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L’engagement des individus s’inscrit à la conjonction entre dynamique collective et aspirations personnelles. Cependant, certains freins empêchent les individus de pleinement s’engager autant qu’ils le souhaitent et de nouveaux dispositifs sont à imaginer pour faire société. Qu’est-ce que l’engagement ? Quelles sont les évolutions des caractéristiques de l’engagement ? Quels sont les freins à l’engagement ?
Qu'est-ce que l'engagement ?
L’engagement est un concept polysémique selon Claire Thoury. Elle propose de repartir d’une définition proche du Larousse : s’engager c’est exprimer par des mots ou des actes une colère, une indignation ou une envie. « Nous pouvons avoir tendance à avoir des grilles de lecture normatives de l’engagement. Or, elles occultent des formes moins institutionnalisées d’engagement », complète-t-elle.
Par exemple, organiser un événement convivial dans son quartier peut-être un engagement. La personne s’engage par ailleurs pour les autres, pour le collectif, mais aussi pour elle-même.
Pour Julien Mast, l’engagement a deux caractéristiques : la responsabilité et l’inscription dans la durée. Sans cela, « l’engagement devient un mot aussi vide de sens que transition ou développement durable », explique-t-il.
Ainsi, il estime que les prises de position des personnes qui n’ont pas de rôle public sur les réseaux sociaux ne constituent pas un engagement, car elles ne s’accompagnent pas d’une responsabilité. Claire Thoury pense, au contraire, qu’il s’agit d’un engagement. Réagir sur Twitter n’est pas neutre, cela engage la personne qui publie en un sens.
Les évolutions de l'engagement
Le sociologue Jacques Ion1 a identifié deux ères de l’engagement, avec leurs caractéristiques. Après la Seconde Guerre mondiale, l’engagement se traduit par une adhésion à une structure, notamment un parti ou un syndicat, qui occupe toute la vie de l’individu. Le militant œuvre pour un « Grand soir »2 afin de transformer le monde, même s’il sait que ce triomphe n’adviendra pas nécessairement de son vivant. Le militant communiste est la figure de référence de cet engagement militant, rappelle Claire Thoury.
Puis, dans les années 1970, un tournant s’opère. Les individus se libèrent de leurs collectifs d’appartenance pour chercher à devenir eux-mêmes. La chute du mur de Berlin en 1989 marque la fin des grandes idéologies et, par là même, le déclin du militantisme sacrificiel.
« Les individus ne veulent plus sacrifier leur vie au profit d’un hypothétique grand soir, ils veulent agir pour une cause avec des résultats, tout en gardant leur individualité », explique Claire Thoury. L’individu s’engage pour trouver du sens et s’épanouir. Jacques Ion qualifie cette seconde ère d’engagement « post-it » parce qu’il n’implique aucune fidélité à une organisation.
Claire Thoury observe l’émergence d’une troisième ère de l’engagement, celle des jeunes de la génération Greta Thunberg3 . Ils veulent voir changer le monde de manière radicale par rapport à l’urgence de la situation marquée par la montée des inégalités et le dérèglement climatique. « Le grand soir c’est tout de suite ! » résume-t-elle.
Les freins à l'engagement
Selon Julien Mast, un des principaux freins à l’engagement — si ce n’est le premier — c’est le manque de temps libre. La disponibilité varie en fonction des différents moments de la vie et le débat sur la réforme des retraites, marquée par un allongement de la durée passée à travailler, l’illustre.
Julien Mast identifie également le manque de connaissance des personnes sur elles-mêmes et leurs aspirations en termes d’engagement. « À e-graine, nous aidons chacun à trouver le projet qui résonne en elles pour s’engager en s’appuyant sur une démarche d’éducation populaire », explique Julien Mast. L’objectif de l’organisation est de développer le pouvoir d’agir de chaque citoyen.
Sur fond d’affaiblissement des corps intermédiaires, des inégalités traversent ces espaces d’engagement. Les structures ne donnent pas nécessairement toute leur place aux bénévoles et ne s’adaptent pas à leurs attentes.
Or, tout l’enjeu est « de remettre l’individu au cœur du pouvoir », insiste Claire Thoury. L’association Animafac, dont elle a été déléguée générale, témoigne de cette volonté. Là-bas, « ce sont les militants qui définissent le réseau et pas l’inverse », poursuit-elle.
Favoriser la participation citoyenne
Une Convention citoyenne est une expérience inspirante sur la manière d’aborder des sujets structurants pour la société. La Convention sur la fin de vie a permis de réunir 185 citoyens représentatifs de la société française pour 27 jours de travail. D’ailleurs, à l’issue de la 9e session, leur rapport final comprend 67 propositions4 .
« Bien que le sujet soit épineux, ce format donne du pouvoir d’agir aux citoyens et permet de produire un débat bienveillant et intelligent. Les citoyens acquièrent une expertise » remarque Claire Thoury. Elle préconise de dupliquer cet exercice de participation citoyenne, institutionnalisé par le Conseil économique social et environnemental (CESE). Selon elle, c’est une démarche porteuse d’espoir pour la démocratie.
Julien Mast est plus réservé sur ce type d’approche surtout dans un contexte où il y a urgence à agir, notamment face à la crise écologique. « Ce type d’engagement ne vient-il pas compenser le recul de la prise en charge des besoins par les politiques publiques ? » s’interroge-t-il. Compte tenu de la multiplication et de la complexification des crises, « il est indispensable de passer d’une société du vivre ensemble à une société du faire ensemble », insiste Julien Mast.
Cela suppose de se fixer un cap collectif pour avancer ensemble vers ce futur désirable, et ce sans tarder. Il rappelle le rôle des pouvoirs publics dans cette dynamique qui, de par leurs missions, «peuvent faire avancer collectivement sur des points partagés et prendre des décisions acceptables par le plus grand nombre» conclut-il.
Claire Thoury suggère, quant à elle, de passer d’une société engagée à une société politisée. Il s’agit de recréer une dynamique collective et politique en définissant ensemble un projet collectif, « un récit fédérateur », et réfléchissant ensemble à la manière de le mettre en œuvre. « Une société politisée implique des aspérités, des désaccords et des divergences que nous pouvons dépasser ensemble en définissant un cap collectif », poursuit-elle. Il est possible de dialoguer entre personnes ayant des opinions variées, en créant un cadre propice aux échanges.
Conclusion
L’engagement est une notion difficile à définir qui repose sur une envie d’agir avec des motivations variées. Suivant les évolutions de la société, l’engagement a évolué.
L'attachement à une structure a été remplacé par l'attachement à une cause et la recherche de résultats concrets et rapides. Toutefois, des freins à l’engagement persistent et la diversité des engagements peine à déboucher sur un récit fédérateur.
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Ce compte-rendu a été rédigé par Hannah Olivetti de la Fonda et relu par Yannick Blanc, Anna Maheu, Julien Mast, Agathe Thiebeaux et Claire Thoury. Il est mis à disposition sous la Licence Creative Commons CC BY-NC-SA 3.0 FR.
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- 1Jacques Ion, La fin des militants ?, Paris, Éditions de l’Atelier, 1997.
- 2Né à la fin du XIXe siècle lors des conflits sociaux, le Grand soir correspondait à un hypothétique jour de triomphe de la révolution sociale. Gracchus Babeuf proclamait notamment « Les pauvres seront logés dans les appartements des riches au soir de la révolution ».
- 3Du nom de la militante suédoise écologiste Greta Thunberg, née en 2003, qui a lancé les grèves scolaires pour le climat (Skolstrejk för klimatet).
- 4La synthèse des propositions est disponible en ligne.