Une recension proposée par Paul Bucau.
Le titre du livre porterait à croire à une réflexion d’ordre philosophique mais le développement du propos est d’un autre ordre. Le déclencheur de ce livre en constitue l’intérêt sur la période, puisque Ruffin l’a écrit en réaction à une intervention de Greta Thunberg à l’assemblée nationale où elle interpellait au nom de la jeunesse les responsables politiques sur l’urgence climatique. François Ruffin écrit fidèle à son style, percutant sinon provocateur, mélangeant humour et gravité. Il s’agit pour lui d’une réponse à cette génération qui se mobilise pour notre avenir commun, teintée d’irritation…
L’auteur est irrité par une forme de naïveté incarnée par cette jeunesse qui, en clamant qu’on est tous dans le même bateau face au péril climatique, fait fi dans ses positions de toute une histoire de conflictualité sociale. Pour ce journaliste, fondateur du journal Fakir qui se qualifie de « fâché contre tout le monde », mais aussi attaché à l’histoire sociale comme le montrent ses productions passées, on ne sera pas étonné que la réaction soit sous le coup de la colère face à cette méconnaissance.
À travers de multiples anecdotes et rencontres de sa carrière de journaliste « plus près des jetables que des notables », il nous rappelle que le rythme de vie de ceux qu’on qualifie de nantis, même s’il tente de se verdir pour s’adapter aux tendances en cours, sera toujours en inadéquation avec les enjeux de sobriété énergétique et d’équité sociale. Pour reprendre un de ses exemples, un « green yacht », tout éco-conçu qu’il soit, sera toujours une ostentation incompatible aux enjeux précités.
Par des faits marquants, il parvient à nous convaincre que notre destin commun peut difficilement s’accommoder des avantages démesurés de quelques-uns eu égard à la tension quant à l’épuisement des ressources naturelles. De ce point de vue, sa réponse à la jeunesse pour le climat s’adresse finalement à tous car elle ravive les enseignements de l’histoire dont la méconnaissance irritait l’auteur dès le commencement de son livre.
Ruffin exprime une dimension de lutte des classes face à l’enjeu climatique qui nous concerne tous et nous avertit, si besoin en est, que les nouveaux combats à venir pour un monde vivable passeront nécessairement par de difficiles conquêtes sociales.
En somme, une lecture pour se prémunir de toute forme d’éco-angélisme.
François Ruffin, Il est où, le bonheur, paru aux éditions Les liens qui libèrent, paru en novembre 2019, 192 pages.
La citation en chapeau d'article reprend la notice de l'ouvrage.