Enjeux sociétaux

La transition énergétique au Maghreb : l'exemple de Chefchaouen

Tribune Fonda N°245 - Associations et collectivités - Mars 2020
Geres
Le Geres met en place des services d’information Energie-Climat à l’échelle des territoires pour accélérer la transition énergétique, écologique et climatique. Cet article montre comment sont entrées en dialogue l’expérience française et celles du Maroc et de la Tunisie à travers l’exemple de la ville de Chefchaouen qui impulse une importante transition énergétique.
La transition énergétique au Maghreb : l'exemple de Chefchaouen
Chefchaouen. © Baraquito.

Cet article est une contribution à la version numérique enrichie de la Tribune Fonda n°245. Il ne figure pas dans la revue papier. 


Chefchaouen, une ville en transition énergétique


Chefchaouen est une commune touristique de 42000 habitants de la montagne du Rif, au nord du Maroc. Cofondatrice de l’Association marocaine pour des éco-villes, elle a développé une culture environnementaliste avec, en 2010, la déclaration « Chefchaouen ville durable ».

Le partenariat avec le Geres a débuté il y a une dizaine d’années par des interventions sur la gestion durable des ressources en bois. Puis, pour définir et mettre en œuvre son programme de transition énergétique, la commune a sollicité, entre autres, l’appui du Geres.

En 2015, des moyens ont été trouvés auprès de plusieurs financeurs, l'Union européenne, l'Agence française de développement (AFD), la région Sud-Provence Alpes Côte d'Azur, l'ADEME et la fondation Nexans, pour soutenir à la fois des actions de  gestion énergétique du patrimoine communal et des actions à destination des autres acteurs du territoire en les liant autant que possible ; parmi lesquelles :

  • l’élaboration d’un tableau de bord de gestion énergétique municipale (électricité, carburant et eau), 
  • une formation au Règlement Thermique de la Construction au Maroc suivie de la réalisation de bâtiments pilotes, 
  • l’installation de panneaux photovoltaïques (10 kWc) en toiture de bâtiments municipaux,
  • un diagnostic énergétique, du potentiel solaire et du confort des bâtiments communaux, 
  • la modernisation du réseau d’éclairage public (81% de la facture énergétique municipale) pour une économie d’énergie d’au moins 50%, 
  • l’acquisition de six vélos électriques en tant que véhicules de service du personnel. 


Deux « outils » d’importance ont été mis en place pour accompagner la transition énergétique et climatique de ce territoire dans une démarche participative et multi-partenariale : un conseil participatif Énergie-Climat qui réunit de nombreuses composantes de la commune, dont des associations, et un service d’information Énergie-Climat nommé ici Centre Info Énergie (CIE). 

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Chefchaouen, panneaux solaires sur le toit d'une bibliothèque, 2018. © Geres.


Le modèle français inspirant le Centre Info Énergie de Chefchaouen 


Le CIE a été inspiré par les Espaces Info Énergie (EIE) développés en France par l’Ademe à partir de 2001, en partenariat avec les collectivités, pour assurer des missions d’accueil, d’information et de conseil relatives à la maîtrise de l’énergie auprès des particuliers et des professionnels. Au démarrage, ces espaces sont portés par des associations travaillant sur le logement, l’urbanisme, la consommation, l’énergie ou l’environnement, comme le Geres en région Sud-Provence Alpes Côte d’Azur. Les collectivités entrent progressivement dans la gouvernance et le financement et certains EIE se structurent en « Agence locale de l’énergie et du climat ». Une Alec est donc aujourd’hui en France une association créée à l’initiative et avec le soutien des collectivités locales et qui  fournit informations, conseils et assistance technique aux utilisateurs d’énergie. On en compte trente-neuf.

La structuration en Alec s’est faite soit par la mutation des associations porteuses d’EIE soit par le transfert de l’expertise des associations à des Alec créées par les collectivités. Ce fut le cas pour le Geres qui, après avoir animé deux EIE pendant quinze ans, sur le Pays d’Aubagne et de l’Étoile et à Marseille, a transmis en 2014 les missions et le personnel vers l’Alec de la Métropole Marseillaise. 

À l’échelle nationale, le Cler (Réseau pour la transition énergétique), Flame (fédération des Alec) et Amorce (réseau de territoires) jouent un rôle majeur d’animation, d’observatoire et de promotion de ces EIE ou Alec au service de l’intérêt général. Ces réseaux associatifs alertent et proposent des solutions pour éviter une transition énergétique limitée à des opérations standardisées sans accompagnement.  En 2015, ils ont permis l’inscription d’un service public de la performance énergétique de l’habitat (SPPEH) dans la loi de transition énergétique pour la croissanceverte. Mais ce service public destiné à généraliser les Alec n’a pas encore vu le jour… 


Le Centre Info Energie de Chefchaouen, ambition communale et expertise associative


Revenons à Chefchaouen où le Geres a présenté ses expériences d’Aubagne et Marseille. En 2012 la commune décide de se lancer dans l’aventure. L’ouverture du CIE en 2014, avec en particulier le soutien de l’Ademe, fut une première au Maroc. À partir de 2016, dans le cadre du programme pour la transition énergétique animé par le Geres, la commune délègue son animation à des associations locales. 

Le CIE est installé dans un immeuble du centre-ville, les salles sont aménagées selon les thématiques traitées (éclairage/électricité, bâtiments, cuisine et électroménager) et dans une logique d’exemplarité (chauffe-eau solaire, rafraîchissement plutôt que climatisation, solutions de correction acoustique). Le CIE informe et conseille gratuitement, il prête des ressources pédagogiques et des équipements de mesures (wattmètre, sondes de température, caméra thermique, …), collecte des données sur les consommations énergétiques et relaie les initiatives sur le territoire.

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Chefchaouen,CIE. Sensibilisation des élus et des professionnels, 2018. © Geres.

 

Plus de 80% des contacts se font dans le cadre d’animations réalisées à l’extérieur auprès de particuliers, d’associations, d’écoles, de professionnels (drogueries ou menuisiers par exemple). Le CIE est donc un espace de mobilisation, d’éducation, de conseil mais aussi de mise en valeur des bonnes pratiques des habitants de Chefchaouen.

Fin 2018, à échéance du financement externe, la commune l’internalise pour le pérenniser. Malgré l’absence de prérogative des communes marocaines sur la maîtrise de l’énergie, un directeur est nommé. Il souhaite nouer des partenariats avec les associations qui ont géré le lieu jusque là et avec les autres acteurs de la ville afin de servir une ambition redoublée de Chefchaouen comme ville durable. Cela suppose de revoir les questions de contractualisation, de gouvernance et de financements.


Des SIEC en Méditerranée


Ces dernières années, les élus de Chefchaouen ont participé à de nombreuses manifestations nationales et internationales sur le climat, l’énergie, le développement local, et le CIE a été identifié comme outil de transition écologique des territoires. Et plusieurs collectivités et acteurs de la transition énergétique au Maroc et en Tunisie ont exprimé le souhait d’en développer un sur leur territoire.

Un groupe de travail a été mis en place, réunissant des porteurs d’initiatives « SIEC » en Tunisie, au Maroc, et en France : Agence nationale de maîtrise de l’énergie avec les Points information maîtrise énergie et l’association Sousse Propre en Tunisie, les communes de Chefchaouen et d’Oujda, la province de Tata, la région Tanger-Tetouan-Al Hoceima (TTAH) et les professionnels du solaire (RESOVERT-Agadir) au Maroc, l'Alec Aix-Marseille, la région Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur et l'Ademe en France.

Dans le cadre de la coopération décentralisée entre les régions Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur et TTAH et avec le soutien de l’Agence française pour le développement (AFD) et du fonds conjoint franco-marocain, le Geres a animé des visites d’échanges à Agadir, Montpellier, Marseille et Tanger et a conduit un processus de capitalisation des expériences. Une plaquette de présentation des SIEC et des études de cas ont été coproduites par les membres du groupe de travail. 

Ces échanges d’expérience donnent à voir les différences de contextes institutionnels, légaux, économiques, politiques et techniques des pays du pourtour méditerranéen permettant plus ou moins de possibilités et de modalités de collaboration entre les institutions publiques, le secteur associatif et le secteur privé lucratif.

Pensés au départ pour des acteurs de la Tunisie et du Maroc qui souhaitent institutionnaliser les SIEC, ces échanges d’expériences intéressent en fait tout autant les acteurs français car ils permettent de regarder notre cas avec des yeux « neufs » et différents, par exemple pourquoi ne pas inclure dans ces lieux la mobilité et les déchets et avoir une approche plus environnementale.

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Geres, EIE, animation en France, 2011. © Geres.

 

Avec le soutien de l’AFD, le Geres va continuer l’animation des échanges et l’élaboration d’un plaidoyer multi-acteurs des SIEC au niveau méditerranéen, mettant au centre de la réflexion le positionnement des collectivités et des organisations de la société civile, la structuration et l’outillage des SIEC, la gouvernance territoriale et le modèle économique. À l’heure où en France le modèle évolue vers un partenariat public-privé des collectivités et des entreprises soumises au dispositif CEE (les fournisseurs d’énergie principalement), ces expériences du Maghreb sont à suivre avec attention.

 

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