Roger Sue commence son intervention en pointant le fait que les sphères sociale, politique et économique sont aujourd’hui fondamentalement en disjonction. De même, il lui semble prématuré de parler de faisabilité et de programme dans le contexte actuel. Confortant les propos de Pierre Vanlerenberghe, il considère lui aussi que la crise financière actuelle est tout à la fois un révélateur et une opportunité. Elle révèle que nous sommes bien dans l’époque du « capitalisme cognitif » où l’immatériel prend une place fondamentale. Dans ce sens, il faut admettre que le capitalisme financier qui est le ressort de ce capitalisme immatériel, a été hyper productif. Sa positivité financière reste pour l’instant supérieure aux dégâts qu’il provoque actuellement.
En fait, le problème actuel réside plutôt dans l’incapacité ou l’absence de volonté de réguler ce capitalisme et dans le fait qu’on n’a pas su faire monter une autre forme d’immatériel : le capital humain. Les discours appelant à un retour à l’industrie, à l’économie réelle, peuvent apparaître rétrogrades et décalés. Ils laissent penser qu’on pourrait revenir à une économie où le travail retrouverait une place supérieure à la valeur ajoutée. Or, le progrès a été justement dans la déformation de cette plus value au bénéfice du capital, ce qui a permis de desserrer l’étau et la contrainte du travail. Il faut au contraire rajouter de l’intensité capitalistique et de la productivité dans notre économie. Affirmer ceci ne signifie cependant pas qu’il ne faut pas revoir les conditions de redistribution du profit.
Nous allons donc vers une économie à fort capitalisme financier et à forte intensité capitalistique, pour laquelle nous devons nous interroger sur la manière dont les capacités productives vont se répartir à l’échelle de la planète, ce qui peut se révéler différent selon les chemins proposés par nos dirigeants politiques.
Cette mutation profonde de notre économie soulève la question de ce qu’est le capital humain et des conditions de sa production ? Le flou, dans lequel nous nous situons, nous empêche de maîtriser la mise en œuvre de la nouvelle économie. L’erreur serait de rester sur une approche qui la réduirait aux questions de recherche, de formation et de promotion d’une élite. Si ces sujets participent de la société de la connaissance, ils en constituent une toute petite partie et restent donc pour l’instant mal appréhendés par l’ensemble des experts. Cela nécessite pour la Fonda de poursuivre son travail d’élucidation, même si la complexité de la question impose un investissement important (cf. la génération actuelle des petits déjeuners).
Finalement, l’enjeu central aujourd’hui est celui de la production de l’individu. Confusément les entreprises comprennent que la santé, le capital social et culturel, l’apprentissage des nouvelles technologies, le renforcement des compétences individuelles sont des éléments du capital humain à cultiver pour renforcer leur propre performance économique. Les premiers bénéficiaires de la redistribution sociale sont les entreprises. Elles sont au bout d’une chaîne qui leur permet de disposer de services publics, d’une qualification de leur main d’œuvre de plus en plus pointue, qui se fait en dehors du temps de travail. Dans l’ensemble de ce processus, leur intervention reste faible. Elles capitalisent de plus en plus sur des externalités positives qui les mobilisent très faiblement. Répondre à la crise, c’est continuer à produire davantage de capital humain et augmenter les prélèvements obligatoires alors que, concomitamment, les discours sont de ne pas aller trop loin dans la redistribution afin de ne pas pénaliser les entreprises. Nous devons réfléchir sur ce problème.
Sur la question des conditions de production du capital humain, il semble clair que les éléments permettant des synergies entre ses différents contributeurs ne sont pas encore mis en place. Or, dans cette matrice, les associations jouent un rôle fondamental en s’appuyant sur ce qui les constitue : l’engagement, le sens de l’action dans le service, la coopération désintéressée dans un collectif, l’individualisation des réponses et des actions… En développant des solutions et des services que ni l’État ni le marché ne sont capables de proposer, les associations développent des actions d’intérêt général tout en permettant à chacun de se former, ce qui contribue à la richesse du pays.
Ce constat d’une mutation profonde n’est pas encore la chose la mieux partagée par les principaux responsables de notre pays. En ceci, nous pouvons être pessimistes sur leur capacité à impulser et à coopérer pour accompagner les transformations sociales, économiques et politiques nécessaires. Nous pouvons même nous demander s’ils y ont un intérêt ?
Tous ces éléments peuvent constituer une ligne d’horizon qui doit nous permettre, pour peu que nous soyons d’accord sur ce cadre d’analyse, d’être concrets, de formuler des propositions. Aujourd’hui, il existe une disponibilité intellectuelle, mais elle reste limitée et nous devons nous en saisir.
(Synthèse d’une intervention orale réalisée par la Fonda.)