Engagement

Comment dépasser le paradoxe de l'engagement des jeunes ?

Tribune Fonda N°239 - Les dynamiques de l'engagement - Septembre 2018
Claire de Mazancourt
Claire de Mazancourt
Et Institut de l'Engagement
Comment donner de la force à la multiplicité de l'engagement des jeunes et en faire un moteur de notre avenir ?
Comment dépasser le paradoxe de l'engagement des jeunes ?

Cet article est une contribution à la version numérique enrichie de la Tribune Fonda n°239.
Il ne figure pas dans la revue imprimée.


En octobre 2016, l’IFOP demandait à un échantillon de plus de mille personnes, représentatif de la population française1  : « De laquelle des deux propositions suivantes vous sentez-vous le plus proche : " Dans la vie, il faut prendre les choses en main et ne pas les subir " ou " Dans la vie, il faut prendre les choses comme elles sont " ». Alors que chez les 65 ans et plus, seuls 14 % se disaient plus proches de " prendre les choses comme elles sont ", ils étaient 31% chez les 18-24 ans.

Parallèlement, des associations se désolent et disent ne pas pouvoir compter sur des jeunes, qui, selon elles, ne s’engageraient pas dans la durée mais papillonneraient d’un engagement à un autre, d’une activité à une autre. Elles ont du mal à les retenir et les bénévoles plus âgés – ces 65 ans et plus, qui avaient 15 ans et plus en 1968 – se désespèrent que la relève ne soit pas assurée.  

La situation des jeunes serait-elle si enviable qu’elle justifie une plus grande passivité ? Certainement pas : le taux de chômage des jeunes n’a jamais été aussi élevé en France, les jeunes sont la tranche d’âge la plus touchée par la pauvreté. Alors, la génération des 18-25 aurait-elle baissé les bras ? Aimerait-elle à ce point les selfies qu’elle en oublie de voir le monde qui l’entoure et qu’elle ait perdu l’envie d’agir pour le rendre meilleur ? Aurait-elle renoncé à s’engager ? Non. La réalité est toute autre. Les jeunes s’engagent. Ils s’engagent beaucoup. Ils s’engagent de plus en plus.

En 2010, Martin Hirsch créait le Service civique, ouvert à tous sur la base du volontariat. Sept ans après, plus d’un jeune sur dix s’engage dans ces missions, pour au moins 6 mois, en y consacrant au moins 24 heures par semaine.

L’enquête IFOP, celle-là même qui présentait les 16/25 ans comme faisant preuve d’un certain fatalisme, montre aussi que lorsqu’il s’agit d’environnement, de santé, de culture ou d’action sociale et humanitaire, les deux tiers d’entre eux sont prêts à s’engager en bénévolat ou en volontariat. Le pourcentage de jeunes qui ont une activité associative bénévole a crû de près d’un tiers entre 2010 et 20162 . Et dans ses choix professionnels, cette nouvelle génération attache une importance grandissante au « sens », à l’équité, aux valeurs portées par l’organisme qui les emploie et à sa sincérité.


Je ne suis pas sociologue et ne me risquerai certainement pas à analyser ce qui explique ces paradoxes, mais le constat est là. Les jeunes s’engagent individuellement mais ils ne se retrouvent pas dans les grands mouvements collectifs qui étaient jusqu’à il y a peu les creusets de l’engagement. Et de fait, la même enquête de l’IFOP montre que ces jeunes ne croient ni aux pouvoirs publics, ni aux entreprises, mais pas non plus aux associations pour trouver les solutions.

Faut-il s’en étonner ? Les partis politiques sont nés à la fin du XIXème siècle. La loi qui structure aujourd’hui encore les associations date de 1901. Nous sommes en 2018... Les jeunes sont passés d’un engagement au sein de grands mouvements, sur la durée : l’engagement de partis, à un multi-engagement hyper-fragmenté et bondissant, rendu possible aussi par les nouvelles technologies.

Internet permet aux jeunes de voir le monde qui les entoure comme aucune génération avant eux n’a pu le faire, et de s’en sentir responsables. L’hyper-connexion et Facebook ont contribué au développement de personnalités qui semblent avoir autant besoin d’afficher des selfies que de rester en lien continu avec des « amis » qui se compteraient par dizaines ou par centaines. Les opportunités d’agir pullulent, les sollicitations se propagent. Dans ce cadre, les initiatives individuelles et « opportunistes » se multiplient.

Comment aujourd’hui donner de la force à cette multiplicité ? Comment créer les synergies qui permettront de capitaliser sur ces initiatives pour qu’il y ait foisonnement et non dispersion, pour que ces micro-engagements alimentent le creuset d’un engagement collectif qui changera en profondeur les dynamiques sociétales ?


C’est une des questions auxquelles l’Institut de l’Engagement essaie de répondre et apporte, sinon une solution universelle – elle n’existe pas – du moins quelques actions, qui ont fait leurs premières preuves. Créé dans la foulée du Service civique, l’Institut de l’Engagement s’est donné pour mission de valoriser l’engagement des jeunes.

Parce que si l’engagement est aujourd’hui une valeur « à la mode », mise en avant par les politiques comme par la « société civile », bien peu est fait pour reconnaître ceux qui mettent cet engagement en pratique. Et si la loi qui crée le Service civique, renforcée par la loi Égalité-Citoyenneté, prévoit l’obligation pour les établissements d’enseignement supérieur de tenir compte du service civique, il y a loin de la loi à la réalité.

L’Institut de l'Engagement répond à une nécessité : valoriser les jeunes qui s’engagent et ouvrir les plus grandes portes à ceux qui, au service de l’intérêt général, révèlent un potentiel qui n’a rien à envier à celui qu’il est demandé aux élèves de démontrer lors des concours d’entrée dans les établissements d’enseignement les plus prestigieux.

Depuis sa création en 2012, l’Institut de l’Engagement a accueilli près de 3 000 jeunes. 3 000 jeunes qui ont consacré du temps à une mission d’intérêt général, qui y ont montré leur potentiel et la qualité de leur engagement, mais auxquels, parce qu’ils n’ont pas suivi les parcours d’excellence habituels, la société laisserait bien peu de chances d’avoir un avenir à la hauteur de ce potentiel.

Avec ses partenaires, l’Institut abat certaines des barrières qui se dressent devant eux et aide ses lauréats à franchir les autres. Il contribue ainsi à rétablir l’égalité des chances. Mais ce n’est pas son seul objectif.

L’Institut souhaite faire grandir encore chez ses lauréats le sens de l’intérêt général, la confiance en leur capacité à s’emparer des grands enjeux qui construisent notre société, à porter les valeurs d’engagement et de citoyenneté tout au long de leur parcours, quel que soit le cadre dans lequel ils construiront leur avenir. Il leur donne les clés pour agir et les met en situation d’en tirer le meilleur parti, pour eux et pour les autres.

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Promotion 2018 de l'Institut de l'Engagement. © Institut de l'Engagement


Les lauréats de l’Institut, grâce à un bénévolat ou un volontariat, et quelle que soit la raison qui les y a menés, sont tombés dans l’engagement comme Obélix dans la potion magique. Ils y ont trouvé la confiance, l’énergie et l’envie de la solidarité. Chacun porte ces valeurs à sa façon.

Avec l’appui de l’Institut, certains en font leur projet : ils créent leur association, ils cherchent à intégrer des ONG, ils se forment pour aider les autres. D’autres en font une partie intégrante d’un projet qu’ils porteront dans d’autres domaines : dans une création d’entreprise ils intègreront dès la conception le respect de l’environnement et la non-discrimination, en emploi dans une entreprise ils y porteront le souci de l’autre, en intégrant une grande école ils feront auprès des autres élèves la promotion de l’engagement et les sensibiliseront aux enjeux de la solidarité... Chacun d’eux devient à son tour un foyer de rayonnement de l’engagement.

Pour catalyser ces engagements individuels, l’Institut intègre ses lauréats dans des « promos » où se côtoient décrocheurs et diplômés, citadins et jeunes issus de zones rurales, français et étrangers. La diversité de ces promos est telle que la discrimination ne peut y trouver sa place.

L’Institut donne ainsi à ses lauréats la force d’un réseau et d’une culture commune, et il met en place les outils qui leur permettent de faire de leurs projets individuels une force collective. Des regroupements, des groupes Facebook, et surtout de multiples mises en relation, organisées par l’équipe de l’Institut, entre des lauréats aux talents et aux compétences variés et complémentaires, leur permettent de toucher du doigt la force du collectif et d’en faire une réalité, au service de l’intérêt général.

Je laisse la conclusion aux lauréats eux-mêmes :
 

« 500 jeunes, un Institut et une vision commune. Le pouvoir de l’engagement, le pouvoir du rassemblement. Nous sommes la force d’aujourd’hui et de demain. Nous avons le pouvoir de provoquer le changement. Nous avons les moyens, la force et surtout l’envie de poursuivre nos ambitions et d’atteindre nos objectifs les plus fous. L’Institut nous permet d’y croire.»
Diena, lauréate de printemps 2017

« Merci de faire rayonner les vraies valeurs dont nous voulons qu’elles soient le socle de notre société de demain. »
Youssef, lauréat 2016

 

  • 1Sondage IFOP pour Dimanche Ouest France « La France des solutions » - octobre 2016
  • 2Etude France Bénévolat : L’évolution de l’engagement bénévole associatif en France, de 2010 à 2016 – Mars 2016
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