Engagement Associations et démocratie

Contribuer au bien commun : une utopie réaliste

Tribune Fonda N°239 - Les dynamiques de l'engagement - Septembre 2018
Nils Pedersen
Nils Pedersen
Éditorial de la Tribune Fonda n°239 « Les dynamiques de l'engagement ».
Contribuer au bien commun : une utopie réaliste


La vitalité associative de la France n’est plus à démontrer... du moins pour ceux qui en sont les acteurs !

Aussi, alors que les difficultés sont pourtant bien réelles et que le panorama global est plus nuancé, l’engagement, lui, ne faiblit-il pas. C’est bien là un des paradoxes du bénévolat. Outre qu’il s’exprime majoritairement dans les associations, de nouvelles formes émergent, moins institutionnelles et plus diffuses.
 
Philippe Jahshan, président du Mouvement associatif, soulignait récemment avec raison qu’une grève de l’ensemble de bénévoles sur une seule journée paralyserait l’ensemble du pays, tant ils sont nombreux, à tous les échelons de notre société, dans tous les domaines (celui de la santé, avec les crèches et les hôpitaux, du sport, dans les milliers de clubs de proximité, de la vie de quartier avec les associations d’éducation populaire...) et à tous les âges de la vie.

Quels sont les motivations des bénévoles et les mécanismes qui les unissent dans la diversité de leurs engagements ? Sans doute les bénévoles partagent-ils, pour reprendre les mots d’Albert Camus, que « les hommes vivent et ne peuvent vivre que sur l’idée qu’ils ont quelque chose de commun où ils peuvent toujours se retrouver ».

C’est bien en partie cet idéal commun qui nous unit et qui nous motive, « car, poursuit-il, si l’on ne croit à rien, en effet, si rien n’a de ne sens et si nous pouvons affirmer aucune valeur, alors, tout est permis et rien n’a d’importance1 ».

Les associations sont régies par un contrat, lui-même encadré par la loi2 . Pourtant, l’engagement ne repose pas sur des fondements juridiques, mais sur un subtil mélange d’affinités électives (l’affectio societatis), de motivations personnelles et de sens de l’intérêt général. Il suffit pour s’en convaincre d’observer l’explosion du nombre de services civiques en moins de dix ans ou encore le développement d’un engagement informel.

La notion d’engagement dépasse ainsi largement le cadre rationnel du bénévolat. Notre société se construit sur des liens invisibles et puissants constitutifs d’une fraternité en actes. Cette dernière apporte, à ceux qui en font un de leur moteur, des externalités positives : la confiance en soi, le bonheur, la bienveillance ou encore l’audace.

Mais s’engager, c’est aussi accepter d’être interpellé et confronté à l’Autre. Comme le souligne Emmanuel Lévinas : « Le moi, devant autrui, est infiniment responsable3  ». S’inscrire bénévolement dans un projet, s’engager avec ou en faveur des autres, ouvrent un nouveau rapport au temps et à l’altérité qui fait émerger une forme de transcendance.

Celui qui s’engage s’émancipe des cadres familiaux, sociaux, institutionnels pour contribuer à un projet qui le dépasse. Au-delà du sens, c’est bien une utopie qui anime les bénévoles. Une utopie réaliste, celle de contribuer au bien commun, celle d’être acteur de la construction de sa propre destinée, et non spectateur d’une politique imposée par une puissance tutélaire.

Alors que les défis planétaires qui nous attendent sont immenses et ne souffrent pas la médiocrité, les propos de Camus trouvent écho plus actuel que jamais : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse4  ».

Dans cette tâche, les associations ont toute leur place. Encore faudrait-il qu'on la leur reconnaisse.
 

  • 1Albert Camus, « La crise de l’homme (1946) », in Conférences et discours (1936 – 1958), p. 41 à 43.
  • 2Loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association
  • 3Emmanuel Lévinas, Totalité et Infini, 1961
  • 4Albert Camus, « Discours de Stockholm (10 décembre 1957) », in Conférences et discours (1936 – 1958), p.337
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