Innovation sociale Numérique et médias

Le Social Good Accelerator

Tribune Fonda N°238 - ODD : quelles alliances pour demain ? - Juin 2018
Steven Bertal
Steven Bertal
Et Social Good Accelerator (SOGA)
Créer une communauté européenne réunissant acteurs de l'innovation sociale et acteurs de l'innovation technologique pour favoriser leur collaboration, telle est l'ambition du Social Good Accelerator.
Le Social Good Accelerator


Steven Bertal répond ici aux questions de Bastien Engelbach, coordonnateur des programmes de la Fonda.
 

Pouvez-vous présenter le Social Good Accelerator ?

Le Social Good Accelerator est un Think & Do Tank dont la vocation est de rapprocher les acteurs de l’innovation sociale et de l’innovation technologique en Europe. Nous prônons une vision forte : « More social good in tech, more tech in social good. »1

Il s’agit d’une part de favoriser l’émergence d’un modèle d’innovation technologique plus inclusif et solidaire en Europe, et d’autre part de renforcer le secteur de l’utilité sociale par l’intégration des nouvelles technologies. En d’autres termes, nos missions sont de porter un plaidoyer politique et économique, de fédérer les acteurs de l’innovation sociale et ceux de la tech, et d’accélérer l’impact de ces acteurs.
 

Comment est né le Social Good Accelerator ?

Le Social Good Accelerator est né en 2017 d’une initiative collective fédérant une communauté d’action d’une quinzaine d’associations, fondations, entreprises sociales et start-ups, tous œuvrant dans l’innovation sociale et numérique. La première action a eu lieu au Web Summit 2017 à Lisbonne. Se positionnant comme le plus grand rassemblement tech en Europe, l’événement a rassemblé soixante-mille personnes parmi lesquels des centaines de dirigeants et chefs d’États. L’innovation sociale n’y était cependant pas suffisamment représentée.

Lors de ce grand sommet, la délégation du  soutenue par la Fondation La France s’engage a œuvré à faire résonner l’innovation sociale par des prises de parole et la divulgation d’un manifeste européen.
 

Quel est le contexte de ce manifeste ?

En Europe l’innovation sociale joue un rôle important pour l’équilibre de nos sociétés et est un facteur de cohésion sociale. Pourtant quand on parle d’innovation en général, c’est l’innovation technologique et scientifique qui prédomine. Ces deux « mondes », le technologique et le social, se croisent rarement, or ils gagneraient beaucoup à collaborer plus et mieux pour que les grands défis humains et planétaires auxquels nous faisons face soient relevés.

Pourtant, les choses évoluent et nous observons un changement de paradigme au sein des instances européennes. L’innovation sociale a été prise en charge par la Direction générale recherche et innovation de la Commission européenne, sous la houlette de son commissaire Carlos Moedas. Sous son impulsion, dans le cadre d’Horizon Europe, le programme de la Commission qui orientera la politique européenne jusqu’en 2027, l’innovation sociale sera considérée, enfin, comme un pilier fondamental de l'innovation.
 

Quels sont vos moyens d’action ?

Pour mener à bien nos missions, nous nous sommes fixés plusieurs moyens d’action :

  • influencer les politiques européennes pour accélérer l'innovation sociale au même titre que l'innovation technologique ;
     
  • promouvoir l'innovation sociale dans les grands rassemblements, notamment de l’innovation technologique ;
     
  • favoriser une transition numérique plus inclusive et sociale dans les organisations en les informant sur les opportunités d’accompagnement et de financement publics et privés ;
     
  • accélérer les collaborations entre les acteurs de l'innovation technologique et les acteurs de l'innovation sociale en Europe ;
     
  • créer une communauté européenne de solidarité.

 
Pour y contribuer nous menons deux projets d’envergure en 2018. Notre premier projet est la création d’un « Social Good Village » au sein du Web Summit 2018, qui sera une zone dédiée in situ aux acteurs européens de l’utilité sociale, avec une possibilité d’exposer et de bénéficier de tout un accompagnement au développement de projet.
Notre deuxième projet est la réalisation d’une étude sur les coopérations entre acteurs de l’utilité sociale et de la tech en Europe.

 
Pouvez-vous dire quelques mots sur cette étude ?

Cette étude sera réalisée par l’Agence Phare et Pro Bono Lab. Elle a vocation à produire de la connaissance sur les coopérations entre acteurs en menant une recherche dans six pays européens, dont notamment la France, le Portugal et l’Estonie.

Nous souhaitons identifier les acteurs de l’utilité sociale et les entreprises de la tech qui aimeraient coopérer ou bien qui travaillent déjà ensemble. De quel type d’organisations s’agit-il ? Quels sont leurs intérêts à coopérer et leurs valeurs ? Quels pratiques mettent-ils en œuvre, au service de quelles innovations ? Nous essaierons de comprendre les formes de coopération existantes, leurs enjeux, freins et leurs effets. Quels sont leurs financements ? Comment s’y engagent des transferts d’outils et de compétences ? Quelles sont les formes et modalités d’engagement des partenaires ? Enfin, nous voudrions aussi évaluer comment ces coopérations sont facilitées par des caractéristiques nationales, des secteurs spécifiques, ou bien des modèles spécifiques de partenariats.
 
À la suite de cette étude, nous souhaitons produire des recommandations opérationnelles à destination des innovateurs et des décideurs, pour établir à l’échelle étatique et européenne un cadre politique et économique favorable à la coopération des acteurs. Parmi ces recommandations, nous remettrons un livre blanc à la Commission européenne pour les élections de 2019 qui renouvelleront les mandats de la Commission et du Parlement.

 
Quelles sont les caractéristiques des acteurs de l’utilité sociale et de la tech, et pourquoi est-il important de les faire travailler ensemble ?

Le travail préliminaire réalisé par l’Agence Phare récapitule bien ces caractéristiques. D’un côté, les acteurs de l’utilité sociale s’interrogent sur la pertinence de l’innovation technologique pour renforcer leur capacité d’innovation, et notamment sur la pertinence de digitaliser certaines solutions. Il s’agit des entrepreneurs sociaux, fondations et associations qui œuvrent au quotidien en faveur de l’éducation, de la protection de l’environnement ou encore de l’insertion sociale et professionnelle des publics en situation d’exclusion.

Si certains innovateur sociaux ont bien saisi les opportunités de la “digital social innovation” et réussi à hybrider leur modèle économique en étant à la fois éligibles aux financements et accompagnement dédiés à l’innovation tech et à ceux dédiés à l’innovation sociale, beaucoup souffrent d’un manque de soutien sur leur transition numérique. Cet enjeu est encore mal pris en compte par les politiques publiques.
 
De l’autre côté, les acteurs des différents champs d’innovation technologique, notamment l’internet des objets, l’intelligence artificielle, la réalité immersive, la blockchain, l’informatique quantique, la robotique, sont questionnés par la société civile, leurs parties prenantes et le politique sur les finalités et les usages de telles innovations. Les formes de partenariats sont ainsi en train d’évoluer. Certains acteurs de la tech, pour retenir leurs talents, accroître leur capacité d’innovation, élargir leur cible de marché ont développé des offres “RSE” spécifiques et créé des programmes de soutien ou de collaboration dédiés aux innovateurs sociaux.
 

Comment faire en sorte que ces acteurs soient porteurs d’une vision partagée et coopèrent ?

Dans les années 1970 nous avons assisté à l’émergence du concept de responsabilité sociétale des entreprises, qui a muté d’un principe de conformité à un engagement qui se veut plus proactif aujourd’hui. Nombre d’entreprises réalisent l’importance du rôle des associations dans la pérennité de la société, et adoptent des grands programmes d’engagement citoyen pour œuvrer ensemble. Le cadre politique évolue aussi, notamment avec l’apparition de nouveaux statuts comme en France l’entreprise à mission. On observe ainsi des signaux faibles qui laissent présager un changement de paradigme chez les acteurs privés et institutionnels. Il est devenu en conséquence plus accessible de faire converger les visions des acteurs pour les faire collaborer.
 
Pour les convaincre de franchir ce cap, l’étude abordera les bénéfices de telles collaborations pour chaque partie prenante et pour la société dans son ensemble. Nous partons notamment de l’hypothèse que les synergies entre les acteurs de l’utilité sociale et de la tech peuvent donner naissance à des innovations mixtes, au renforcement de l’impact social des associations, à sensibiliser les collaborateurs du secteur privés aux enjeux sociétaux, etc.
 

Vous cherchez à défendre la vision d’une transition numérique européenne plus sociale. Quelles en seraient les caractéristiques ?

Une transition numérique européenne plus sociale se traduirait de plusieurs façons. Tout d’abord, il s’agirait d’une transition inclusive,  qui tendrait à réduire la « fracture numérique » que nous observons aujourd’hui chez toute une frange de la population (chez les seniors par exemple) mais aussi dans beaucoup de milieux associatifs.

Ensuite, il s’agirait d’utiliser le numérique au service d’actions à impact positif. Que ce soit des outils numériques fondamentaux (site internet, CRM), ou des technologies en essor (intelligence artificielle, blockchain), ce sont des leviers qui peuvent améliorer l’efficacité du fonctionnement ou des acteurs de l’utilité sociale.

En parallèle, un modèle de transition plus social impliquerait que les entreprises tech et les centres de recherche intègrent la notion d’utilité sociale dans chaque innovation.

Enfin cette transition européenne doit aussi être politique. Elle doit anticiper et respecter les problématiques éthiques de l’utilisation du numérique, pour que son exploitation soit toujours au service du citoyen, de la démocratie, et non à son détriment. On peut citer en exemple le développement de l’open source, l’open data, la neutralité du net, ou encore le respect des données personnelles, dont l’entrée en vigueur du RGPD marque un point fort.


→ Pour en savoir plus : socialgoodaccelerator.eu

  • 1Le message est en anglais en raison de la portée européenne de l’association, la version française étant : « Plus d’utilité sociale dans le tech, plus de tech dans l’utilité sociale ».
Opinions et débats
Entretien