Associations et démocratie Modèles socio-économiques

La reconnaissance d’utilité publique, un outil de régulation

Tribune Fonda N°197 - Une politique associative - Juin 2009
Yannick Blanc
Yannick Blanc
Analyse de la notion de reconnaissance d’utilité publique par rapport aux autres statuts associatifs et réflexions autour des référentiels d'audit existant ayant une approche similaire.
La reconnaissance d’utilité publique, un outil de régulation

Improvisée il y a bientôt deux siècles pour permettre à une société savante de recevoir un legs, la reconnaissance d’utilité publique des associations a survécu, sans évolutions majeures, à la loi de 1901 et aux mutations du monde associatif. Elle a aujourd’hui perdu sa raison d’être mais pourrait trouver une nouvelle jeunesse à condition de définir la juste contrepartie de la sacro-sainte reconnaissance.

Dans un contexte de crise économique, d’inquiétude sociale et de disette budgétaire durable, la conférence nationale de la vie associative ne doit pas être une « conférence agricole » où le Gouvernement ne pourrait au mieux que lâcher quelques miettes symboliques, mais doit être saisie par le mouvement associatif comme l’occasion de prouver qu’il a un rôle à jouer, une contribution positive à apporter dans la mobilisation de la société civile face à la crise. Les associations ne doivent donc pas venir à la conférence avec des demandes, mais avec des propositions visant à leur permettre de jouer leur rôle de cultivateurs du lien social dans des conditions plus transparentes, plus sûres et plus stables.

L’un des paradoxes de la conférence (et peut-être même de l’organisation institutionnelle du monde associatif) est qu’elle va une fois de plus s’interroger sur les rapports entre pouvoirs publics et associations sans que le grain à moudre sur le sujet se soit beaucoup renouvelé depuis la « Charte d’engagements réciproques » de 2001. On peut résumer ce paradoxe en disant que plus les associations réclament de la reconnaissance, plus elles accentuent leur dépendance à l’égard de l’État alors que, pour être reconnues, elles devraient commencer par affirmer leur identité et leur autonomie.

La distinction entre la « petite capacité » reconnue aux associations déclarées et la « grande capacité » octroyée aux associations et fondations reconnues d’utilité publique est l’une des pierres de touche de la loi de 1901 mais elle a perdu sa raison d’être. Celle-ci ne se comprend que dans le contexte historique de l’affrontement entre la République naissante et les congrégations. La limitation de capacité des associations n’avait pour effet utile que d’empêcher les congrégations de reconstituer leur patrimoine de mainmorte par le biais de la liberté d’association. Cette limitation se traduit, dans l’article 6 de la loi de 1901, par la restriction aux « immeubles strictement nécessaires à l’accomplissement du but qu’elle se propose » du patrimoine immobilier de l’association et par l’impossibilité de recevoir des libéralités (donations et legs).

Un alinéa ajouté par la loi du 23 juillet 1987 a toutefois rouvert cette possibilité pour les associations « qui ont pour but exclusif l’assistance, la bienfaisance, la recherche scientifique et médicale ». Cette catégorie intermédiaire ne paraît cependant pas davantage pertinente : comment distinguer « l’assistance et la bienfaisance » dans le champ à la fois vaste, complexe et toujours renouvelé du social ? Est-il encore légitime de favoriser l’assistance alors que toute la philosophie de l’action sociale est inspirée par la sortie de l’assistance, l’accompagnement dans des parcours d’insertions dont les étapes ressortissent à la santé, à l’éducation, à la formation, à l’accès à l’emploi, etc. ?

Le rapport Morange propose (propositions n° 17 à 20) de distinguer trois catégories d’associations : les associations déclarées, les associations d’utilité sociale, les associations reconnues d’utilité publique. Après de longues années de réflexions et de débats inachevés sur la définition de l’utilité sociale, on peut reformuler la proposition sur une base moins problématique, celle de l’intérêt général tel que le définit le code général des impôts, le régime juridique et le régime fiscal de l’association étant étroitement liés.

La distinction reposerait alors sur la logique suivante :

  • l’association simplement déclarée bénéficie de l’intégralité des libertés garanties par la loi de 1901 et n’est tenue qu’à ses obligations minimales ;
  • l’association d’intérêt général, dont l’objet répond aux critères (éventuellement actualisés quant aux domaines d’action éligibles) des articles 200 et 238 bis du code général des impôts, qui peut justifier de sa non-lucrativité et d’une gestion désintéressée, bénéficie de la grande capacité. En contrepartie, elle est soumise à l’obligation de certification et de publicité de ses comptes. Cette contrepartie est déjà exigée des fonds de dotation, lesquels peuvent être créés par une association simplement déclarée, ce qui vide de tout contenu la distinction entre petite et grande capacité ;
  • l’association reconnue d’utilité publique répond en outre aux critères d’un référentiel de gouvernance et de gestion et se soumet régulièrement à une procédure d’évaluation de l’impact de son action dont elle communique les résultats.

En effet, ce qui motive aujourd’hui la demande de Rup des associations est, outre l’obtention de la grande capacité dans un nombre réduit de cas (afin de recevoir un ou des legs), la recherche d’un « label » de qualité afin de faciliter la collecte de dons. Or, si la Rup est jugée longue et difficile à obtenir, en raison des critères exigés par l’administration, elle ne comporte, une fois obtenue, aucune procédure de vérification autre que l’envoi annuel des comptes à l’administration auquel s’ajoute depuis peu leur publication sur le site Internet du Journal officiel. L’administration n’est pas en mesure de procéder à un contrôle de ces comptes et ne dispose en outre d’aucun référentiel opposable pour apprécier la validité effective de la Rup dans la durée. Le label Rup ne garantit donc en rien la qualité de gouvernance, de gestion et d’efficacité des associations qui en bénéficient.

Pour pallier cette inconsistance de la garantie de l’État, il existe plusieurs types de démarches s’appuyant sur des référentiels d’audit.

Le label du Comité de la charte, le plus connu, destiné aux organismes faisant appel à la générosité publique, dont la faiblesse est cependant d’être administré par ceux qui en bénéficient, même si les méthodes et le recrutement des censeurs sont un gage de rigueur.

Les référentiels Afnor et Bvqi, inspirés des méthodes de certification industrielle mais qui n’ont pas trouvé une véritable audience dans le monde associatif, notamment en raison de leur coût et d’une diffusion strictement commerciale.

Le Guide de bonnes pratiques d’Ideas, dont la conception est plus adaptée aux besoins des associations et qui s’appuie sur une démarche d’accompagnement par des consultants bénévoles ; sa mise en œuvre est actuellement en cours auprès d’une dizaine d’associations.

Le référentiel élaboré par Kpmg, outil d’appui méthodologique pour les commissaires aux comptes.

En ce qui concerne l’évaluation, France Bénévolat est aujourd’hui, sauf erreur, la seule association à s’être dotée dès sa création d’une instance d’évaluation indépendante et permanente. Mais d’autres associations ont procédé à des exercices d’évaluation ponctuels ou thématiques avec le concours d’équipes universitaires ou se sont dotés de comités d’audit aux compétences plus limitées.

La reconnaissance d’utilité publique pourrait devenir une garantie de l’État accordée aux associations qui se dotent d’un contrôle de la qualité et de procédures d’évaluation fondés sur un référentiel agréé par l’État après avis d’une instance comportant des membres du Conseil d’État, de la Cour des comptes, des représentants de l’administration, de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, du conseil supérieur de l’ordre des experts comptables, de la Société française de l’évaluation ainsi que des membres du Cnva. De cette manière, comme cela existe pour l’industrie et les services, les associations auraient le choix entre plusieurs référentiels, lesquels pourraient notamment être spécialisés selon les secteurs d’activité. La Rup pourrait alors être accordée plus rapidement, par décret simple ou arrêté ministériel, sous condition de vérifications régulières assurées selon les méthodes retenues par les référentiels.

Une telle réforme, s’inscrivant dans la logique de simplification de la Rgpp, permettrait :

  • de replacer l’État en position d’arbitre et de garant et non de puissance tutélaire, rôle qui ne correspond ni au partenariat souhaité par les associations, ni aux moyens d’action de l’administration ;
  • de répondre aux besoins de certification et de garantie éprouvés par les associations et par les donateurs ;
  • de respecter la diversité et le pluralisme du monde associatif, de ses modes d’organisation, de ses domaines d’activité ;
  • de créer un niveau de garantie comparable à celles exigées par les organisations internationales et les bailleurs de fonds pour les Ong.

Elle nécessite la modification de l’article 6, qui définit la petite capacité, des articles 10 et 11, relatifs à la reconnaissance d’utilité publique, de la loi de 1901.

Il s’agit tout simplement de prendre au sérieux le sens des mots : initialement conçue comme un droit octroyé à recevoir des libéralités, la reconnaissance d’utilité publique ne peut aujourd’hui signifier autre chose que l’attestation de la pleine capacité d’agir en faveur du bien commun.

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