Cet article est une contribution à la version numérique enrichie de la Tribune Fonda n°244. Il ne figure pas dans la revue papier.
« Les Principes de Denver »1
, issus de leur protestation, se confortèrent encore avec le fameux slogan porté par les personnes handicapées « rien pour nous sans nous ». Ils furent ensuite largement repris par les associations de malades à travers le monde. Ils s’institutionnalisèrent internationalement plus de dix ans après au travers des Principes GIPA (Greater Involvement of People living with AIDS) adoptés par quarante-deux pays.
Depuis sa création en 1984, AIDES n’a eu de cesse de contribuer à la structuration, la vitalité et la prise en compte de la parole des malades par les professionnels de santé et les décideurs considérant le-la patient-e comme « réformateur-rice social-e ». L’enjeu majeur est que les personnes malades soient associées – au travers de représentants-es – à l’élaboration et la mise en œuvre des politiques de santé qui les concernent, aux côtés des autres parties prenantes du système de santé.
Au gré des mobilisations à l’occasion de crises sanitaires (VIH, sang contaminé…), les représentants des malades réussissent progressivement à s’imposer dans les discussions avec les instances de santé, sur les avancées thérapeutiques, les droits des personnes malades, la prise en charge des malades ainsi que sur l’offre de prévention2 .
Les Corevih, un laboratoire de la démocratie sanitaire
Succédant aux CISIH (Centres d’information et de soins de l’immunodéficience humaine) créés en 1988, dans le but de rapprocher la recherche des personnes concernées et de recueillir des données sur la santé des malades, les Corevih (Coordinations régionales de la lutte contre le VIH) voient le jour en 2007 pour coordonner l’ensemble des acteurs de la lutte contre le sida sur un territoire donné, veiller à la qualité de la prise en charge et recueillir les données locales sur l’évolution de l’épidémie. Ils réunissent ainsi des représentants des soignants impliqués dans le champ du VIH (médecins, infirmiers, psychologues, etc.) et des patients, qui travaillent en commissions thématiques au sein d’une structure démocratique dans le giron du CHU de référence.
Les Corevih voient leur rôle renforcé en 2017 comme contributeurs aux politiques publiques de santé, et leurs prérogatives élargies à la lutte contre les autres IST (infections sexuellement transmissibles)3 . Le travail de co-construction de la Stratégie nationale en santé sexuelle (SNSS) engagé entre la DGS (Direction générale de la santé du ministère de la Santé) et les acteurs de santé a accéléré ce changement.
Un travail autour de la Stratégie nationale de santé sexuelle (SNSS), héritier de collaborations antérieures
Plusieurs jalons avaient été déjà posés dans la construction d’habitudes de travail et de collaboration entre associations, monde médical et institutions.
Cela a été notamment le cas lors de la réforme de l’organisation du dépistage anonyme et gratuit du VIH et des IST qui a abouti à la création des Cegidd (Centre gratuit d’information, de Ddépistage et de diagnostic des infections sexuellement transmissibles) dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 20154 . Cette réforme était une revendication ancienne des associations de lutte contre le sida et des professionnels de santé dans l’objectif de concentrer les services de dépistage et de créer des centres de références pour la santé sexuelle des populations les plus vulnérables à l’épidémie à VIH. Elle a ouvert les voies au travail de réforme des Corevih de 20175 et celui sur la SNSS.
Il s’agît d’un travail inédit de co-construction, se basant sur les allers et retours répétés des textes entre les acteurs de santé (médecins, associations, représentants d’usagers) réunis au sein des Corevih et les services de la DGS. L’association AIDES avait alors préparé des « kits » pour que ses militants, engagés dans les différents Corevih, puissent s’approprier les textes mais aussi aient les capacités d’être moteurs dans la concertation.
La SNSS est le fruit d’un compromis ingénieux inscrivant la lutte contre le VIH et les IST dans un objectif de santé sexuelle globale, incluant un volet prévention et un volet « prise en charge et qualité de vie des personnes vivant avec le VIH », aux côtés d’autres préoccupations comme la santé reproductive ou encore la prise en compte des inégalités de santé. Pour beaucoup elle a consacré l’approche « aidienne » de la santé sexuelle, en se construisant sur des objectifs et des sous-objectifs appropriables par l’ensemble des acteurs, et surtout en validant la pertinence des nouveaux outils de prévention comme la PrEP (traitement préventif du VIH).
La place réservée à l’approche populationnelle dans la lutte contre le VIH, mettant l’accent sur les populations clefs de l’épidémie habituellement laissées pour compte de la prévention d’État (notamment les travailleurs-ses du sexe, les personnes détenues et les usagers-ères de drogue) ainsi que l’importance donnée à l’accès aux droits et à la lutte contre les inégalités, peuvent être considérés comme des indicateurs de l’influence de l’association sur ce travail.
La sortie de la SNSS s’est accompagnée d’une feuille de route, découpée en plusieurs fiches actions, directement applicables selon les contextes locaux, avec une méthodologie de santé publique, suivie par les associations dans le montage d’actions.
Un travail d’appropriation ayant facilité son application sur le terrain
La collaboration entre les différents acteurs de la santé et les services de l’État pour la rédaction de la SNSS, a permis de s’assurer que rien n’avait été oublié, que la SNSS soit adaptable aux réalités propres de chaque territoire (métropole et Outre-mer), et a aussi contribué à son appropriation par les acteurs associatifs dont les militants de AIDES engagés dans les différentes instances locales de démocratie sanitaire. Ceux-ci ont pu faciliter la mise en œuvre de la SNSS en étant en capacité de proposer le développement d’actions innovantes au sein de leur Corevih, et dans une moindre mesure, dans leur Conseil territorial de santé (CTS), Conférence régionale de santé et de l’autonomie (CRSA), ou encore URAASS (Union régionale des associations agréées d’usagers du système de santé).
Le travail sur la SNSS a rendu possible le portage de revendications associatives au Parlement comme la prescription de la PrEP et du TPE (traitement d’urgence post-exposition) au plus près des personnes qui peuvent en avoir besoin, c’est à dire en Cegidd et pas uniquement à l’hôpital (LFSS pour 2017).
La création avec financement public des « Centres de santé sexuelle communautaires » sur appel à projets de la DGS, est une des réalisations issues de la SNSS. AIDES en a été l’un des moteurs principaux avec la mise en place dès juin 2016 de ses Spot à Paris, Marseille, puis Nice. Ces lieux réunissant plusieurs offres de soins, médicalisées ou non, sont gérés directement par les associations, sur un modèle financier plus diversifié que celui des hôpitaux et des Cegidd, avec une organisation permettant de mieux répondre aux besoins des publics concernés par l’épidémie (horaires d’ouverture, accueil, etc.).
Parmi les autres réalisations permises par la SNSS, nous pouvons aussi citer le développement des actions à destination des travailleuses du sexe, comme en région Centre–Val de Loire où AIDES a obtenu le financement par l’Agence régionale de santé (ARS) d’un poste dédié sur la prévention et le dépistage (sur les lieux de travail en extérieur ou à domicile, en collaboration avec les Cegidd locaux) à destination de ce public spécifique. Dans la même région, l’ARS finance un autre poste dédié à l’accompagnement communautaire des personnes inscrites dans un parcours PrEP.
Le travail de co-construction de la SNSS a aussi permis l’inscription dans le Plan Régional de Santé (PRS) de la nécessité du dépistage répété, ainsi que de l’importance du ciblage et de l’outreach (aller vers) pour le dépistage des publics éloignés des structures de dépistage. Cela a notamment permis le développement des « actions hors-les-murs » de AIDES seule ou en collaboration avec les différents Cegidd de la région.
En Pays-de-la-Loire et en Île-de-France, c’est sur la prise en compte par le Corevih de la problématique Chemsex (rapports sexuels sous produits psychoactifs) que la SNSS a facilité le travail des militants de AIDES. Des colloques sur le sujet à destination de tous les acteurs de santé locaux (médecins, associations, ARS, etc.) y sont organisés sous l’égide du Corevih.
Depuis la publication de la SNSS, les militants de AIDES sont à l’initiative au sein de leurs Corevih de la création de plusieurs commissions thématiques par populations clefs (Hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, personnes trans, travailleurs-ses du sexe, migrants-es, usagers de drogues, prison, etc.) pour réfléchir à une meilleure efficacité des actions sur leurs territoires et une amélioration de la prise en charge des publics en fonction de leurs besoins.
On peut aussi noter l’engagement croissant des Corevih dans le débat public national, via des tribunes sur la défense de la couverture santé des étrangers, ou encore leur mobilisation pour l’augmentation de la contribution française au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme lors de sa reconstitution qui s’est tenue à Lyon début octobre 2019.
Des difficultés persistantes et des questions sur la pérennité des projets
En dépit de ces réalisations, les militants de AIDES engagés au sein des structures de démocratie sanitaire doivent souvent faire face aux résistances des autres acteurs (soignants, ARS, etc.) quand ils proposent des projets innovants. Brandir la SNSS comme texte de référence ne suffit pas toujours, il faut convaincre et des arbitrages au niveau de la DGS sont parfois nécessaires.
En effet chaque ARS étant autonome, le cadrage des textes nationaux (décrets, circulaires, instructions), ne suffit pas toujours pour se passer de négociations parfois difficiles entre acteurs de santé et institutions, très variables d’une région à l’autre.
De plus, alors que la question de la prévention et de la prise en charge du VIH constituait l’élément central de la SNSS, AIDES doit faire face à la dilution de la place réservée au VIH dans les stratégies locales au profit d’autres problématiques.
Enfin, avec les réductions budgétaires constantes sur la Santé - et la prévention - se pose la question de la pérennité des dispositifs mis en place grâce à la SNSS, souvent placés en compétition avec d’autres pour leurs financements.
En dépit de l’expérience acquise par les représentants de AIDES dans la démocratie sanitaire, des plus-values mises en évidence dans les politiques de santé, le modèle gagnerait à être encore renforcé. La mutualisation des savoir-faire avec des associations hors du VIH, de personnes touchées par une maladie chronique ou plus largement, des usagers du système de santé, de même que la structuration de leur représentation appellent encore à se poursuivre pour que soit pleinement prise en compte les positions des personnes malades dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques de santé.
L'auteur remercie Adeline Toullier, Fabrice Pilorgé et Catherine Aumond pour leur relecture attentive.
- 1Les principes de Denver ont été rédigés à la suite de cette mobilisation. Ils ont été publiés en juin 1985 dans le premier numéro de Newsline, la revue éditée par la Coalition des personnes atteintes du Sida (People With AIDS, PWA) .
- 2Contribution que l’on reconnait particulièrement dans la loi nᵒ 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite loi Kouchner.
- 3Décret n° 2017-682 du 28 avril 2017 relatif à la coordination de la lutte contre les infections sexuellement transmissibles et le virus de l'immunodéficience humaine.
- 4Article 47 de la loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014.
- 5Instruction du Ministère de la Santé et des Solidarités, 5 avril 2018.