Engagement Gouvernance

Animer la transversalité

Tribune Fonda N°236 - Le fait associatif au cœur des nouveaux métiers - Décembre 2017
José Pendje
José Pendje
Animer la transversalité est une compétence générale convoquée de fait pour permettre aux acteurs du secteur associatif de réinventer et redéployer leurs missions pour faire face aux évolutions à l'œuvre.
Animer la transversalité

Les mutations de grande envergure qui traversent notre société et l’accélération spectaculaire de certaines de ces transitions placent le secteur associatif face à de nouveaux enjeux. En corollaire de ces enjeux, apparaissent des besoins de compétences et d’accompagnement qui façonnent de nouveaux métiers.

Ces bouleversements remettent en question nos façons d’agir, nos processus et méthodes de travail. Les logiques de travail traditionnellement organisées en silos sont mises en échec par la complexité croissante des problématiques qu’elles sont destinées à prendre en charge. Face à cette complexité, il n’est qu’exceptionnellement possible à une entité (fonction, division, organisation ou métier) de penser et d’apporter seule une réponse adéquate ou de portée suffisante.

Une approche globale, pluridisciplinaire et systémique est nécessaire pour relever ces nouveaux défis. Ainsi, la coopération transverse devient un enjeu majeur.

Animer la transversalité est une compétence générale convoquée de fait pour permettre aux acteurs du secteur associatif d’opérer une transformation à la hauteur de l’enjeu : se réinventer et redéployer leurs missions pour répondre adéquatement aux évolutions du contexte et développer ainsi leur pouvoir d’agir. Cette compétence répond au besoin des acteurs de l’ESS de gagner en agilité, réactivité, impact et visibilité.

Pour bon nombre d’associations, parvenir à agir dans cette direction devient même, compte tenu de la pression budgétaire, la condition de leur survie. Au-delà de renforcer la cohésion des richesses humaines et de faciliter la coopération au sein des projets, animer la transversalité est source d’innovation sociale et de création de valeur.


Agir aux interfaces


L’interface des métiers, des compétences, des organisations contient un important potentiel de création de valeur. Chaque métier, chaque activité est porteur d’une technicité singulière dans laquelle se forge une culture qui lui est propre. Si l’union fait la force et si la diversité des points de vue est féconde, le dialogue entre métiers ou compétences éloignées ne va pas de soi.

La complémentarité des activités n’est pas une condition suffisante pour garantir leur coopération fructueuse. Une médiation des points de vue des parties prenantes est nécessaire pour permettre aux représentations, aux enjeux et intérêts multiples de converger en direction de la finalité et pour le bénéfice commun.

C’est à cette condition qu’une véritable articulation des compétences s’opère et permet d’augmenter le pouvoir d’agir ensemble. Cela suppose d’identifier les intérêts communs, les zones d’intersection, les valeurs et les hypothèses partagées. Tout cela constitue un fond commun d’évidences qui est le terreau de l’intelligence transverse et du décloisonnement des logiques de travail et des organisations.

L’ingénierie de la réflexion collective et des missions pluridisciplinaires se doit de proposer des dispositifs et des approches méthodologiques permettant de maintenir au cœur de la réflexion et au centre des débats l’intérêt, les attentes des destinataires de l’action menée.

Qualifier et caractériser ces attentes préalablement à toute recherche de solutions permet tout à la fois :

  • d’élaborer ou consolider une vision commune de la finalité ;
  • de se doter de critères communs qui faciliteront la décision collective.


L’oblique : une stratégie opérationnelle


L’enjeu de la collaboration transverse n’est pas seulement « horizontal ». Les dimensions stratégiques et opérationnelles doivent pouvoir s’articuler, être appréhendées simultanément pour orienter les projets. Penser et développer l’action locale requiert d’entretenir une vision globale de la problématique et du contexte. Adopter une approche systémique permet d’agir en connaissance de cause et d’impact.

Une stratégie opérationnelle est une stratégie nourrie par l’action. Elle est opérationnelle au sens où elle est opérante mais aussi et surtout précisément parce que c’est le fait d’être inspirée par l’action sur le terrain - les opérations - qui la rend opérante.

C’est sur le terrain que les signaux faibles, les indices des mutations à l’oeuvre sont observables. Il est stratégique dans cette période d’accélération de ces mutations d’intégrer cette anticipation prospective pour adapter les réponses à l’évolution des problématiques technico-socio-économiques. Éviter de dissocier la stratégie de son exécution nous invite à repenser les gouvernances, à transformer les processus de travail, en vue de leur conférer la dynamique et l’efficience requises.

Animer la transversalité, c’est aussi ouvrir des chemins de traverse, imaginer de nouvelles façons d’agir, rechercher   voies alternatives pour augmenter la portée du fait associatif, l’impact du faire ensemble. À ce titre, les stratégies d’impact collectif inaugurent une forme novatrice d’alliance, qui, dépassant les modalités traditionnelles du partenariat, fédèrent des acteurs complémentaires de types très différents (associatifs, institutionnels, privés) au sein de communautés d’action.

Il s’agit de réunir des initiatives d’horizons différents qui partagent la volonté de contribuer à une même cause. Permettre à ces initiatives, leur évitant au passage d’entrer en compétition, voire de se neutraliser de fait, de converger et de tirer le meilleur parti de leur complémentarité, démultiplie leur impact collectif. L’atteinte d’un résultat collectif significatif et remarquable valorise la contribution de chacune des parties prenantes.

Animer la transversalité est un geste, une posture professionnelle, un ensemble de compétences à même d’animer ces communautés d’action et d’en stimuler l’émergence. Animer les communautés d’action vise à révéler pleinement le potentiel d’innovation sociale à fort impact dont elles sont porteuses. La démarche est multiculturelle, pluridisciplinaire et interprofessionnelle.

Au delà de l’ouverture au changement, c’est l’ouverture à l’autre dans sa différence pour penser collectivement le changement qu’il s’agit d’accompagner. Les communautés d’action constituent une opportunité pour bon nombre d’associations de trouver un nouvel élan, en sortant de l’impasse d’un modèle économique trop contraint. Avec elles se développe l’espoir de parvenir à offrir une pérennité et une sécurité à la bonne volonté...


Innover : collaborer pour co-élaborer


Les offres de services portées par les associations doivent nécessairement s’adapter aux nouvelles situations que les mutations engendrent. Si les effets de certaines de ces mutations peuvent laisser craindre le pire, nous mettre face au péril, leur conjonction ouvre de façon inédite le champs des possibles. Pour reprendre la formule du poète Friedrich Höderlin : « là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve ».

Se rendre attentif à ces mutations et aux possibilités d’innovation sociales qu’elles ouvrent, c’est anticiper les attentes et leurs évolutions, spécifier le besoin en termes de services à rendre aux utilisateurs, aux populations, aux patients, aux demandeurs d’emplois...

Porter cette attention au service à rendre autorise la révision de l’offre de service associatif dans une démarche collective de co-développement.

Ici, l’utilisation des méthodes participatives de la conception de produits peuvent être d’un grand secours. Prendre en compte la complexité de la demande et organiser la réflexion collective quant aux solutions à apporter, nécessite de s’appuyer sur une méthode précise et exhaustive qui organise la créativité, anticipe l’impact et valide la pertinence et la faisabilité technico-économique des solutions envisagées.

Avec l’offre de service, c’est le modèle économique qui lui est associé, les processus de travail et les gouvernances qui lui sont attachés que l’on s’autorise à reconcevoir, à transformer par voie de conséquence. La transformation digitale ouvre également de nouvelles possibilités à prendre en considération tant au niveau de l’offre de service, de son modèle économique que des processus de travail et des gouvernances.

L’innovation est autant attendue à l’endroit de l’offre de service que de l’organisation interne de l’association. Concernant les transformations internes, là aussi l’innovation se doit d’être rigoureusement spécifiée, le besoin précisément formulé afin de pouvoir identifier dans quelle mesure et comment les pratiques d’autres organisations et les technologies digitales disponibles peuvent être adoptées,  intégrées ou mutualisées au profit de l’efficience collective.

L’innovation est, par nature, de l’intelligence transverse, de l’intelligence de travers, de l’intelligence pour faire face et traverser. L’innovation mobilise et développe l’intelligence transverse ; l’intelligence transverse génère l’innovation. Animer la transversalité c’est savoir mobiliser l’intelligence transverse pour catalyser l’innovation.


Mieux partager le projet associatif


Mieux partager le projet associatif s’avère déterminant, voire un pré-requis pour libérer la créativité collective et autoriser l’innovation au sein des associations.

Les mutations en cours, les mouvements et turbulences qu’elles créent interpellent l’identité, l’objet, les valeurs de bon nombre d’associations. La réflexion collective à ce sujet fait souvent l’objet de débats sensibles.

La possibilité ou la nécessité de s’allier avec d’autres associations ou d’autres formes d’organisations, de tisser des partenariats engageant l’identité même de l’association pose question. Faut il y accéder ? À quelles conditions ? Dans quelles limites ? Quelle partie de notre action, de notre projet associatif sommes-nous prêts à remettre en question, à ouvrir à la négociation ?

Faire l’exercice de spécifier collectivement l’offre de service de l’association, d’examiner ensemble ses évolutions souhaitables, permet de réviser, de consolider ou réaffirmer le projet associatif. Le service à rendre au destinataire de l’action associative fait office de tiers et permet :

  • un arbitrage des scénarios d’évolution possibles ;
  • de réaligner le projet associatif, sa feuille de route et les contributions individuelles sur les évolutions des attentes.


Le projet associatif y gagne en cohésion, en clarté et en lisibilité pour chacun et bien souvent, par voie de conséquence, en visibilité.


Valoriser ses résultats et ses succès


Naturellement et spontanément tourné vers l’action, le secteur associatif peine à valoriser ses résultats et ses succès. Être en mesure de démontrer sa contribution en termes de création de valeur devient un atout considérable tant à l’endroit de la sensibilisation des publics et des pouvoirs publics que dans la mobilisation de financements, de partenaires et de bénévoles.

Cela pose notamment la question de la définition et l’utilisation d’indicateurs de la création de valeur qui permettent d’évaluer l’impact du fait associatif. Dans l’immédiat et concrètement, une approche systémique telle que l’analyse de la valeur, permet, via l’identification de services à rendre, d’anticiper, de qualifier et caractériser les différents aspects de la valeur générée.

Mobilisant des actions de médiation, d’accompagnement méthodologique et de valorisation, animer la transversalité catalyse l’innovation, la collaboration et la communication. En cela, elle est génératrice d’une création de valeur opérationnelle.
 

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