Innovation sociale Économie sociale et solidaire

L’innovation sociale par une approche systémique

Tribune Fonda N°233 - Les clés de l'innovation sociale - Mars 2017
Steven Bertal
Steven Bertal
Concevoir l’innovation sociale par le prisme de l’approche systémique permet d’appréhender globalement ses mécanismes et implications, et de révéler des leviers d’actions pour la rendre à la fois plus cohérente et efficiente. On entend par « concevoir » sa double dimension : signifiant à la fois la représentation que l’on se fait du concept d’innovation sociale et sa mise en œuvre opérationnelle. L’approche systémique fournit notamment un cadre pour éclairer la nature de l’innovation sociale, à travers les trois angles complémentaires développés ci-dessous.

Quelle régulation et quelle approche pour une notion systémique ?


Les besoins sociaux sont à considérer comme l’émanation des dynamiques d’un système. L’innovation sociale se construit comme une réponse conjointe de plusieurs acteurs d’un territoire à des besoins sociaux identifiés. Ce système est circonscrit par une zone géographique (le territoire), une zone morale (la loi), il contient des éléments (les parties prenantes impactées par l’innovation). Enfin, il est régi par des flux entre ces acteurs (d’informations, financiers, humains, etc.).

Il s’agit d’un schéma complexe dont la régulation s’avère difficile en raison de la multiplicité de ses acteurs et comportements, et de la faible maîtrise d’éléments internes et externes (économie, politique, climat…).

C’est alors qu’un cadre défini par les pouvoirs publics intervient : la loi. Cependant, elle est par nature figée bien qu’elle soit appliquée à un système dynamique et plus complexe. À cela s’ajoute une temporalité différente entre ce cadre et le système, l’évolution de ce dernier s’accélérant plus vite que le processus d’adaptation de la loi.

Par conséquent, ceci participe à l’apparition de failles structurelles dans le système se traduisant en disparités socio-économiques.
 

Face à des besoins systémiques, l’innovation sociale comme réponse systémique


D’après Robert & Holmberg (2000) dans Framework for Strategic Sustainable Development, une fois le système identifié, il convient d’identifier les principes minimum requis par le système pour le succès du projet, ici l’innovation sociale. C’est-à-dire les conditions à réunir et les facteurs clés de succès pour que l’innovation sociale aboutisse et soit pérenne. Viennent ensuite l’identification de l’approche stratégique adaptée, puis des actions et outils qui en découlent. Dans le cadre de l’innovation sociale, on retrouve ce processus à travers les différentes phases de développement : du diagnostic des enjeux et besoins du territoire, à l’idéation, à l’expérimentation, et à l’essaimage.

L’objectif de l’innovation sociale, et son impact espéré, nécessite d’être au préalable situé entre ces deux rôles :

  • d’un côté, il peut être restreint à la réparation de problèmes qui émergent, qui apparaissent comme des conséquences des dynamiques systémiques, donc des symptômes. Il s’agit ici d’apporter une réponse ponctuelle, sporadique, ou limitée dans l’espace ;
     
  • de l’autre côté, le rôle de l’innovation sociale peut être de modifier le système sociétal pour endiguer à la source le problème identifié. Cela peut se caractériser par le comportement socio-économique des acteurs ou finalement une intégration à la loi. Dans une volonté d’essaimage, l’innovation sociale doit alors être pensée de façon à être répliquée. Elle doit pouvoir s’intégrer par voix économique, légale ou comportementale aux spécificités des territoires. Le service civique est édifiant en ce sens : après des années de pratiques au sein de l’ESS, l’inscription du statut dans la loi en 2010 a permis de formaliser la situation de jeunes désireux de s’engager tout en soulageant le modèle économique des associations.


Il convient toutefois de prendre en compte la nature homéostatique du système socio-économique. C’est-à-dire sa faculté, via ses dynamiques internes, à maintenir une norme, un statu quo en dépit de ses évolutions. En sont à l’origine une multitude de mécanismes macro ou micro, contrôlés ou non, d’ordre économique (rationalité des comportements), psychologique (résistance au changement) ou politique (divergences idéologiques).

Toute évolution se voit alors opposer sur le court terme des obstacles dont la vocation est de revenir à l’état initial. Toute innovation sociale peut alors faire l’objet de blocages lors de sa phase de réplication.

Pour maximiser l’impact positif sur la société il convient d’intégrer au projet d’innovation sociale un maximum de parties prenantes, et d’en faire un travail collaboratif. Il y a un double avantage : l’appropriation du processus permet d’une part d’éviter les blocages intrinsèques aux individus et groupes d’intérêt, et d’autre part d’augmenter la capacité d’intégrer la complexité du système.
 

De la divergence à la convergence du rôle des acteurs


Au fil des années, la régulation du système, rôle historiquement dévolu à l’État, s’est réparti entre plusieurs familles d’acteurs (économiques, politiques, civils) qui prennent de fait une part de responsabilité dans la réponse aux enjeux sociétaux du territoire. Ils sont présentés par le Rameau (laboratoire d’innovations territoriales) comme étant les pouvoirs publics, les acteurs économiques, les structures d’intérêt général, le monde académique, les médias et les citoyens.

Chaque organisation a ses propres enjeux et objectifs, mais parfois si variés qu’ils sont exclusifs entre eux. De ce manque de coordination résulte une certaine entropie en ressources : déperdition d’énergie, de matière, de temps et d’argent. De plus, les comportements des individus sont parfois dissonants d’un rôle à l’autre. Cependant, tous ces acteurs partagent des points communs sur les enjeux globaux du système. De fait, ils tendent à converger dans leurs vision et valeur, prenant conscience de la responsabilité qu’ils portent par rapport à la société. Cette vision partagée est à construire et entretenir, puisque d’elle découle un dialogue efficace.

Une fois engagée, la co-construction permet de démultiplier les ressources impliquées et de créer des synergies entre les apports des acteurs. Il convient d’intégrer chaque acteur le plus en amont possible du projet, pour qu’il y adhère, valorise l’intérêt collectif et mesure l’impact qui en découle sur son organisation. À titre d’exemple, l’économie circulaire n’est rendue possible que par la coordination entre les acteurs tout au long de la chaîne.
 

Les conditions de la réussite de l’innovation sociale


L’innovation sociale prend forme au sein d’une multitude de dimensions à prendre en compte pour sa bonne réalisation, tels que l’interaction entre les territoires, la relation au temps, les champs sociétaux et les enjeux sociétaux.

L’interaction entre les territoires, c’est considérer chaque territoire comme sous-ensemble d’un système territorial global. De l’échelle locale à l’échelle internationale, les règlementations, modes de régulations et jeux d’acteurs changent. Il semble donc important d’identifier les tenants et aboutissants du besoin à adresser, non seulement dans le territoire où il a été identifié, mais aussi au-delà. Une fois ce diagnostic réalisé, les besoins identifiés peuvent avoir évolué. Suivant la même logique, la réponse de l’innovation sociale aura un impact non limité à son périmètre initial, d’autant plus qu’elle pourra faire l’objet d’un essaimage.

La relation au temps : l’innovation sociale vise à répondre à des besoins dans le temps, à apporter une réponse permanente. Elle est bien souvent liée à un changement de processus, de comportement ou d’interaction entre les acteurs. Une bonne rétrospective de l’innovation sociale permet de mieux la définir, d’éviter de reproduire des erreurs, d’optimiser les bonnes pratiques et de préfigurer des tendances à venir. Il convient alors de contextualiser l’innovation sociale dans un cadre prospectif, à la fois pour identifier si la réponse au besoin est pertinente dans le temps, mais aussi pour en évaluer l’impact à terme.

Les champs sociétaux (politique, économie, social, environnement, loi, technologie) exercent à chaque échelle territoriale des influences spécifiques qui sont très fortement corrélées. À titre d’exemple, sur le plan légal, l’innovation sociale est à la fois encadrée par la loi française et européenne, et peut en conséquence bénéficier de subventions issues de l’institution nationale et supranationale. Ce qui recoupe des enjeux à la fois économiques pour le projet d’innovation et aussi politiques pour ces institutions qui définissent les axes d’interventions.

Les enjeux sociétaux sont de plus en plus vus en transversalité plutôt qu’en silo. C’est ce principe qui a guidé l’instauration en 2015 par l’Onu des Odd (Objectifs de développement durable), interconnectés et indivisibles, qui peuvent être développés conjointement et par effet de rebond. Une telle approche permet de faire converger les différentes actions propices au développement durable, et donc d’en augmenter la portée. Il y a une cohérence d’ensemble, où chaque projet contribue à renforcer les autres.

De tels liens systémiques apparaissent en permanence dans le champ de l’innovation sociale : par exemple l’aide au logement facilite l’aide à l’insertion professionnelle, qui facilite l’aide à la mobilité, améliorant l’accès au logement. Un tel cercle vertueux est indéniablement facilité par la coordination des parties prenantes, et d’autant plus lorsqu’appuyé par une politique volontariste.
 

Quelles implications dans un cadre élargi de développement durable ?


Mettre en pratique toutes ces dimensions demande une certaine rigueur dans la méthode, et ne peut se faire sans une concertation entre les acteurs concernés. Cela demande au préalable d’accepter la diversité des opinions, impliquer toutes les parties prenantes, favoriser un processus démocratique, simplifier la collaboration, mettre à profit des outils digitaux, etc. Tous ces éléments doivent concourir à créer une intelligence collective apprenante et évolutive.

Ainsi, ces imbrications systémiques mettent en avant le rôle primordial que tient l’innovation sociale dans un cadre plus global. Destinées à répondre à un besoin territorial, les innovations sociales nourrissent l’engagement de changements sociétaux plus profonds. De cette évolution émerge une convergence des actions d’une société mondialisée propice aux enjeux du développement durable.
 

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