Associations et démocratie

Élus, associations, citoyens : une rencontre nécessaire

Tribune Fonda N°245 - Associations et collectivités - Mars 2020
Jean Maillet
Jean Maillet
Et Dominique Schalchli
Reconnaître que, au-delà de la seule catégorie des élus, celle des associations, celle des citoyens et aussi celle des techniciens ont leur mot à dire dans le débat général, constitue déjà un premier pas. Est-il dès lors possible d’aller plus loin, de favoriser un partenariat réel, de permettre aux différents acteurs de faire un pas de côté... et ainsi de créer une communauté locale ?
Élus, associations, citoyens : une rencontre nécessaire
© Paul Grelet


Un dialogue déséquilibré


La collectivité publique décide, prescrit, finance, évalue une action. Si elle ne peut ou ne veut la conduire en direct elle-même, elle cherche un opérateur, souvent associatif, qui la mènera pour elle, moyennant rémunération. Situation inverse : une association conçoit un projet et se tourne vers une ou des collectivités publiques pour obtenir son financement. Le déséquilibre est là aussi évident car, diront les esprits réalistes, « qui paie commande ». Troisième formule : la collectivité publique rencontre des associations impliquées dans un domaine précis, puis les consulte avant de prendre ses décisions et de mettre en place les actions. Dans ce cas, le déséquilibre est plus subtil, il n’en est pas moins réel : libre à la collectivité de tenir compte ou non de ces avis.

S'il existe des exemples plus partenariaux, cette constatation d'un dialogue déséquilibré est claire.

Et alors ? Il est bien normal que la puissance publique (jacobine ou décentralisée) ait le pouvoir majeur de décision, c’est par elle que se traduit l’intérêt général. Les activités des associations citoyennes sont louables, mais les propositions qu’elles font ne revêtent pas cette légitimité fondamentale. 

Les auteurs de ces lignes, qui ont participé à des activités dans ces deux champs, ont parfois eu l’impression de contribuer autant à cet intérêt général dans leur investissement associatif que dans leurs fonctions au sein de structures publiques. 


Un contexte qui change


En France, le demi-siècle passé a vu le paysage changer.

  • Au sens physique du terme avec l’urbanisation, la métropolisation, l’épuisement d’un modèle agricole.
     
  • Au sens institutionnel ensuite, dans une France déconcentrée avec moins de moyens financiers et une France décentralisée qui peine à exercer ses compétences dans des régions immenses.
     
  • Au sens citoyen enfin, les plus jeunes choisissant de s’organiser en matières d’alimentation, de mobilité, de logement, de solidarité, sans passer par des politiques publiques qu’ils ignorent ou rejettent, parce qu’elles entraveraient leur soif d’individualité. Les seniors, souvent en bonne forme et disposant de revenus réguliers, investissent leur énergie dans un bénévolat de plus en plus expert, capable de « challenger » les élus et les techniciens des pouvoirs publics. Mais ces derniers se heurtent ok boomer ! aux plus jeunes : l’urgence écologique n’est pas perçue de la même manière par les uns et par les autres. On échange parfois plus facilement sur les réseaux sociaux que dans son quartier. L’individualisme, que la mondialisation des échanges a favorisé, gagne du terrain face à la solidarité collective. 


S’ajoute à cela une forme de défiance vis-à-vis de la « puissance publique », du modèle selon lequel chaque niveau de collectivité édicte ses procédures et ses financements. Ce sont autant de freins à l’initiative individuelle ou collective qui demande agilité, réactivité, temps court pour voir des résultats rapides.

Chaque porteur de projet doit développer une énergie considérable pour faire « rentrer son idée » dans les cases des financeurs. Les appels à projet tuent les projets, par la lourdeur de leurs procédures ou par le fait que seuls peuvent y répondre ceux qui ont développé une capacité d’ingénierie. Les autres se découragent, se replient et trouvent des stratégies alternatives, éloignées des « circuits habituels », accentuant la défiance évoquée. Et, les fonds publics se faisant plus rares, moins accessibles, d'autres modes de financement sont utilisés pour répondre aux besoins de projets collectifs ou individuels.

Les plateformes de financement participatif, la mobilisation des financements familiaux, l'appel aux fondations sont autant de canaux permettant de ne plus solliciter, ou alors à la marge, les pouvoirs publics.

Comment favoriser un partenariat réel pour la transition ? À chacun de faire un pas de côté !


— Les citoyens

Le citoyen est par nature un expert des usages de sa vie. Pour autant, souhaite-t-il en faire profiter son territoire, sa communauté ? Beaucoup ne trouvent que peu d'intérêt à la chose publique, préférant l'entre-soi de « solidarités d'archipel »1 . Comment mobiliser, sans professionnaliser pour autant, les habitants dans le débat public, dans la construction des projets ? Comment leur donner la légitimité nécessaire pour peser dans la construction des politiques publiques ?

La montée en puissance dans bien des territoires, à l'occasion des élections municipales de mars 2020, de groupes travaillant autour d'une liste et d'un programme citoyens est un signal qui peut rendre optimiste. Combien, comme à Saillans en 2014, arriveront aux commandes de leurs communes ? Sans doute quelques-uns seulement. Mais le travail entrepris à cette occasion changera durablement la dynamique de leur territoire.

Ce seront des interlocuteurs exigeants des exécutifs élus en mars 2020. Gageons qu'ils sauront investir les outils réglementaires déjà existants : conseils citoyens des quartiers prioritaires de la politique de la ville, conseils de quartiers dans les villes, conseils de développement dans les communautés de communes et d'agglomérations. Ces outils ont donné des résultats, là où les élus locaux ont joué le jeu. Ils participent de cette démocratie renouvelée, une démocratie de construction.


— La société civile

Elle est dispersée, en particulier à cause de la concurrence qui existe dans la quête de financements des pouvoirs publics. Les instances officielles et reconnues de la représentation associative sont là, mais les regroupements s'effritent souvent quand vient le moment de remplir et transmettre aux pouvoirs les dossiers de financement : chaque association pense alors qu'il lui faut régler en fin de mois ses factures de loyer, payer ses salariés, assurer les conditions de sa survie. La volonté collective perd de sa vigueur ou s'efface.

Mais le besoin de « faire réseau » se ressent aujourd'hui plus qu'hier : il se manifeste parfois par le refus de propositions venant des pouvoirs publics, du nimby [not in my backyard] dans un quartier à la réaction du milieu associatif devant la baisse des contrats aidés. Il peut aussi prendre des formes plus positives, les « pactes » actuels en sont une manifestation, qu’il s’agisse du pacte du pouvoir de vivre ou encore du pacte de la transition citoyenne, regroupant différentes composantes de la société civile sur des propositions concrètes communes.


— Les élus

Aujourd’hui, les élus sont questionnés sur leur légitimité à représenter seuls l'intérêt général. Tant sur le plan national, avec la mondialisation, que sur le plan local, avec la montée en puissance des intercommunalités portant l'essentiel des compétences locales, ils sont mis en porte-à-faux et interpellés par les citoyens quant à leur capacité effective à « faire bouger le réel ».

Pour autant, les exemples ne manquent pas dans lesquels des élus ont su changer de posture et s'autoriser à décider autrement : Jo Spiegel2  à Kingersheim et Jean-François Caron à Loos-en-Gohelle, pour ne citer qu’eux, ont déployé des approches nouvelles pour conduire les politiques publiques dans leur commune. Ils ont pris le temps de l'échange avec les habitants pour bâtir ensemble des programmes à partir d'un diagnostic partagé et d'outils de mesures d'impact.

Ces exemples inspirants méritent d'être diffusés. Ils ne sont pas mécaniquement reproductibles car chaque territoire dispose d'une géographie et d’une histoire propres, mais ils donnent des pistes pour piloter autrement les politiques publiques locales. Tous témoignent de la nécessité pour les élus de développer leur capacité de coopération, leur « maturité coopérative ». Celle-ci n'est pas innée, les élus peuvent avoir la tentation de se draper dans leur légitimité électorale. Pourtant, elle est indispensable pour construire démocratiquement un projet de territoire.


Les techniciens

Ils ont vu leurs missions évoluer au fil des réformes dans les collectivités et dans les administrations de l'État. La spécialisation des politiques, le principe de précaution, les réglementations et le contrôle des fonds publics ont changé leur rôle. Les techniciens connaissent souvent mieux que les élus toutes les contraintes posées par les multiples cadres des politiques publiques. Ici et là, on peut se demander qui décide, de l'élu, maire ou président d'EPCI [établissement public de coopération intercommunale] ou de son directeur général des services.

Ils ont donc une forte responsabilité. Eux aussi doivent être modestes dans leurs ambitions à savoir ce qui est bien pour les concitoyens. 

Être à l'écoute des besoins et des signaux faibles exprimés par les habitants, afin de leur apporter une réponse rapide, amène une administration locale à remettre en question sa logique. En effet, souvent, répondre à la problématique d’un tel ou d’un tel nécessite la mobilisation de plusieurs services. Le mode projet, transversal, amène à réorganiser les administrations locales.


Créer une communauté locale


Une telle communauté se crée à partir de l'action partagée et de manière réciproque.

Le maître-mot est la co-construction, expression non pas brandie comme un mantra sans réel contenu, mais plutôt comme une exigence à respecter lors de l'ensemble du processus : dans la co-élaboration partagée du projet d'action à mener ; pour la co-réalisation de celui-ci ; pour le co-financement public et par appel au financement participatif ; enfin, dans le processus de co-évaluation.

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Schéma. Rencontres des partenaires d'une communauté d'action.

 

Un des moyens de faire progresser la capacité de travail commun de ces catégories diverses serait d'organiser des moments de formation entre elles. En effet, les systèmes de formation continue des agents des pouvoirs publics, des militants associatifs, des élus, sont aujourd'hui cloisonnés. Ces moments développeraient les fertilisations croisées.

Faire communauté ne signifie pas que les différents membres de celle-ci aient dorénavant tous des rôles identiques : l'objet n'est évidemment pas de créer une sorte de phalanstère ou de se considérer comme détaché de son institution d’origine. Celles et ceux qui initient concrètement ce mode de travail co-construit entre élus, techniciens, associatifs organisés et citoyens de base, ne doivent ni avoir mandat de fonctionnement impératif, ni être, à l'inverse, des électrons libres.

Peut-être certains lecteurs de cet article en trouveront-ils ses auteurs « gentiment utopiques ». Mais des expériences de ce type existent déjà. Pour n’en citer qu’une, l'expérimentation Territoires zéro chômeur longue durée, partie de quelques territoires, est aujourd'hui l’objet de multiples demandes de duplication.

  • 1Jérôme Fourquet, L’Archipel français. Naissance d’une nation multiple et divisée, Seuil, 2019.
  • 2Jo Spiegel, Et si on prenait – enfin ! – les électeurs au sérieux, p.58, Temps présent, 2017.
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