La particularité des associations est d’être dirigées à la fois par un corps bénévole d’élus qui forment un comité directeur (ou Conseil d’administration) et un bureau (ou Comex), et une direction salariée incarnée la plupart du temps par un délégué général. En fonction de la taille de l’association, ce dirigeant aura peu ou prou une équipe à encadrer, un périmètre plus ou moins élargi et in fine des responsabilités, elles aussi, plus ou moins étendues.
Selon différentes sources on a observé que la professionnalisation des associations a démarré il y a une trentaine d’année, et environ une dizaine à une quinzaine d’années s’agissant des associations professionnelles, c’est-à-dire les associations regroupant les membres d’une profession donnée, afin de répondre toujours plus aux exigences des membres, des usagers, du marché, de l’évolution du bénévolat, de la réglementation en vigueur, etc.
C’est ainsi que globalement jusqu’au milieu des années 2000 on a pu dresser un profil de délégué général bien différent de celui d’aujourd’hui. L’évolution du rôle du Délégué Général est bien sûr lié au contexte et donc au fonctionnement des associations selon les époques.
Ainsi durant de très nombreuses années le délégué général avait un profil que l’on peut qualifier grossièrement « d’exécutant ».
On a pu voir que de nombreuses associations professionnelles prenaient pour délégué général un de leur membre, soit en retraite, soit en recherche d’emploi, et dont le métier original était celui de la filière métier que représentait l’association. Ces délégués généraux étaient de véritables « sachants » sur l’aspect métier représenté par l’association qu’ils « dirigeaient » mais n’avaient aucune connaissance en matière de pilotage associatif, et encore moins en matière de gestion de structure privée.
Au milieu des années 2000, et cela s’est encore amplifié après la crise de 2008, les conseils d’administration des associations professionnelles se sont posés la question des profils des dirigeants salariés qu’ils voulaient, et plus généralement d’ailleurs des collaborateurs permanents.
On a ainsi observé, à l’instar de ce qui se fait dans le monde de l’entreprise, la mise en place de process de recrutement classiques, en recherche de profils en adéquation avec la fonction de délégué général. On a recherché des gens formés, diplômés, possédant des compétences de management, de gestionnaire, voire avec un profil entrepreneurial.
Ce changement de stratégie de recrutement était motivé par les contraintes internes et externes que j’ai évoquées, mais plus globalement par le risque de plus en plus élevé de voir une association en difficulté parce que mal dirigée par un délégué général au profil inadapté et peu capable d’évoluer.
Ce changement de profil a engendré également un transfert de responsabilité. Il y a dix-quinze ans encore les organes de dirigeance bénévoles étaient très puissants voire intrusifs dans la gestion quotidienne des associations, avec des périmètres très élastiques et des confusions dans le partage des rôles entre les bénévoles et les salariés.
Aujourd’hui, même s’il peut encore y avoir quelques écarts, les périmètres des dirigeants salariés et bénévoles sont bien identifiés, distincts et complémentaires. En conséquence, le délégué général a pu se réapproprier un certain nombre de prérogatives, au premier rang desquelles par exemple la gestion des ressources humaines, pour laquelle tout le monde avait toujours quelque chose à dire auparavant, ou pire, pour laquelle chaque membre d’un comité directeur se sentait le « patron » des salariés.
Ainsi ces dix dernières années ont eu l’avantage de recadrer les choses et de poser les bases d’une gestion saine pour préparer l’avenir. Car c’est bien de cela qu’il s’agit quand on parle de l’évolution du rôle du délégué général. Bien entendu il est essentiel de savoir d’où il vient et comment son rôle a évolué ces dix à quinze dernières années, mais ce qui reste le plus important aujourd’hui est de se projeter pour savoir à quoi son rôle ressemblera d’ici cinq à dix ans.
Le travail réalisé conduit à poser plusieurs hypothèses dont l’une bouscule les codes et fait appel au sens des réalités, pas toujours partagé.
Tous les délégués généraux rencontrés sont unanimes sur ce point : ils se considèrent tous comme des chefs d’entreprise. Certes le cadre juridique dans lequel ils exercent leurs missions n’est pas le même et la notion de rendement au sens capitalistique n’existe pas, pour autant ils sont tous d’accords pour dire qu’au quotidien leurs missions sont en tous points identiques à celle d’un dirigeant d’entreprise. Ces missions concernent le développement, la gestion de projets, la gestion des ressources humaines, des finances, des risques, etc.
L’érosion de l’engagement bénévole (qualitatif) dans le secteur associatif a favorisé cette réalité et demain encore cette tendance s’accentuera dans un monde où qui mieux que le délégué général, véritable chef d’orchestre polyvalent, sera en mesure de piloter de manière totalement transverse les associations.
Ainsi dans les prochaines années, le rôle du délégué général pourrait être encore plus renforcé qu’il ne l’est aujourd’hui. Celui-ci se devra d’être non seulement le sachant sur tous les sujets usuels de la gestion d’une organisation, mais aussi capable d’anticiper les besoins de son association, et, à ce titre, aura un rôle d’impulsion dans la définition des stratégies, passant ainsi d’un rôle aujourd’hui majoritairement de mise en œuvre de la stratégie à un rôle de stratège.
Cette hypothèse peut heurter certains bénévoles et élus, voire quelques délégués généraux. Cela serait un véritable schéma de rupture avec ce qui se fait depuis des décennies. Mais je pense clairement pour autant que c’est ce dont les associations ont besoin pour construire leur avenir. Ce scénario ne signifie pas que la dirigeance bénévole sera reléguée au second plan, mais que la co-construction et la co-réflexion avec les dirigeants salariés sera de rigueur. En ce sens le rôle de « chef d’entreprise » prendra là toute sa dimension.
Les associations auront besoin d'avoir à leur tête des délégués généraux entrepreneurs, visionnaires.
Pour aller un peu plus loin et être un peu provocateur, je dirais aussi que l’évolution du rôle des délégués généraux pourrait dépendre de leur propre envie de faire bouger les lignes. J’ai été surpris lors de mes différents entretiens avec des délégués généraux pour mon mémoire, de constater qu’aucun d’eux ne m’a parlé de son rôle à l’égard de la stratégie de l’association qu’ils dirigent. Peut-être cela ne signifie-t-il rien de particulier ?
Peut-être au contraire cela veut-il dire qu’il serait temps que les délégués généraux préemptent d’eux-mêmes le terrain de la stratégie et changent de regard sur leur fonction. D’ailleurs si l’on fait un petit parallèle avec nos homologues anglo-saxons on voit bien que ce rôle de chef d’entreprise, de dirigeant fort, existe, et ce jusque dans le titre avec volontiers un titre de Chief executive officer (CEO) pour les délégués généraux américains ou anglais.
En conclusion je dirai que mon analyse sur ce sujet, que je réalise depuis plusieurs années et plus récemment au travers de ce mémoire, couplé à ce benchmark international me laisse penser, dans une professionnalisation des associations qui n’en a pas fini, que le délégué général de demain n’aura rien à voir avec le délégué général d’aujourd’hui, et ce jusque dans son profil
Les associations auront besoin d’avoir à leur tête des délégués généraux entrepreneurs, visionnaires, capables de prendre des « risques mesurés » pour réaliser des objectifs toujours plus difficiles à atteindre dans un monde devenu plus concurrentiel et plus contraint.
Le délégué général devra donc passer d’un rôle de gestionnaire et de manager à un rôle d’entrepreneur, sortant ainsi de sa « zone de confort ».