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Quelle performance au service de l’intérêt général ?

Jean-Pierre Duport
Jean-Pierre Duport
Et Jean-Louis Bancel
Avec le Programme Investissements d’Avenir, 100 millions d’euros sont destinés à soutenir l’Economie Sociale. Accueillis par Augustin de Romanet, deux intervenants prestigieux, Jean-Louis Bancel, président du Crédit Coopératif et Jean-Pierre Duport, ancien Préfet de la Région Ile de France et vice-président de la Fonda, nous ont fait part de leur expérience pour nous aider à répondre à certaines de nos interrogations : comment apprécier l’utilité sociale des organisations, quelle performance au service de l’Intérêt général ?
Quelle performance au service de l’intérêt général ?

Quelle performance au service de l’intérêt général ?

*Compte-rendu du petit-déjeuner débat organisé

à la Caisse des Dépôts le 7 janvier 2011*

Augustin de Romanet remercie les participants d’assister au petit-déjeuner débat organisé par la Direction du Développement Territorial et la Direction de l’Economie Sociale, dirigées par Philippe Braidy et Jean-Marc Maury.

Il signale qu’avec l’emprunt des Investissements d’Avenir, 100 millions d’euros sont destinés à soutenir l’Economie Sociale. Deux intervenants prestigieux vont nous faire part de leur expérience pour nous aider à utiliser au mieux cet argent, et à répondre à certaines de nos interrogations : comment apprécier l’utilité sociale, quelle performance au service de l’Intérêt général ?

Jean-Pierre Duport, qui a été Préfet de la Région Ile-de-France, est notamment vice-président de la Fonda. Il propose quelques remarques préalables.

En France, nous n’avons pas de culture de l’évaluation, mais une culture de contrôle des comptes, une culture de l’audit. Pourtant, le monde associatif est tout à fait prêt à ce travail d’évaluation, puisque la nécessité de rechercher des financements le soumet en permanence à une évaluation de l’ensemble des financeurs. Comme souligné dans les travaux de la Fonda, le monde associatif doit être tout à fait exemplaire, qu’il s’agisse des associations de terrains ou des organisations fédératives. Du reste, il est important de rappeler que ces structures fédératives, unions et coordinations sont tout à fait indispensables et utiles, et pas uniquement « budgétivores ».

Le monde associatif est inquiet des évolutions auxquelles il est confronté :

  • le Titre IV de la programmation budgétaire est le plus sensible, tant on sait que les crédits d’investissement et les Fonjep en particulier sont en réduction très sensible dans le prochain budget ;
  • la réforme des collectivités territoriales, avec la suppression de la clause de compétence générale, se traduira par une réduction de la participation de l’état au financement des actions des associations ;
  • par ailleurs, la multiplicité des financements est une source d’indépendance et de créativité pour le monde associatif. Le financement unique représente un risque d’instrumentalisation, les conditions d’appréciation de la performance ;
  • le droit communautaire, et en particulier les directives européennes sur le droit de la concurrence, sont préoccupantes pour le monde associatif : nous avons la crainte que l’initiative perde de son dynamisme, mais aussi que d’autres « retirent les marrons du feu ».

Pour Jean-Louis Bancel, président du Crédit Coopératif, le Programme d’Investissement d’Avenir met les organisations de l’Economie Sociale et Solidaire au défi de traduire en actes leur slogan : une économie qui sait où elle va. Pour démontrer qu’elles apportent une contribution décisive à l’intérêt général, elles doivent dire clairement leurs objectifs, dire où elles vont et se donner les moyens d’y aller. Cinq conditions sont ainsi nécessaires au-delà de la clarté du projet : la rigueur intellectuelle dans la définition de ce dernier comme dans son opérationnalisation, la rigueur dans le mode de gouvernance fondé sur des outils coopératifs, l’accompagnement nécessaire notamment pour les petites structures, la qualité du croisement des regards entre celui des différents niveaux d’expertise, enfin la rigueur de l’évaluation : associations comme mutuelles ou coopératives doivent rendre des comptes. A qui ? A leur base bien entendu mais sur le fondement d’une évaluation ouverte qui ne soit pas uniquement quantitative et financière.

Pour Augustin de Romanet, il est essentiel que tous les acteurs soient « humbles » dans leur conception de la construction de l’intérêt général : l’intérêt général n’est pas la propriété de quiconque, il est le fruit d’une construction qui emprunte de multiples canaux dont celui de l’Economie sociale et solidaire, il est le résultat de confrontations entre les différents acteurs : « il est important de se frotter la cervelle à autrui ! ». Quant à l’évaluation, il faut pouvoir évaluer les coûts évités, citant par exemple ce que pourrait rapporter un combat contre l’illettrisme, à la croissance comme à la réduction de la dépense publique, et d’en appeler à des travaux inspirés de l’économiste française, Esther Duflo. Cette démarche nécessite donc beaucoup de travaux intellectuels et de la professionnalisation. La prise en compte du long terme qu’elle permet est par ailleurs étroitement liée à la remise en cause permanente provoquée par des structures de décision adaptées, citant ainsi le rôle très déterminant du Conseil de surveillance de la Caisse des Dépôts dans la gestion de la Caisse.

Le débat fait apparaître quelques dominantes :

  • La première a trait à l’attitude de l’Etat : alors même que l’épargne salariale pour des investissements solidaires vient de connaître une progression spectaculaire (atteignant en 2010 le niveau de la somme allouée par le Grand Emprunt à l’ESS soit 100 millions d’euros grâce à la mobilisation des RH et des organisations syndicales dans les entreprises), il ne faudrait pas que soient mises en péril les lignes budgétaires existantes aujourd’hui pour l’ESS même si beaucoup de rigueur doit être apportée à la gestion de ces crédits face à une demande croissante.
  • La seconde concerne tout financeur public : dans toute subvention, le financeur devrait admettre qu’une certaine contribution soit réservée, en amont des dépenses de fonctionnement, à l’innovation sociale (pour que de nouveaux projets apparaissent) et pour l’aval à l’évaluation. Ne dit-on pas que les grandes entreprises affectent de 2 à 5% de leurs chiffres d’affaires aux différentes formes de contrôle de gestion !
  • La culture de l’évaluation peine à s’inscrire dans le paysage français mais des progrès sont constatés. Le monde associatif y est prêt dans la mesure où il en a les moyens et peut participer à la définition des critères d’évaluation qui ne soient pas uniquement juridiques ou financiers mais intègrent les effets indirects ou durables de son action. En fait il convient de disposer de différent outils d’évaluation pour se sortir du dilemme contrôle à court terme (contrôle de gestion) et contrôle à long terme (de type Cour des Comptes). Même si les associations doivent se donner une culture d’évaluation interne, d’autres formes d’évaluation doivent être mobilisées : interne/externe ; concomitante ; ex-post voire ex ante mobilisant des critères dans toute la mesure du possible co-construits donc susceptibles d’être intégrés dans la conduite quotidienne.

Relevé des propositions lors du petit-déjeuner débat du 7 janvier 2011 :

Par rapport au PIA :

Face à la manne fléchée sur l’ESS : veiller à la bonne affectation de l’emploi des collectes réalisées au nom de l’IG (produits d’épargne salariale / finances solidaires, PIA).

Par ailleurs, un regret a été exprimé : pas de crédit d’ingénierie prévu dans PIA, pour favoriser l’émergence de projets, l’innovation sociale.

Sur l’évaluation à proprement parler :

Remarque préalable : faire preuve d’humilité quant à la notion d’Intérêt Général, qui n’est la propriété de personne en particulier ; se soumettre à une évaluation, c’est aussi admettre de se remettre en question.

Bien énoncer le Projet : dire où on va, pour être en capacité de mesurer où on est allé.

Se doter d’une gouvernance qui garantit la fidélité au Projet. Les associations, coopératives et mutuelles, comme la Caisse des Dépôts sont dotées d’instances dont c’est le rôle.

Rendre des comptes devant ces instances, et pas seulement aux bailleurs de fonds ou aux exécutifs : dans le cas des associations et des coopératives, l’assemblée générale et les sociétaires ; dans le cas de la Caisse, la Commission de Surveillance qui est composée de députés, de conseillers d’Etat et de membres de la Cour des Comptes >> appliquer le principe de « check and balance ».

Intégrer des critères extra-financiers, sortir de la logique comptable pour mettre en valeur les externalités, et les coûts évités grâce à l’action des associations. Ex : lutte contre l’illettrisme qui coûterait beaucoup moins cher que les actions de réparation.

Tenir compte du fait que les structure de l’ESS, et en particulier les associations souscrivent pleinement aux principes de l’évaluation, mais que ceci implique des moyens (du temps, des compétences, …) qui ont un coût : si l’évaluation devient une exigence des bailleurs de fonds, les financements doivent les couvrir >> intégrer le financement de l’évaluation au financement global des projets.

Bien distinguer « jugement » de l’évaluation, qui doit apparaitre comme une opportunité de progresser plus que comme une contrainte. Recenser les différentes pratiques, identifier les bonnes, les mettre en valeur, en s’appuyant sur des exemples intéressants comme la convention cadre UNAHJ/CDC/Etat, ou NACRE.

Construire les dispositifs d’évaluation de manière collective, en l’ancrant dans un territoire (impliquer les régions dans l’évaluation des politiques de développement économique et d’innovation sociale sur un territoire). Choisir parmi ces bonnes pratiques celle la plus adaptée, en tenant compte de la taille des structures, de leur projet et de leurs moyens : la normalisation des critères et indicateurs n’est pas forcément souhaitable.

Donner accès à différents types d’évaluation

  • Evaluation externe : évaluation dite sytématique et scientifique, faite par des organisations extérieures. Appliquant une méthode, du type de celle développée par Esther Duflo, qui présente une rigueur scientifique.
  • Evaluation interne, ou intégrée, tout le long du process, par l’ensemble des parties-prenantes, en cultivant le couple évaluation/accompagnement.
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