Engagement

« Tout ça, c’est déjà s’engager ! »

Tribune Fonda N°262 - L’engagement sous les radars - Juin 2024
Fédération des Centres sociaux et socioculturels de France (FCSF)
Et Réseau national des centres de ressources politique de la ville (RNCRPV)
En 2022, 230 personnes ont participé à la démarche « Paroles d’habitant·es de quartiers populaires » lancée il y a plus de dix ans par la Fédération des Centres sociaux et socioculturels de France (FCSF) et le Réseau national des centres de ressources politique de la ville (RNCRPV). Elles et ils se sont retrouvés dans le centre social de leur quartier pour échanger sur leurs enjeux communs, mais aussi sur leurs engagements et leurs mobilisations pour y répondre. Cet article, extrait du 6e rapport « Engagé·es - Paroles d’habitant·es de quartiers populaires » revient sur les engagements de proximité de ces habitants et habitantes de quartiers populaires.
« Tout ça, c’est déjà s’engager ! »
Échanges lors de la parution du rapport Paroles d’habitant·es des quartiers populaires au centre social Rosiers Chantepie à Sarcelles © Fédération des Centres sociaux et socioculturels de France (FCSF)

Le rapport national Engagé·es - Paroles d’habitants et habitantes de quartiers populaires 

Cet article est extrait du 6e rapport national « Engagé·es » Depuis plus de dix ans, ces rapports bisannuels sont rédigés à partir d’une démarche de consultation des habitants et habitantes des quartiers populaires et de construction d’une parole col- lective basée sur leurs vécus.

UNE POLITIQUE HORS DES LIEUX INSTITUÉS 

Les modalités d’engagement évoluent, dans l’ensemble du territoire et particulièrement dans les quartiers populaires. 

Les nouvelles générations amènent un souffle nouveau dans leurs mobilisations : moins encadrées par des organisations collectives préexistantes, que ce soient des partis politiques, des syndicats ou des associations, elles ne sont pas pour autant moins politiques. Comme l’indique le sociologue Jacques Ion, « le politique tend à se développer ailleurs que dans les lieux institués comme tels1  ». 

Les engagements contemporains vont de pair avec la soif de spontanéité, de convivialité et
de solidarité.

Au contraire, les engagements contemporains vont de pair avec la soif de spontanéité, de convivialité et de solidarité. Ils visent des résultats ici et maintenant. 

Ils articulent le fond et la forme : la visée de transformation sociale est bien présente, mais elle se concrétise au présent et s’inscrit dans les pratiques quotidiennes, plutôt que d’être reléguée à des discours pour des lendemains meilleurs. 

DES ENGAGEMENTS SPONTANÉS 

Quand ils et elles parlent de leurs engagements, les habitants et habitantes de quartiers populaires évoquent des actions moins visibles, mais finalement très présentes. Leur vient à l’esprit, pêle-mêle, le fait d’aider ses voisines à porter leurs courses, de venir faire à manger au centre social, de monter un projet entre jeunes pour disposer d’un lieu, de signer une pétition pour régler des problèmes de voirie et de stationnement… 

Plus spontanées, parfois plus éphémères, ces actions ne sont parfois même pas définies comme des « engagements » par celles et ceux qui les effectuent. Marie-Antoinette, résidente du quartier de la porte de Montmartre, dans le 18e arrondissement de Paris, prend ainsi soin de préciser que « non, non, moi je ne suis pas engagée. 

Je ne me suis jamais engagée dans quoi que ce soit ». Cela provoque un court silence dans la salle du centre social de la Maison Bleue, qui laisse place à un grand éclat de rire de sa voisine : « Ça me fait rire parce que tu es très disponible. À chaque fois qu’il y a des actions, tu es là, tu donnes un coup de main, même si on te le demande le jour même ! ». 

UN ENGAGEMENT IMPENSÉ 

Comme Marie-Antoinette, nombreux et nombreuses sont celles et ceux qui ne se sentent pas réellement concernés par la thématique de l’engagement. 

Ces hésitations montrent qu’on ne sait pas bien définir ces enjeux : qu’est-ce que s’engager, qu’est-ce que se mobiliser ? Lors des rencontres locales, la question « c’est quoi, pour vous, l’engagement, la mobilisation ? » est régulièrement posée, et les réponses donnent des indications sur les perceptions de l’engagement par les habitants et les habitantes. 

Certaines définitions renvoient aux formes plus connues et médiatiques de mobilisation comme les grèves. À Pau, on s’en amuse : — « Tu sais, la mobilisation, c’est les gens qui vont dans la rue, et ils disent tout le temps “Non non non !” (rires) 

— Ah, et donc c’est comme la grève alors ? 

— Ce n’est pas que ça. La mobilisation, c’est la grève, ou c’est la fête, c’est se réunir pour quelque chose ». 

Les participants et les participantes observent que l’on peut aussi s’« engager » pour une association ou pour un collectif, en devenant bénévole, délégué de parents d’élèves, représentant d’une association de locataires… On n’est alors pas forcément sur un registre de revendication, mais on est quand même engagé. 

L’INDIVIDU ET LE COLLECTIF 

Enfin, tout un pan des engagements, que l’on définirait comme plus « individuels », est évoqué lors des rencontres organisées dans les 19 centres sociaux participant à la démarche « Paroles d’habitant·es de quartiers populaires ». 

À Allonnes, c’est même la première réponse qui sort. Peu de temps avant la rencontre dans le centre social, une maladie a touché une figure du quartier, habituellement toujours présente dans ce type de réunions. 

Alors, quand on leur demande « Qu’est-ce que vous, vous avez fait, à un moment donné, en termes d’engagement », ses amies parlent de leur soutien : « Pour son cancer, on a été très proches de Rosa », « Oui, on a été beaucoup, très proches d’elle, on l’a vue tous les jours, on lui donnait de nos nouvelles et on se donnait des nouvelles les unes, les autres ». 

À Avon, une habitante, bénévole du centre social, résume cette myriade d’engagements possibles : « Que tu sois parent d’élève, que tu t’engages pour animer des jeux à l’école, dans ton bénévolat, dans telle ou telle activité, tout ça, c’est déjà s’engager ! ».

 L’animatrice du centre social de la Maison Bleue, à Paris, résume cette idée des engagements multiples : « Certains engagements peuvent paraître anodins, mais c’est déjà une première façon de mettre la main à la pâte ». 

Pour beaucoup, la personne « engagée » est une figure, le plus souvent publique, dévouée à la cause et tournée vers l’intérêt général : une personne qui préside une association, une amicale de locataires ou un collectif sur le quartier… 

Comme l’explique cette même animatrice, « les gens ne voient pas nécessairement la solidarité quotidienne comme une forme d’engagement en soi ». Un certain nombre de personnes présentes lors des rencontres se mobilisent plus discrètement, à leur échelle. Elles donnent de leur temps pour leurs voisines et leurs voisins et plus généralement pour leur quartier. 

REPENSER L’ENGAGEMENT 

Ces types d’engagement amènent les organisations qui les accompagnent à évoluer, à sortir de l’idée de « parcours d’engagement » à long terme, qui irait de l’activité à l’engagement bénévole, puis de l’engagement bénévole à la prise de responsabilité dans un collectif. Les engagements sont fluctuants et solidement ancrés dans les parcours de vie individuels. 

Prendre conscience de ces manières de se mobiliser nous amène à casser nos manières de penser l’engagement et la démocratie. La « convivialité » ne s’oppose pas nécessairement à la « lutte », la quête de spontanéité ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’organisation. 

Enfin, vouloir agir ici et maintenant ne signifie pas que l’on ne dispose pas d’une visée de transformation plus profonde. Les habitants et habitantes ne veulent plus seulement « rêver » des lendemains meilleurs, mais trouver des solutions ensemble.

  • 1Jacques Ion, S’engager dans une société d’individus, Armand Colin, 2012.
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