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Plus radicaux les écolos ?

Tribune Fonda N°250 - Écologie et société : nos communs - Juin 2021
Anna Maheu
Anna Maheu
En 2019, l’environnement est devenu, pour la première fois, la préoccupation majeure des Français. Dans une écologie devenue consensuelle, la question de la radicalité se pose avec acuité tant dans la désignation de la racine de la catastrophe écologique que dans les modes de luttes adaptés. Au point d’interroger la pertinence d’une transition écologique, pour lui préférer l’urgence des mots et la désobéissance dans les actes.
Plus radicaux  les écolos ?
Affiche créée pour l'action de dégradation d'espaces publicitaires de la Ronce avec Extinction Rébellion Nantes © La Ronce

L’occupation de l’école AgroParisTech dans les Yvelines aura duré trois semaines. Les étudiants de cette école d’agronomie militent contre l’artificialisation des sols et la destruction de la biodiversité présente sur ce domaine. Une lutte radicale, dont les moyens d’action sont inspirés des Zones à défendre (ZAD) : assemblées générales quotidiennes, restauration collective autogérée et université populaire pour pallier la grève des cours.  
 
Du latin radix, la racine, la radicalité se caractérise par un double mouvement : remonter à la racine des problèmes et enraciner la lutte par des moyens renforcés1 .

S’attaquer à la racine en écologie commence souvent par rechercher un, ou des, responsable(s) du désastre.

Ou, comme présenté par le collectif Désobéissance Écolo Paris, par répondre à l’épineuse question de « qui a allumé ce gigantesque feu qui fait fondre les glaces, carbonise les forêts, provoque canicules et sécheresses aux quatre coins du globe ? »2
 

Pour ce jeune collectif écologiste, il ne s’agit ni des idéologies du consumérisme ou de l’individualisme, ni d’un grand sujet de l’histoire comme la technique ou la civilisation, mais du capitalisme.

Rechercher l’origine du brasier peut aussi amener au croisement de divers mouvements sociaux. Pour Naomi Klein, journaliste canadienne, « le mouvement [écologiste] actuel est bien plus radical, au sens littéral, car il veut s’attaquer à la racine de crises multiples qui se recoupent : racisme, changement climatique, injustice économique »4 .

On a pu ainsi entendre lors des marches pour le climat des slogans comme « L’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage », « Génération Adama, Génération Climat #OnVeutRespirer », ou encore « Ni les femmes ni la Terre ne sont des territoires de conquête ».

La radicalité imprègne également des moyens d’action comme les occupations ou les grèves pour le climat. Greta Thunberg effectuera début juin son 146e vendredi hors des murs de son école. En octobre dernier, c’étaient les activistes d’Extinction Rébellion Bordeaux qui dégonflaient les pneus de 220 SUV dans les quartiers les plus aisés de Bordeaux.

Le collectif La Ronce lance quant à lui des dégradations décentralisées et simultanées contre des entreprises. L’un de leurs derniers faits d’armes : le vol des bouchons des paquets de sucre Daddy ou Béghin Say pour dénoncer la réautorisation des pesticides néonicotinoïdes. Le collectif revendiquait en 2020 près de 35 000 bouchons enlevés, soit autant de paquets de sucre dégradés.

La radicalité opère donc une rupture à la fois avec le système idéologique dominant et avec l’expression institutionnelle prévue pour le contester comme le vote ou la manifestation.

À la croisée d’une radicalité sémantique et d'une radicalité dans les moyens d’action, le refus d’une transition écologique se dessine. Selon ce collectif, le terme est galvaudé alors que même des entreprises qui investissent massivement dans les énergies fossiles disent s’inscrire dans une transition énergétique. Désobéissance Écolo Paris publie en ce sens un ouvrage au titre évocateur en juin 2020, Écologie sans transition, empreint de méfiance tant à l’égard des entreprises que des gouvernements qui disent vouloir mettre en place des politiques de transition écologique.

Un scepticisme qui semble se propager. Parmi les 250 000 répondants de l’enquête «  Il est temps » en France et en Allemagne, 63 % des Français affirment que leur gouvernement n’en fait pas assez sur les questions d’écologie et 39 % que leur gouvernement ne fait tout simplement rien5 . Selon la même étude, 39 % des répondants français pensent que désobéir aux lois pour protéger l’environnement est nécessaire, 34 % acceptable et, pour 12 % d’entre eux, c’est inévitable.

Toutes les classes d’âges seraient représentées dans cet attrait pour la désobéissance, dans une « logique sociale de désillusion collective », comme la qualifie Luc Semal.

Selon le politologue, deux générations écologistes s’allient avec « d’une part, la génération pionnière de l’écologie politique qui arrive en fin de carrière militante en dressant un bilan à l’arrière-goût d’échec et, d’autre part, une génération primomilitante qui se politise en acquérant la certitude qu’adviendront de son vivant de grandes ruptures écologiques »6 .

Naomi Klein abonde : « [les jeunes] sont déjà radicalisés par le fait de grandir dans un monde en crise »7 .

Selon l’enquête «  Il est temps  », plus de la moitié des Français déclarent en effet que leur avenir sera plutôt pire que celui de leurs parents. 

Les moments de crise sont propices à la naissance de pensées radicales. Alors que s’effrite la confiance en les États et les entreprises pour prendre les décisions nécessaires pour limiter la catastrophe écologique, la radicalité exerce un intérêt croissant. Alors que radicalité se conjugue souvent avec marginalité, comment cette lutte écologiste peut-elle proposer des horizons collectifs ?

  • 1 Philippe Vion-Dury, Editorial Socialter n° 35 «Êtes- vous assez radical», juin 2019.
  • 2 Désobéissance Écolo Paris, Écologie sans transition, Éditions Divergences, 2020, p.63.
  • 4François Armanet, « Naomi Klein : Je conçois toujours mes livres comme des munitions pour les activistes », L'Obs n° 2946, du 15 avril au 21 avril 2021, p.30.
  • 5Quantité Critique, « Il est temps de faire une première analyse », décembre 2020.
  • 6Luc Semal, Face à l’effondrement. Militer à l’ombre des catastrophes, PUF, 2019, p.220.
  • 7François Armanet, op. cit., p.30.
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