité économique. Pour utile et nécessaire que soit cette approche, elle n’en reste pas moins :
- sectorielle, séparant l’air, l’eau, les sols, et pouvant donc induire des transferts de pollution dans une biosphère qui est, elle, de nature systémique ;
- incrémentale, se traduisant par des petites améliorations successives au niveau de l’activité économique – et non par des innovations radicales – et des coûts de plus en plus élevés pour une efficacité augmentant faiblement ;
- avec des effets économiques pervers : ces activités sont comptabilisées dans le Pib, donc augmentent la croissance économique, et leurs technologies sont exportées dans les pays en développement comme s’il s’agissait d’une voie de développement à suivre ;
- et enfin des effets incitatifs insuffisants, invitant les entreprises à une attitude essentiellement réactive, visant à satisfaire a minima aux exigences de législation environnementale, plutôt qu’à adopter une approche proactive et préventive.
L’écologie industrielle porte à la fois une vision très différente, le système économique étant conçu comme un sous-système de la biosphère dont il dépend, et un changement radical, l’action se situant en amont et à l’échelle systémique des activités : on cherche à rapprocher le fonctionnement des industries de celui, « cyclique » ou « circulaire », des écosystèmes naturels. Cette rupture avec le fonctionnement linéaire implique, d’une part, une gestion optimisée des flux de matières et d’énergie, à travers la mise en œuvre de synergies et de mutualisations de ces flux (au niveau d’un groupe d’entreprises, de filières…), et, d’autre part, la mise en place de filières de recyclage, valorisation, réemploi… des produits.
À l’instar des écosystèmes naturels, les déchets ou résidus des uns deviennent les ressources des autres. Les actions entreprises peuvent ainsi concerner : l’écoconception des produits, la diminution de la consommation des ressources naturelles, la réduction des déchets, l’éducation à l’environnement, les certifications, le développement des énergies renouvelables…
Pour fonctionner, l’écologie industrielle doit prendre appui sur des coopérations entre acteurs divers et complémentaires, agissant dans un périmètre de proximité. L’écologie industrielle intègre trois éléments qui renforcent l’enjeu qu’elle représente aujourd’hui et qui concernent au premier chef les associations.
- La prise en compte des « translocations », c’est-à-dire des flux qui n’ont pas d’existence économique (non comptabilisés par les organisations, entreprises ou collectivités), mais peuvent avoir des impacts environnementaux non négligeables : l’eau d’irrigation, les déplacements de terre et roches par exemple quand on construit des infrastructures routières, les résidus miniers stériles…
- Une stratégie collective et coopérative entre les différents acteurs sur un territoire formant un « système industriel » (entreprises, collectivités, consommateurs…), pour un usage optimal des ressources dans toutes les activités (industrie, agriculture, commerce, transport…). Elle favorise la transition du système industriel actuel vers un système viable, durable, inspiré par le fonctionnement quasi cyclique des écosystèmes naturels.
- La prise en compte de la Responsabilité sociale des entreprises (RSE) et plus largement encore de la Responsabilité sociale des organisations (RSO) .
Il ne s’agit plus seulement de s’adapter aux normes en matières de qualité, sécurité et santé, environnement, développement durable (éco-conception par exemple). Il faut aussi stimuler l’innovation et relever le défi de la compétitivité en s’appuyant sur les synergies entre acteurs, les mutualisations et autres actions montées collectivement pour répondre aux principes de l’écologie industrielle. La symbiose industrielle, comme à Kalundborg au Danemark, les parcs et réseaux éco-industriels, comme Écopal sur Dunkerque, sont le produit de cette nouvelle organisation des activités économiques sur un territoire.
L’écologie culturelle
L’anthropologue américain Julian H. Steward formule la méthode de l’écologie culturelle en 1955 et la définit en 1968 comme « l’étude des processus par lesquels une société s’adapte à son environnement ». Elle répond au problème de savoir comment, c’est-à-dire par quels modes de comportement, les sociétés humaines s’ajustent à leur environnement. On s’intéresse donc :
- au rapport entre environnement et technologie d’exploitation et de production (« le système de survie ») ;
- aux modes de comportement qui sont fonction de la région particulière (et donc lié à la technologie d’exploitation) ;
- à l’influence de ces comportements sur d’autres aspects de la culture.
La façon dont la culture perçoit et organise l’environnement est prise en compte pour expliquer la relation entre l’homme et son milieu. Cette approche anthropologique a fait l’objet de critiques. Pour A.P. Vayda et R.A. Rappaport en 1968 notamment, la culture est à voir plutôt comme un mécanisme d’adaptation. Ils mettent en avant l’anthropologie écologique qui, selon eux, s’appuie sur la vision économique systémique en se situant à un niveau moyen, alors que l’écologie culturelle reste une approche micro.
La notion d’écologie culturelle fut surtout utilisée dans les travaux portant sur les sociétés qui semblent plus directement et plus fortement sous l’influence de l’environnement biophysique (sociétés de chasseurs-cueilleurs, de cultivateurs nomades ou même de paysans ruraux), où l’on voit mieux l’effet des facteurs environnementaux sur le comportement humain et l’organisation sociale. Dans les sociétés industrielles, l’impact immédiat de l’environnement sur le comportement décroît dans la mesure où la complexité technologique augmente la capacité humaine à modifier l’environnement.
Actuellement, les individus cherchent à maintenir leur niveau d’usage des biens et services, alors que leur budget est limité et ne leur permet plus toujours d’en faire l’acquisition. Pour cela, les pratiques permettant de mutualiser l’usage de certains biens (location, prêt, achat groupé...) et d’allonger leur durée de vie (réparation, réemploi...) se généralisent, sous forme d’associations. La consommation responsable se développe : « Moins de biens, plus de liens » (Yannick Roudaut).
L’écologie urbaine
Cette approche renvoie à une « unité spatiale déterminée où se déroule un ensemble de relations entre environnement physique et organisation sociale, vus sous trois angles :
- centre de transformation de la matière et de consommation des biens ;
- espace d’accès aux ressources et aux services offerts selon les besoins des habitants (politiques des temps urbains) ;
- lieu où les acteurs sociaux influent sur les processus décisionnels et participent aux grandes orientations sociétales. »
Les axes de progrès attendus visent : la gestion de l’espace, la gestion de l’urbain (temps, mobilité, transport, énergie), la gestion des populations (santé, risques alimentaires, nutritionnels, liés aux conduites addictives, emplois,…), la gestion des échanges (loisirs, formation, vie associative)…
L’exploration de ce thème comprend trois approches :
- la ville équilibrée avec son environnement : la ville verte ;
- la ville et les services publics : la ville rénovée ;
- la ville et la gestion du temps : la ville mobile, ouverte jour et nuit.
Avec la création de nouvelles solidarités et d’échanges entre la ville et la campagne, les limites entre ces deux espaces se recomposent. La réflexion sur les services à la personne en est un facteur important, ainsi que l’essor de la prise en compte des enjeux écologiques. En attestent l’interrogation sur le rôle tenu par les villes dans la composition d’une offre de services pour leur territoire environnant, la mise en place de nouvelles formes d’agriculture urbaine ou encore de mécanismes de rapprochement entre les producteurs et les consommateurs via les circuits courts.
L’écologie rurale
L’écologie rurale a trait à la préservation de la biodiversité des espaces ruraux. Les Conservatoires d’espaces naturels, en grande partie associatifs, sont nés il y a quarante ans, pour « connaître, gérer, protéger et valoriser 2 900 sites naturels. Ils sont impliqués dans de nombreux programmes (Natura 2000, programme Life…) favorisant la préservation de la biodiversité » .
Dans un souci identique de préservation de la biodiversité, mais avec une dimension supplémentaire, l’agriculture à Haute valeur naturelle (Hvn) a fait son apparition dans les années 1990 en France et représenterait 18 % de la surface agricole utile. Ce concept « rassemble les formes d’agriculture dont les pratiques ont en commun de favoriser une grande richesse écologique » et « met en avant la nécessité de conserver les systèmes de productions susceptibles d’assurer le maintien de cette diversité biologique ».
Les associations se sont saisies de ces problématiques d’écologie rurale, notamment en organisant des filières bio (Jardins de Cocagne) ou en mettant en place des dispositifs pour le recyclage par le développement de l’insertion par l’activité économique (Ateliers du bocage, réseau Envie…).
Sur chacune des approches, les associations sont présentes, voire précurseures. Mais l’écologie ne doit plus rester l’apanage des spécialistes et irriguer l’ensemble des activités humaines.