Cet article est une contribution à la version numérique enrichie de la Tribune Fonda n°245. Il ne figure pas dans la revue papier. Il a été rédigé par Yann Ulliac, directeur de l'Observatoire des partenariats du RAMEAU.
En 2010, la Communauté de Communes de Charenton - Saint-Maurice met en place un dialogue entre les acteurs locaux (entreprises, associations et collectivités) au travers de la dynamique « Agir ensemble sur le territoire »1 . Dix ans plus tard, fort de son succès, cette dynamique s’étend aux treize communes du territoire de Paris Est Marne & Bois2 .
La commune de Charenton, en bordure de l’est parisien, se situe dans un périmètre en forte mutation depuis une décennie. Ses cent cinquante hectares se caractérisent par une extrême densité, un afflux de nouveaux habitants et un pôle d’attractivité économique, alliant un tissu dynamique de TPE-PME aux sièges de grandes entreprises (Crédit Foncier, Essilor, Natixis …). Quinze mille personnes travaillent au sein de trois mille entreprises.
Cette dynamique a engendré une mutation socio-démographique puisque 60% des trente mille habitants ont moins de quarante ans. Plus de deux mille élèves fréquentent les collèges et lycées de la ville. Quant à la vie associative, elle aussi très active, constitue un terreau de deux cents associations.
À la racine du projet, une rencontre fructueuse
En 2010, le Crédit Foncier et le RAMEAU réalisent l’étude ARPEA-Collectivités territoriales de l’Observatoire des partenariats dont les résultats montrent que les élus se questionnent sur leur rôle pour favoriser de nouvelles alliances entre associations et entreprises autour d’enjeux locaux. Puisque le premier a son siège social sur Charenton et le second sur Saint-Maurice, ils ont l’idée de proposer à la Communauté de Communes où ils sont implantés une expérimentation innovante : un dialogue territorial d’un nouveau genre.
Les deux élus qu’ils rencontrent, Hervé Gicquel (devenu maire de Charenton depuis) et Patrick Segalat, sont partants pour tenter l’aventure. À l’époque, la co-construction n’est pas à l’ordre du jour, et il leur faudra beaucoup de persuasion pour convaincre leurs « pairs » ; mais ils obtiendront le « pari de la confiance ». Sous leur impulsion, la directrice de l’économie et de l’emploi, Frédérique Marquet, prendra le pilotage de l’expérimentation, avec l’implication forte du président du club Gravelle Entreprendre, Philippe Jouanny. C’est l’alchimie entre ces talents qui donnera l’étincelle nécessaire pour lancer une démarche de co-construction territoriale. Il faudra dix-huit mois pour mobiliser les énergies nécessaires et réunir les conditions pour passer à l’action.
« Agir ensemble sur le territoire » : un développement en quatre étapes
— 2012 : La mobilisation collective. À l’invitation des deux communes et du comité de pilotage, ce sont cent quarante associations et entreprises qui répondent présentes. Partager les enjeux communs et favoriser l’engagement local suscitent l’intérêt puis l’adhésion. Quarante-cinq décident d’aller plus loin et de structurer ensemble un plan d’actions territoriales autour de trois thèmes : l’insertion des jeunes, la lutte contre la pauvreté et le handicap. Des entreprises extérieures viennent témoigner de leurs interventions remarquables sur chacun de ces thèmes. Un duo entreprise-association pilote chaque groupe de travail : quarante-cinq personnes s’y engagent. Pour les associations, ces thèmes rejoignent leur cœur de métier et leur ouverture aux partenariats avec des entreprises.
— 2012 – 2013 : Le cheminement collectif. Chaque groupe de travail, co-piloté par une association et une entreprise, co-construit des propositions. Là, les premiers enseignements se capitalisent : certains projets ne trouvent pas d’issue, car ils nécessitent une ingénierie trop lourde, d’autres disparaissent en raison de déménagements de personnes engagées … mais ceux qui perdurent sont ceux où l’envie d’agir ensemble et la convergence des talents sont les plus forts. Au-delà des besoins, l’envie est donc une clé essentielle de la co-construction entre acteurs riches de leurs différences. Sur les sept actions issues de la démarche, l’une d’entre elles suscite plus que les autres cette motivation collective : l’avenir des jeunes du territoire.
— 2014 – 2015 : Le choix collectif se transforme en action. Le programme « Quand élèves et entreprises se rencontrent » se structure autour du triptyque : lycée Robert Schuman, Club Gravelle Entreprendre et service économique et emploi de la Communauté de communes. Les énergies se multiplient et chacun accepte de faire un pas vers l’autre : les chefs d’entreprises vont témoigner auprès des jeunes dans leur classe, les jeunes partent à la rencontre de la diversité des entreprises locales … et les enseignants acceptent d’aller se former aux nouvelles technologies de recrutement pour mieux accompagner leurs élèves. Les deux cents cinquante élèves de seconde des classes générales, technologiques et professionnelles sont naturellement au cœur du dispositif. Le programme n’est pas fait pour eux, mais avec eux. En 2016, l’évaluation réalisée par la Fondation Accenture soulignera la pertinence de cette innovation territoriale … et l’importance de la dynamique « Agir ensemble sur le territoire » pour la faire émerger.
— 2016 – 2018 : Le déploiement du programme « Quand Elèves et Entreprises se rencontrent ». S’inscrivant dans le cadre de l’accompagnement personnalisé, c’est plus de 850 jeunes qui bénéficieront de ce programme qui permet tout à la fois de se questionner sur leur avenir professionnel et de découvrir le monde du travail. Malgré les changements de proviseur et de président du club Gravelle Entreprendre, le programme est sanctuarisé, preuve qu’il a su dépasser l’engagement personnel initial pour s’inscrire dans un véritable projet de territoire, pour et par les jeunes, mobilisant les forces vives locales.
Les fruits : la pollinisation du territoire Paris Est Marne & Bois
Cette dynamique remarquable a contribué à la (re)connaissance de la commune de Charenton comme « territoire de confiance »3
. Plus encore, le dispositif innovant a suscité l’intérêt à la fois de l’inspection académique de Créteil et de l’intercommunalité de Paris Est Marne & Bois, le territoire où Charenton est implantée aux côtés de douze autres communes, dont Saint-Maurice, aussi à l’origine de cette initiative.
Après dix-huit mois de préparation, la démarche Vitawin a été lancée le 28 novembre 2019. Il s’agit d’une méthode innovante d’animation du territoire pour rapprocher établissements, élèves, entreprises et associations. Inspirée de l’expérience de Charenton, il ne s’agit naturellement pas d’un copier-coller, mais d’une nouvelle capacité à mobiliser les acteurs … et les envies du territoire. Plus d’une centaine d’acteurs étaient présents : associations, entreprises locales et filiales de grands groupes, élèves du lycée de Champigny, établissements scolaires, institutions locales comme le Medef, la CCI ainsi que les représentants des treize villes du territoire.
Un temps de co-construction entre les participants a permis d’identifier les trois priorités de travail pour 2020 : « Se connaître », « Développer des actions/projets communs » et « Accompagner les acteurs ».
Un nouvel arbre est planté, souhaitons qu’il soit aussi productif que la dynamique « Agir ensemble à Charenton », et qu’à son tour il puisse polliniser autour de lui. Rendez-vous dans dix ans pour en mesurer l’impact !
D’ici-là, poursuivons notre observation attentive de ces projets collectifs qui font la force de nos territoires.
- 1Le RAMEAU, référentiel sur la co-construction territoriale, novembre 2016.
- 2Cette intercommunalité, créée le 1er janvier 2016 dans le cadre de la Métropole du Grand Paris, regroupe 510 000 habitants et 13 communes : Champigny-sur-Marne, Charenton-le-Pont, Fontenay-sous-Bois, Joinville-le-Pont, Le Perreux-sur-Marne, Maisons-Alfort, Nogent-sur-Marne, Saint-Mandé, Saint-Maur des Fossés, Saint-Maurice, Villiers-sur-Marne et Vincennes.
- 3Fondation pour la co-construction du bien commun, « L’alchimie du bien commun », éditions le RAMEAU, octobre 2018.