Le terme de seniors est polysémique,
et n’a jamais fait l’objet d’une définition consensuelle :
– dans les années 1980, les Drh d’entreprises qualifiaient de « seniors » les salariés de plus de 50 ans qui allaient être mis en pré-retraite ; le terme est également véhiculé par les spécialistes en marketing (avec le stéréotype de « la ménagère de moins de 50 ans ») ;
– dans le langage des politiques publiques, le terme de seniors englobe dans une même catégorie d’âge des personnes de 50 à… 100 ans ! La nouvelle loi sur le vieillissement a été qualifiée immédiatement par la presse comme « la loi dépendance » et concerne prioritairement les 1,5 millions de Français en situation de dépendance, en difficulté ou en grand isolement sur 15 millions de retraités.
La notion de retraités est par ailleurs toujours marquée par la représentation des années 1945 où l’âge de la retraite était à 65 ans et l’espérance de vie à la naissance de 65 ans. Il conviendrait de distinguer au moins trois âges de la retraite, avec des ordres de grandeur variables d’une personne à l’autre :
– le premier (60/75 ans) où normalement les retraités sont en bonne santé et sont des actifs réels ou potentiels ;
– le second (75/85 ans) où se manifeste le phénomène de « déprise », selon une expression de psycho-sociologie, c’est le moment où, même en bonne santé, il va y avoir abandon plus ou moins important des activités sociales externes au bénéfice de la sphère familiale et domestique ;
– le grand âge où il convient de distinguer les personnes autonomes et les personnes dépendantes.
Les conventions de l’Insee renforcent les représentations et le flou sur les seniors, puisque les retraités sont désignés comme « des inactifs » et les chômeurs de plus de 50 ans comme « des actifs ».
Les données de contexte
Nous allons vivre, dans les cinquante ans à venir, des bouleversements démographiques jamais connus dans l’histoire de l’humanité, autour de la conjonction d’au moins quatre phénomènes :
– le départ important des « baby-boomers » à la retraite, des années 2005 à environ 2015 qui entraîne une forte augmentation du nombre des jeunes retraités, a priori en pleine forme physique ;
– le besoin de reconnaissance sociale d’un groupe qui va représenter en 2030 de l’ordre du tiers de la population totale ;
– un rééquilibrage entre la population « active » et la population « inactive », puisque nous allons progressivement vers un ratio de un pour un, avec évidemment des tensions sur les systèmes de protection sociale, de retraites et d’assurance maladie ;
– une augmentation importante du nombre des personnes très âgées. Les « plus de 75 ans » » sont aujourd’hui 5 millions, ils seront 10 millions en 2035 d’après l’Insee. De plus en plus de familles vont être composées de quatre générations, parfois cinq. Il en découlera le développement des dispositifs de maintien à domicile, la nécessité de trouver des formes de solidarité et de coopération intergénérationnelles, l’obligation de repenser l’urbanisme, l’aménagement des logements, les transports…
La place des retraités dans la vie associative, les conditions auxquelles ils accèdent au bénévolat et leur mode de relation aux responsabilités et au pouvoir constituent donc des enjeux forts à la fois pour eux et pour la vie associative, et plus globalement pour le renforcement du lien social, puisque l’on peut considérer que la qualité et l’intensité de la coopération intergénérationnelle sont d’excellents baromètres de l’état du lien social et de la solidarité. En particulier, ce besoin de solidarités nouvelles va s’exprimer à la fois au sein des familles et à l’extérieur, localement. Ceux qu’on a appelé « les baby-boomers », devenus « papy -boomers », vont se retrouver dans une position de génération charnière, particulièrement interpellée.
Ceux-ci ont eu de fait toutes les chances : la fin de la guerre, le plein emploi, l’ascenseur social, l’accumulation du capital, la progression de l’espérance de vie, des retraites précoces et des niveaux de retraite « en moyenne » confortables. La génération suivante a connu ou connaîtra des situations nettement moins favorables : la fin de l’ascenseur social, les difficultés de l’insertion professionnelle (« la galère »), le remboursement de la dette publique, des retraites plus tardives et vraisemblablement moins confortables...
L’une des grandes composantes du Pacte républicain est l’invention, au XIXe siècle du système des retraites par répartition et de la solidarité monétaire entre les générations. Il convient de rappeler qu’à cette époque l’espérance de vie à la naissance était inférieure à soixante ans et il n’est d’ailleurs pas certain que Beveridge et Bismarck auraient eu le même courage politique s’ils avaient imaginé les bouleversements démographiques du XXIe siècle ! On peut faire l’hypothèse que, sauf à imaginer des tensions intergénérationnelles fortes, le Pacte républicain devra se renouveler avec probablement une diminution des termes strictement monétaires, au profit de termes plus qualitatifs et locaux, et un égal équilibre de droits et de devoirs pour toutes les générations.
Dans ce contexte, il convient, de notre point de vue, de dire clairement aux nouveaux retraités que la société a besoin d’eux, qu’ils ne sont pas que des consommateurs et qu’ils peuvent être la clé de voûte du « vivre ensemble ». Mais, il y aura, de fait, une sorte de concurrence entre les formes de solidarité dans lesquelles les seniors s’engagent :
– solidarité intra familiale, avec cette position de génération charnière (certains disent « sandwich » ) à l’égard des ascendants, des enfants, des petits-enfants ;
– solidarité de proximité : les voisins, l’entourage immédiat… ;
– le bénévolat institué : en priorité le bénévolat associatif, mais aussi dans d’autres organisations (conseils municipaux, conseils de quartiers…).
L’engagement bénévole des seniors ne progresse plus
La répartition des bénévoles associatifs par tranches d’âges ne correspond pas aux idées reçues : les plus de 65 ans représentent seulement 31 % des 12 700 000 bénévoles associatifs en 2013, l’évolution du nombre sur trois ans, entre 2010 et 2013, est de 5 % contre 34 % pour la tranche 15-35 ans. Le nombre de retraités progresse plus vite que le nombre de seniors engagés dans le bénévolat associatif. Nous pouvons avancer quatre hypothèses pour expliquer cette faible progression, qui se combinent probablement entre elles :
– il est plus difficile de progresser quand le taux est déjà élevé (loi des rendements décroissants) ;
– l’impact du durcissement des conditions de départ à la retraite ;
– la concurrence avec la solidarité familiale, extrêmement forte en France, et/ou la nécessité de compenser la faiblesse des pensions avec des « petits boulots » (la Cnav estime que 800 000 retraités travaillent et ce chiffre a tendance à augmenter) ;
– une parole collective faible sur la place des seniors dans la société.
Ce résultat doit interpeller l’ensemble du secteur associatif. France Bénévolat, avec ses partenaires sur l’engagement des seniors, réfléchit aux méthodes de promotion du bénévolat qui doivent être adaptées à cette tranche d’âge.
Le double effet de l’engagement bénévole des seniors
D’un point de vue plus qualitatif, dans toutes les enquêtes menées auprès de retraités, la grande majorité des interviewés exprime le besoin d’avoir des activités socialement reconnues, de « servir à quelque chose ». C’est même souvent le choix et la mise en œuvre de ces nouvelles activités, au sein d’un nouvel équilibre de vie, qui marquent la fin du « deuil social » du travail rémunéré.
L’implication des retraités dans des activités socialement utiles a donc un double effet positif : pour eux-mêmes, par le maintien ou le retissage de liens sociaux, qui contribuent à développer ce que les institutions de retraite appellent désormais « la prévention sociale globale » ; pour la collectivité, par les effets de la solidarité, et tout particulièrement de la solidarité intergénérationnelle, au travers du bénévolat associatif.
Si le bénévolat est une activité utile à la société, notre expérience montre qu’il l’est aussi pour le bénévole lui-même, pour « le bien vieillir ». Faire du bénévolat permet à un retraité de se sentir utile mais aussi de sortir de chez lui, de rencontrer de nouvelles personnes, de s’épanouir dans de nouveaux projets… et plus globalement de rester en bonne santé. À cet égard, les études effectuées sous l’impulsion de l’OMS (Usa, Hollande, et plus récemment en France) apportent clairement la preuve que l’Evsi (espérance de vie sans invalidité) augmente en fonction du maintien de liens sociaux riches.
Au sein de cette problématique globale, il convient de passer à des champs opérationnels concrets, qui, selon notre expérience à France Bénévolat (voir www.solidages21.org), passent par du « faire ensemble territorial », à la fois intergénérationnel et inter associatif, dans les « bassins de vie ». On peut citer quelques-uns de ces champs :
– la transmission par les seniors de leur capital culturel (connaissances et savoirs faire) aux plus jeunes (exemple où des résidents d’un Ehpad normand transmettent leur mémoire du débarquement pour faire découvrir leurs racines à des jeunes de Mission locale) ;
– celui de la constitution d’un capital culturel par le développement de l’éducation et de la formation tout au long de la vie, y compris grâce au « mentoring inversé » d’une personne jeune à un senior (exemple d’ateliers d’informatique animés par des jeunes) ;
– la possibilité offerte aux seniors de participer à des activités bénévoles et d’autres activités créatrices de valeur, et notamment par la transmission d’un capital culturel entre les générations (exemple du montage de l’opéra Mireille à Aubagne).
L’engagement bénévole des seniors, une implication réfléchie
Dans un contexte plus difficile de la retraite et d’évolution démographique, les retraités sont amenés à faire des choix plus compliqués, heureusement pas nécessairement exclusifs : solidarité intra familiale, en tant que « génération charnière », solidarité de proximité, solidarité via l’engagement associatif. La réflexion sur l’engagement bénévole, et donc les choix individuels, ne peuvent se situer qu’au sein d’une réflexion plus globale sur le choix du nouveau Projet de vie. L’engagement bénévole relève d’un apprentissage souvent précoce où l’influence familiale, le système de valeurs personnel, les engagements de jeunesse, l’implication syndicale, le réseau relationnel… jouent des rôles déterminants. Ainsi pour France Bénévolat, le développement du bénévolat chez les retraités implique une promotion permanente de ce type d’engagement et des messages spécifiques. Il demande de plus des dispositifs d’accueil adaptés et un accompagnement individualisé (actuellement très insuffisants) pour gérer cette transition entre la vie professionnelle et cette nouvelle étape de vie, que l’on qualifie improprement de «retraite».
Si nous souhaitons que davantage de seniors s’engagent dans le bénévolat associatif, en particulier celles et ceux qui n’ont pas ou peu connu la vie associative au cours de leur jeunesse ou de leur vie dite « active », plusieurs démarches nous semblent devoir être menées en parallèle, et dans la durée :
– en amont, une plus grande implication des employeurs, en particulier au travers des dispositifs de « mécénat de compétences » ou d’incitation « au bénévolat de compétences » ;
– des actions de préparation à la transition travail/retraite : ceci dépend des employeurs et des Caisses de retraite ;
– une meilleure information, en particulier locale, sur la diversité du tissu associatif, sur ses besoins en matière de compétences bénévoles, sur la réalité du fonctionnement associatif : ceci correspond aux missions propres de France Bénévolat et de ses partenaires ;
– des actions d’accompagnement individuel et collectif pour préparer ces nouveaux bénévoles à la compréhension du fonctionnement des associations et les aider à avoir « la bonne posture » ;
– des méthodes d’accueil, d’intégration, d’implication des nouveaux bénévoles, en identifiant les missions adaptées et les méthodes spécifiques pour celles et ceux qui connaissent peu ou mal la vie associative, dans le respect « des temps sociaux ».
La place des seniors dans la vie associative constitue un enjeu fort, à la fois pour eux et pour la vie associative, et plus globalement pour le renforcement du lien social. Pour cela, la société doit tenir un discours positif à leur égard et reconnaître leur utilité sociale. Pour reprendre le point de vue de Jean-Paul Delevoye, ancien président du CESE : « Ce sont des actifs sociaux à part entière ».