Vanessa Diamond répond aux questions de Stéphanie Andrieux
Comment est né HandsOn Greater Richmond (HandsOn RVA) ?
Vanessa Diamond : Dans les années 2000, j’ai quitté Portland dans l’Oregon pour m’installer à Richmond en Virginie, après avoir effectué un programme Americorps1 .
Je préparais alors un master en administration publique et gestion d’ONG tout en travaillant à l’université locale, la Virginia Commonwealth University.
J’essayais de faire du bénévolat sur mon temps libre, c’était une habitude que j’avais prise à Portland. Mais à Richmond je peinais à trouver des missions de bénévolat, même pour le MLK Day2 qui est notre plus grande journée de solidarité aux États-Unis.
J’en ai discuté avec deux proches, Kristen Kaplan et Elaine Summerfield, et nous avons décidé de nous saisir de ce problème.
En plus d’une réelle amitié, nous avions des talents et des expériences complémentaires. J’avais travaillé pour des associations, Elaine pour des fondations et Kristen connaissait la gestion d’ONG.
Entre 2006 et 2007, nous avons lancé ce qui s’appelait alors Activate Richmond. Nous nous sommes inspirées de ce que nous avions pu voir dans d’autres villes: HandsOn Portland, HandsOn Atlanta, Boston Cares, etc. Ces centres de bénévolat concentraient sur un calendrier des velléités de bénévolat et des missions à réaliser dans la journée. Nous avons simplement reproduit ce modèle de mise en relation.
C’en était presque amusant : celles et ceux à qui nous présentions notre nouvelle organisation en Virginie pensaient que nous avions eu une idée géniale.
Nous n’avions pourtant rien inventé, nous avions juste tiré des enseignements de ce que d’autres communautés avaient essayé.
Nous avons par ailleurs bénéficié de l’aide précieuse du réseau Points of Light3 . Ces structures avec une mission proche de la nôtre nous ont montré comment elles établissaient leurs budgets et leurs modèles de programmes. Certaines nous ont même confié leurs fichiers pour que nous nous en inspirions.
Quels ont été vos premiers jalons pour mettre en œuvre ce modèle ?
Après avoir recensé les besoins des associations et les envies des citoyens, nous avons élaboré un programme de responsables bénévoles. Ces responsables montaient en compétence pour pouvoir proposer de nouvelles missions de bénévolat au sein de leur communauté.
En un clin d’œil, nous avions un site Internet et une base de données. Kristen, Elaine et moi-même travaillions à temps plein et nous payions alors notre facture d’hébergement Internet avec les 200 dollars que nous avions récoltés avec une soirée barbecue.
Nous sommes passées à l’étape suivante grâce à Points of Light, qui s’appelait à l’époque HandsOn Network. Une entreprise de la région l’avait contacté pour soutenir des actions à l’échelle locale. Ce financement et l’affiliation au réseau nous ont permis de changer d’échelle.
En quelques années, nous avons porté de plus grands événements avec des milliers de participants. Entre 10 et 15 000 bénévoles utilisaient HandsOn RVA chaque année alors que Richmond est une petite ville de 250 000 habitants.
Plus HandsOn RVA a pris de l’ampleur, plus notre action s’est complexifiée. Aujourd’hui, nous travaillons avec des entreprises et des universités, nous faisons monter en compétence des organisations à but non lucratif et nous organisons également des programmes de leadership.
Pourquoi avoir lancé ce type de programmes ?
Les personnes qui se mobilisent pour notre territoire ont besoin de compétences et de connaissances pour y parvenir. Nous avons évolué pour pouvoir leur fournir cette aide, avec toute une série de programmes qui s’inscrivent dans ce cadre.
Ces programmes existent pour les particuliers, mais aussi pour les organisations à but non lucratif, les entreprises, les communautés religieuses et les universités de Richmond. Nous entretenons le lien entre toutes cesentités afin de créer un écosystème plus global, basé sur l’envie de chacun de contribuer localement.
Nous sommes devenus ce que j’appelle un point d’ancrage : nous rassemblons différentes organisations autour d’une question spécifique pour qu’elles travaillent ensemble.
Chacune a de bonnes intentions et tente de produire des effets durables. Plutôt qu’une accumulation de projets, qui mobilisent chacun des ressources, nous avons besoin d’un impact collectif. Quand les efforts de ces structures engagées sont alignés et agrégés, leurs résultats sont démultipliés.
Votre modèle de mise en lien des bénévoles et des organisations a-t-il évolué chemin faisant ?
Lorsque nous avons commencé, nous proposions surtout des missions de bénévolat ponctuelles et de courte durée aux citoyens, selon les disponibilités de chacun.
Nos associations partenaires recherchaient plutôt des engagements de longue durée, et c’est toujours le cas. Néanmoins elles ont vu que notre approche leur permettait de compter sur un groupe de bénévole tous les jeudis, ou tous les troisièmes lundis du mois, peu importe le créneau, pour faire avancer leur mission. Et puis, ces premières expériences ponctuelles mènent aussi à du bénévolat plus régulier.
Nous continuons à proposer ce type de programmes, parce que nous croyons qu’ils répondent à un réel besoin. Nos vies sont bien remplies et chaque citoyen devrait pouvoir s’engager, qu’il dispose d’une heure par semaine ou d’une heure par an. HandsOn RVA crée ce chemin vers le bénévolat pour tous les membres de la communauté qui le souhaitent.
Nous avons aussi développé en parallèle le rôle de point d’ancrage mentionné plus haut. Nous avons lancé par exemple un projet appelé RVA Engage. Cette coalition rassemble les personnes qui mobilisent leurs collègues au sein d’entreprises ou d’universités, et des collectifs informels d’habitants.
Pourquoi accompagner spécifiquement ces personnes qui mobilisent des bénévoles ?
Parce que ces amplificateurs ont besoin d’un espace pour partager leurs pratiques et leurs questionnements : comment faire mieux et plus efficacement ? Quel type de technologie devrions-nous utiliser? Comment agir de façon éthique et juste ? Comment lutter contre les inégalités de pouvoir entre les établissements d’enseignement supérieur, ou les entreprises partenaires, et les communautés locales ? Comment avancer ensemble, sans reproduire les erreurs du passé ?
L’un de nos objectifs est que ces entreprises et ces organisations à but non lucratif créent des initiatives de mobilisation qui répondent aux véritables besoins des premiers concernés.
Nous voulons nous assurer qu’elles écoutent les voix de la communauté et qu’elles ne se contentent pas de se présenter et d’annoncer : « Voici ce que nous allons faire, voici ce que nous allons vous apporter ». Leurs relations doivent être davantage fondées sur l’échange. Bien sûr, cela prendra du temps, car cela nécessite un profond changement culturel et comportemental.
C’est une évolution fondamentale, car ces entités agrègent des dizaines de milliers de personnes, beaucoup plus que les 10 à 15 000 bénévoles mobilisés par HandsOn RVA avec ses mises en relation.
Travailler avec toutes ces entreprises et universités partenaires permet d’amplifier non seulement ce que nous faisons, mais aussi la manière dont nous le faisons : à mes yeux, c’est un changement systémique. Lorsque les bénévoles interrogent l’intention de leur comportement, cela modifie en profondeur leurs relations avec les bénéficiaires ; c’est une évolution à long terme.
Comment construire une telle relation de confiance ?
Prenons un exemple : l’engagement des jeunes. Souvent, nous voulons aider les jeunes, mais nous n’écoutons pas ce qu’ils veulent. Au lieu que des adultes décident ce dont les jeunes ont besoin, demandons-leur directement ! Mes enfants ont 13 et 16 ans et je suis vraiment impressionnée par leur lucidité.
Que doivent faire les jeunes après l’école ? Un adulte extérieur n’est peut-être pas la meilleure personne pour intervenir, les jeunes pourraient eux-mêmes mettre en place des programmes après l’école. Mais pour cela, nous devons d’abord reconnaître tout ce dont ils sont capables.
Souvent, nous considérons de la même façon les communautés défavorisées : les mal-logés, ceux qui parlent une langue maternelle différente ou ont des emplois précaires. Nous les percevons comme des communautés que nous pouvons aider, que ce soit avec notre temps, du bénévolat, ou avec notre argent, des dons. Pourtant ces communautés savent ce dont elles ont besoin, et si elles sont bien accompagnées, elles sont les plus à même de répondre à leurs enjeux et produire un changement durable en leur sein.
Jusqu’ici, nous n’avons pas réussi à changer de paradigme, que ce soit aux États-Unis, ou ailleurs. Parce que c’est difficile ! Cela nécessite du temps pour établir des relations et écouter les positions de chacun. Le gouvernement et le secteur de l’intérêt général doivent aussi contrôler leurs égos.
Nos secteurs doivent cesser de croire qu’ils ont la solution à tout : ils n’ont probablement qu’une partie de la réponse. Chacun a un rôle à jouer.
Nous avons eu un excellent exemple de cette dynamique à Richmond avec une initiative pour l’emploi dans une communauté défavorisée. Des associations ont offert des formations professionnelles et des moyens de transport aux habitants sans emploi. Des propositions classiques pour le secteur de l’intérêt général, pleines de bonnes intentions.
Lorsque les organisations ont finalement interrogé les personnes sur leurs besoins, c’était des gardes d’enfants en raison des horaires décalés. Bien sûr, les salariés des ONG n’y avaient pas pensé. Ils ne travaillent pas de nuit, ils ne vivent pas la situation et surtout ils n’avaient pas demandé aux principaux concernés comment ils souhaitaient être aidés. Être plus inclusif commence par poser des questions et être ouvert aux réponses que nous n’aurions pas pu imaginer.
Avez-vous observé des évolutions de l’engagement civique et de l’intérêt général sous les présidences de Barack Obama, de Donald Trump et maintenant de Joe Biden ?
Je pense que des évolutions s’observent au cours des quatre dernières années, mais pas nécessairement à cause d’un président ou d’un autre. Notre sens du « je » a pris le pas sur notre sens du « nous ».
Le dérèglement climatique, la pandémie, les inégalités raciales, tous contribuent à un environnement politique et un manque de confiance dans les autres et dans les institutions.
De fait, quelque chose a complètement changé dans le ton du bénévolat. Aujourd’hui, les parents souhaitent que leurs enfants s’impliquent dès le plus jeune âge pour qu’ils comprennent ce qui se passe dans le monde et agir. Les écoles, les églises et les entreprises ressentent le même besoin. En particulier après la pandémie, l’engagement au sein de sa communauté semble plus urgent.
Paradoxalement, le nombre d’heures de bénévolat a radicalement diminué aux États-Unis. Tout d’abord, personne ne pouvait s’engager pendant la pandémie parce que nous ne pouvions pas sortir de chez nous. Mais depuis la levée des restrictions sanitaires, le volume d’heures de bénévolat n’est pas remonté.
Il y a plusieurs raisons à cela, notamment le fait que nos concitoyens sont à bout de force. La pandémie que nous avons traversée ces deux dernières années a été une expérience épuisante. Certains ont perdu des proches, d’autres sont tombés malades, et d’autres encore ont subi la crise économique.
Nous sommes tous encore en train de nous en remettre et nous sommes incapables de nous investir pour les autres. Pour beaucoup, nos cercles sociaux se sont réduits comme peau de chagrin et nous sommes toujours en reconstruction.
Aux États-Unis, un second événement a radicalement changé la donne : le meurtre de George Floyd et l’indispensable mobilisation antiraciste qui s’en est suivie. Depuis que je travaille dans ce secteur, les questions raciales sont débattues, y compris le racisme systémique et institutionnel. Mais elles n’étaient pas autant sur le devant de la scène.
La prise de conscience du racisme endémique a conforté l’idée que nous ne pouvons avancer sans les premiers concernés. Il s’agit d’un changement radical pour les secteurs philanthropique et non lucratif aux États-Unis.
Aujourd’hui, le secteur de l’intérêt général se pose des questions difficiles : sur quels sujets devons-nous nous investir, sur lesquels devrions-nous nous désengager et avec qui travailler ? Qui d’autre devrait faire ce travail, peut-être même à notre place ?
Nous ne pouvons pas répondre à ces questions sans que les personnes noires, indigènes et de couleur aient leur mot à dire. Cela signifie que ceux d’entre nous qui sont blancs doivent cesser de prendre toute la place et écouter différemment, comme nous aurions toujours dû le faire. Il est temps de nous poser des questions difficiles sur la façon dont notre secteur doit faire les choses différemment.
- 1AmeriCorps est un programme de service national aux États-Unis. Les jeunes Américains qui le rejoignent consacrent une année à une cause d’intérêt général.
- 2La fête de Martin Luther King, Jr. (MLK Day) est une journée de solidarité nord-américaine en l’honneur de la vie et de l’œuvre de Martin Luther King, Jr. En 1994, le MLK Day est devenu un jour férié fédéral, et il est à ce jour la seule journée nationale de service qui encourage tous les Américains à effectuer des missions de bénévolat au service de leur communauté.
- 3L’actuelle association Points of Light résulte de la fusion en 2007 de deux structures. D’une part, la Fondation Points of Light, non partisane, créée en 1990 par le président de l’époque, George H. W. Bush, pour encourager l’engagement citoyen. D’autre part, HandsOn Network, créé en 1992 par HandsOn Atlanta, New York Cares et Greater DC Cares pour mettre en réseau et soutenir le développement d’organisations similaires dédiées à rendre le bénévolat plus accessible. Points of Light est à ce jour la plus grande organisation d’engagement civique dans le monde : son réseau de 177 membres est présent dans 38 pays.