Les modèles socio-économiques des associations devraient s’adapter aux principales tendances économiques et sociales qui se dessinent :
- l’évolution de la nature des financements publics : baisse des subventions et hausse de la commande publique ;
- le développement des logiques d’alliances, de fusions, de regroupements et de mutualisations ;
- la porosité des frontières entre l’économique et le social : développement de modèles économiques alternatifs et de nouveaux outils de financement ;
- la montée de la paupérisation et de la précarité subie : augmentation de la demande sociale et capacité de réponse des associations inversement proportionnelle ;
- l’évolution des ressources et des richesses humaines au sein des associations : maintien de fort taux d’engagement, modification de la nature du bénévolat, professionnalisation accrue.
Principales données
Financements publics : plus de commandes et moins de subventions
Si en volume les financements publics n’ont pas décru, leur nature a profondément évolué, ainsi que l’attestent les travaux de Viviane Tchernonog .
En 2011, 47 % des associations ont perçu des subventions, qui continuent d’occuper une place importante dans leur financement. Seconde ressource du secteur en importance, les subventions représentent 25 % du budget total des associations. Une forte disparité est à souligner cependant entre les associations sans salariés, et les associations employeuses : les subventions publiques représentent 15 % du financement des premières, contre 27 % pour les secondes. Des disparités sont également à souligner selon les secteurs d’activité : le secteur de l’économie et du développement local en tire 53 % de ses ressources contre 22 % pour l’action sociale et la santé.
Le volume global des subventions est cependant en déclin, au profit d’une hausse du volume des commandes publiques. Si de 2005 à 2011 le volume des financements publics a crû de 12 %, les subventions ont chuté de 17 %, soit une baisse annuelle moyenne de 3,1 %. Les commandes ont explosé, à hauteur de 73 %, soit une hausse annuelle moyenne de 9,6 %. L’adoption d’une définition légale de la subvention par la loi ESS du 31 juillet 2014 ne devrait pas inverser cette tendance.
Une autre évolution importante est le transfert croissant du financement des associations de l’État vers les collectivités territoriales, et plus particulièrement les départements (la part des régions reste très marginale). De 1999 à 2011, la part des ressources provenant de l’État est passée de 15 % à 11,3 % ; celle provenant des communes de 15,2 % à 11,5 % ; celle des départements de 9,3 % à 12,3 %. L’importance de ces évolutions, qui traduisent des tendances globales, sont ensuite à prendre en considération selon le secteur d’activité et la taille des associations, qui en ressentent l’impact différemment.
L’hybridation des moyens : une tendance au long cours
Outre les 25 % issus des subventions, 60 % du budget global des associations est issu des recettes d’activités (privées et publiques), 11 % des cotisations et 4 % des dons, mécénats et fondations. Ces chiffres soulignent une caractéristique essentielle des associations : l’hybridation des ressources, en provenance de sources variées, et de natures diverses.
À ceci, il faut ajouter leur capacité à mobiliser des forces bénévoles, qui constituent un apport essentiel pour leurs activités. Cette mobilisation fait des associations un lieu de développement personnel et professionnel des individus, en même temps qu’elle leur permet d’être moteurs de l’action collective. On estime actuellement 16 millions de bénévoles, dans les associations et en dehors, représentant l’équivalent d’un million d’Emplois temps plein (ETP), valorisés à 39,5 milliards d’euros.
Les associations peuvent donc assumer un rôle d’acteur économique, avec une stratégie dédiée, l’enjeu pour elles étant de se saisir de ces questions sans craindre d’y perdre leurs valeurs. Derrière une logique d’hybridation déjà ancienne, qui consiste à mêler financements publics, dons privés et revenus d’activité, se profile une porosité entre l’économique et le social. Celle-ci trace une possible réappropriation des problématiques économiques par l’ensemble des parties prenantes d’un projet, bénéficiaires inclus. Le modèle des SCIC , dont la gouvernance associe salariés, financeurs, fondateurs et usagers en est un exemple, bien qu’il demeure rare.
L’hybridation des ressources offre aux associations un panel d’outils variés, pas toujours exploités. Par exemple l’ouverture d’une filière lucrative, ou encore le recours aux systèmes de financements participatifs (crowdfunding). Ces évolutions laissent ouvertes néanmoins de nombreuses questions, que cristallisent notamment les débats autour de l’investissement à impact social, mais aussi les questions de fiscalité et de concurrence. Les associations doivent-elles entrer dans une logique de financiarisation de leur activité par le recours à l’emprunt ou encore l’émission de titres associatifs, récemment renouvelés par la loi ESS ? Une autre question ouverte est celle des modalités de renforcement des liens avec le monde de l’entreprise, notamment via les mécanismes de mécénat.
Scénarios pour le futur
Au croisement de ces tendances, se dessine une série d’évolutions possibles du modèle socio-économique des associations, qu’il importe de savoir appréhender. Distinguer ce qu’elles recèlent d’opportunités et de menaces, doit permettre de « composer avec », dans le respect de ses valeurs. Nous développerons quatre scénarios probables, plus ou moins optimistes.
« Chacun pour soi et personne pour tous »
Les contraintes financières pèsent lourdement sur l’État, qui poursuit le transfert des compétences aux collectivités locales, sans leur en donner l’intégralité des moyens. Les subventions publiques sont en baisse à tous les niveaux. Pour survivre les associations sont contraintes de se mettre dans une logique de prestation de services, et augmentent la part de la contribution des usagers. Les petites et moyennes associations sont ainsi particulièrement touchées, à l’exception de celles dont l’activité ne nécessite pas d’apports financiers importants ou qui n’ont pas de coûts d’équipement. Les grandes associations sont fragilisées et manquent de visibilité quant à leur pérennité à long terme. Inquiet de cette fragilisation, le privé ne prend pas le relais, les entrepreneurs ou les financeurs préférant apporter leurs compétences ou leurs fonds à des activités à la rentabilité plus sûre.
La situation est d’autant plus difficile qu’en parallèle la demande sociale de services explose, d’une part et que d’autre part, la population est soumise à davantage de précarité. La difficulté à répondre à la demande sociale est accentuée par une baisse du nombre de bénévoles. Les individus préfèrent se ressouder autour des liens de solidarité de proximité, tandis que la précarisation de leur existence ne leur permet pas de s’engager concrètement.
Malgré ces difficultés, les associations ne parviennent pas à s’allier. Elles s’acharnent à défendre, chacune pour elle-même, le peu qu’il leur reste plutôt que de chercher à peser collectivement.
« En dehors de la subvention, point de salut »
Les associations souffrent de l’évolution de la nature des financements publics, qui entraînent une logique de marchandisation contraire à leur principe de non-lucrativité. Pour faire face à l’accentuation des pressions financières, elles s’unissent pour dénoncer la logique de recul de l’État et prôner le retour de la prévalence de la subvention, comme mode de financement stable, sécurisé, garantissant à l’association la liberté d’expérimenter des réponses sociales innovantes.
Les autres sources de financements continuent de jouer un rôle et se maintiennent, à l’exception de celles reposant sur un recours à l’emprunt. L’atténuation de la pression financière permet aux associations de sécuriser et pérenniser leurs emplois. Elle les conduit également à réduire leur vigilance en matière d’optimisation des coûts.
Dans ce contexte, la diversité des associations est préservée, et le nombre de bénévoles continue d’augmenter. Les grands acteurs pèsent cependant davantage dans le rapport aux pouvoirs publics. Assurées de leur pérennité par le retour d’une relation privilégiée avec les pouvoirs publics, les associations ne cherchent ni à nouer des alliances ni à mutualiser leurs moyens et acceptent d’accompagner les dispositifs et objectifs de l’État, au risque de l’instrumentalisation. Dans cette logique de « fonctionnarisation », l’engagement évolue vers un volontariat institutionnalisé (service civique universel, réserve citoyenne).
« Coopérons pour être partenaire des politiques »
Face à la nouvelle donne des financements publics et des enjeux sociaux, mais aussi en vue de répondre à la volonté publique de les faire se regrouper, les associations entendent s’allier avec d’autres acteurs pour établir un diagnostic partagé, proposer de nouvelles solutions et imaginer de nouveaux modèles. Prenant acte du fait que les subventions ne reviendront pas à leur niveau d’avant, elles s’efforcent toutefois de plaider pour leur maintien chaque fois que cela est possible, selon le type d’activité financée. Elles entendent jouer un rôle défricheur en matière d’innovation sociale et concluent des alliances en ce sens, pour débattre du diagnostic avec toutes les parties prenantes et peser auprès des collectivités pour définir des priorités. En parallèle, elles s’ouvrent à l’hybridation des ressources et cherchent à multiplier leurs sources de financements, en s’appuyant sur la diversité des outils existants, faisant appel au plus adapté à la nature de son projet.
Elles s’approprient des outils économiques peu employés par elles jusque-là, dans l’optique d’inventer de nouveaux modes de vivre et faire ensemble, en les mettant au service de l’humain. Par ce biais, elles acceptent certaines contraintes économiques, par exemple en mutualisant leurs moyens pour optimiser leurs coûts de fonctionnement, ou en développant des alliances avec d’autres acteurs, pour renforcer leurs compétences et faire converger leurs intérêts dans des logiques de gains réciproques et d’enrichissement des services offerts. Par ce biais, elles encouragent une professionnalisation de l’ensemble des acteurs internes et le développement de nouvelles modalités d’engagement, en inventant des formes nouvelles de bénévolat (bénévolat de compétence, notamment) et de gouvernance.
« Social business as usual »
Prenant acte du recul du financement par l’État, les associations assument pleinement leur rôle d’acteur économique. Combinant recherche de l’utilité sociale et logiques marchandes, elles ouvrent des filières lucratives, s’inspirent des modèles du social business et n’hésitent pas à se regrouper pour peser plus fortement dans l’obtention de marchés. Elles tissent des liens plus étroits avec les acteurs de l’Ess. Elles s’ouvrent également aux nouveaux outils financiers, du type Investissement à impact social, qui combinent performances financières et sociales, évaluées par des indicateurs.
Cette évolution les conduit à une plus grande professionnalisation de leurs activités. Ceci se traduit par une hausse des exigences techniques, qui nécessite de nouvelles formes d’organisation et de fonctionnement, permettant l’implication de tous, notamment des bénévoles.
Enjeux et questions essentielles
Si aucun de ces scénarios ne se réalisera « tel quel », l’avenir se situe quelque part au croisement de chacun d’entre eux. Dans ce contexte, il importe plus que jamais pour les associations de savoir prendre la mesure du contexte dans lequel elles s’inscrivent, pour savoir mettre en avant leurs atouts et capacités à répondre aux enjeux et défis structurants pour leur avenir.
Concernant les évolutions des modèles socio-économiques, quatre enjeux semblent émerger. Ces enjeux désignent des questions prioritaires renvoyant à un gain ou une perte possibles, auxquelles les associations doivent s’efforcer d’apporter une réponse.
- Comment réaliser des alliances entre acteurs de l’ESS et avec les autres acteurs économiques ainsi que les acteurs publics, dans le respect de ce qui fonde les valeurs associatives, ses principes et ses modèles ?
- Comment sortir des logiques de chacun pour soi, pour réaliser des hybridations financières tenant compte des nouveaux modes de fonctionnement en matière de gouvernance,
des nouveaux outils et des nouvelles formes d’engagement ?
- Comment garantir l’autonomie et l’indépendance des associations pour préserver leur marge d’innovation ?
- Comment connaître et faire (re)connaître le savoir, savoir-faire et les valeurs des associations comme moteurs de l’innovation sociale et en matière de gouvernance et de professionnalisation ?
En continuité avec les principales tendances structurant l’évolution des modèles socio-économiques, ces enjeux soulignent l’importance pour les associations de savoir se doter d’une vision stratégique, orientée par les bonnes questions. Ces questions essentielles doivent leur permettre de construire un projet pertinent, et d’y allouer des ressources adaptées (finances, équipement, compétences ou aides à l’emploi…), en sachant s’appuyer sur leurs atouts et les opportunités. Il s’agit pour elles de se donner des marges de manœuvre. Les associations seront ainsi à même de garantir tant leur potentiel d’action et d’innovation que le respect de leurs valeurs fondatrices.
Bibliographie/Webographie
– Viviane Tchernonog, Le Paysage associatif français, Juris éditions – Dalloz, 2013, Paris.
– Cpca, Contribution à l’analyse des modèles socio-économiques des associations. Typologie des modèles de ressources financières, 2014.
– Colas Amblard, « Associations : pourquoi et comment se restructurer ? » in Le Paysage associatif français, op. cit., pp. 192–194.
– Cnar Financement – France active, Guide association & fusion. Mariage d’amour ou de raison ?, 2013