L’actualité révèle que les interrogations les plus fondamentales sont à prendre en considération avec encore plus d’urgence. Loin d’une période d’ajustements marginaux, s’ouvre, en réalité, une ère de changements radicaux de notre mode de vie individuel et collectif. Notre modèle de développement est actuellement fondé sur l’anticipation d’une croissance illimitée des richesses disponibles. C’est d’ailleurs ce mécanisme qui nous conduit à vivre avec un niveau d’endettement privé et public toujours plus important. Or, il n’est pas imaginable que cela perdure dans une perspective de globalisation étendue et un prélèvement sur les richesses naturelles de notre planète tout simplement intenable.
Nous sommes à la veille d’une transformation radicale. Sur un temps très court, il va nous falloir apprendre chacun et tous ensemble à vivre et à nous développer autrement. Or, changer la société et de société ne peut se faire sans celle-ci et sans les forces qui la constituent.
Dès lors, nous pouvons légitimement nous inquiéter de cet appel au retour de l’État. On sent bien que derrière cette revendication, c’est la volonté de substituer aux marchés une autre forme de répartition des richesses et de réponses aux besoins économiques et sociaux. Si nous pouvons légitimement ouvrir ce débat, il ne faudrait pas revenir aux formes les plus éculées de l’étatisme. L’enjeu est davantage à un retour du politique, i.e. de la décision publique dans le sens de l’intérêt général, et non à une substitution au marché par une prise en charge gestionnaire. Il nous faut donc œuvrer au renforcement des capacités d’intervention du politique et donc des citoyens.
Accompagner et gérer une telle mutation sociale appelle à la mobilisation des individus, de leur intelligence et de leurs valeurs. Soyons convaincus qu’ils sont les premiers porteurs, et peut-être les seuls, de la compétence d’impulser les transformations que la situation nécessite. C’est donc la première richesse à valoriser. Mais, le problème réside dans les conditions à mettre en œuvre pour mettre en mouvement collectivement cette richesse des individus. Les modèles classiques de mise en relation sont largement dépassés. Fondés sur la seule délégation (à l’État, aux organisations collectives, aux associations…), ces mécanismes sont appauvris. En effet, dès qu’existe une délégation de la capacité organisatrice individuelle, nous pouvons constater que le contenu de cette énergie, sa créativité, sa capacité d’innovation et la mobilisation de ce que chacun a de particulier sont amoindries, voire stérilisées.
Le paradoxe est qu’alors que l’on n’a jamais eu autant besoin de la richesse des hommes et qu’elle n’a peut-être jamais été aussi importante, les modes de sa mobilisation sont de moins en moins pertinents par rapport à ce que sont devenus les individus. C’est un défi considérable lancé à l’institution démocratique, mais aussi aux associations. En effet, ces dernières se sont largement construites sur ce même principe délégataire.
Il nous faut impérativement poser ce défi pour le mouvement associatif et proposer un nouveau modèle capable de valoriser l’apport de chacun et de s’appuyer sur une autre conception de l’individualisme. Il ne s’agit pas uniquement d’un enjeu intellectuel mais aussi existentiel pour faire face à la crise et à ses conséquences.
(Synthèse d’une intervention orale réalisée par la Fonda.)