Enjeux sociétaux

Maraudes médicales dans les sous-sols de la Défense

Tribune Fonda N°244 - Les invisibles de la santé - Décembre 2019
Anne Parisse
Anne Parisse
Et Ordre de Malte France
En plus des maraudes sociales et pédestres dans les rues des grandes villes, les équipes de l’Ordre de Malte organisent des maraudes médicales constituées de bénévoles et de professionnels de santé. L’intention : assurer l’accès aux systèmes de santé des plus vulnérables, là où ils se trouvent. Exemple dans le quartier de la Défense, dans la métropole du Grand Paris.
Maraudes médicales dans les sous-sols de la Défense
© Ordre de Malte France Millerand

Bien que la France soit l’un des pays d’Europe où le taux de pauvreté est le plus bas, celui-ci augmente depuis dix ans. Neuf millions de personnes vivent avec moins de 1026 euros par mois, seuil calculé par l’Observatoire des inégalités1 . Cette augmentation de la pauvreté marque une rupture dans l’histoire sociale de notre pays. Depuis 2013, le recours au numéro d’urgence pour les personnes sans-abri, le 115, est en progression constante. 

La pauvreté s’attaque à des personnes aux profils et trajectoires très différents : personnes âgées, ruraux, citadins, jeunes, mères célibataires, personnes étrangères, familles. En parallèle, le profil des personnes à la rue s’est lui aussi diversifié : la population s’est féminisée, a rajeuni, est maintenant constituée de familles et de travailleurs pauvres et une partie d’entres elles sont vieillissantes. Ces évolutions ne sont pas neutres. La pauvreté exclut bien au-delà des aspects matériels ou monétaires : rupture du lien social, accès aux loisirs, à l’emploi et… à la santé.


Une évidence pas si évidente


De nos jours, en France, l’accès aux services de santé paraît être une évidence. Pourtant, la réalité est bien plus complexe. Isolées, en groupe, dissimulées sous des abris de fortune, les personnes à la rue sont de plus en plus nombreuses et vulnérables, et certaines, même bénéficiaires de la PUMA2 ou de l’AME3 , n’osent pas consulter dans un cabinet médical ou à l’hôpital, de peur d’être stigmatisées mais également en raison de difficultés de compréhension du discours médical ou de la barrière de la langue. D’autres, quant à elles, se voient refuser l’accès chez certains praticiens. La grande exclusion devient alors un véritable problème médical.

Outre les troubles psychologiques ou psychiatriques parfois sévères, causes ou conséquences de la violence d’une telle exclusion, les personnes qui vivent dans la rue font face à de multiples pathologies de santé : affections dermatologiques, respiratoires ou pulmonaires, douleurs articulaires multiples, plaies traumatiques et fractures négligées, ou encore infections virales (hépatite C, sida). Sur le terrain, les maraudeurs constatent chaque jour cette flambée des maladies de la rue, également pointée par Médecins du Monde dans ses rapports successifs4 — tuberculose, bronchites chroniques (une personne sans abri sur dix souffre de maladie respiratoire), affections dermatologiques diverses (dont la gale), troubles digestifs... — toutes causées par la précarité d’une vie sans toit. Des pathologies qui, bien souvent, restent sans soins, ou sans suivi.


Porter le soin là où se cache la souffrance


En 1998, confronté à la dégradation de l’état de santé des personnes rencontrées au cours de la maraude sociale de l'Ordre de Malte France dans les Hauts-de-Seine (92), un médecin bénévole imagine une autre forme de maraude : celle qui irait à la rencontre de ces corps et ces âmes meurtris pour prendre le temps du soin et de l'échange, et maintenir le lien social avec ces personnes fortement désocialisées.

L’Ordre de Malte France a donc mis en place une maraude médicalisée à destination des personnes sans abri. Véritable cabinet médical ambulant, cette structure permet d’aller au-devant des personnes en grande exclusion, éloignées des systèmes de santé. L’approche médicale relève non seulement du diagnostic et de la thérapeutique mais aussi de l’écoute et de l’orientation. La première de ces tournées de « médecine de rue » a eu lieu dans la nuit du 6 au 7 février 1998. Ce soir-là, cinq personnes sans abri sont soignées. 

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Maraude dans les sous-sols de la Défense. © Cyril Marcilhacy / Agence oblique


Sous la Défense, l’exclusion


Fidèle à sa tradition hospitalière, l’Ordre de Malte France considère que la santé se doit d’aller au-devant des personnes les plus démunies, là où elles se trouvent. 

La Défense, premier quartier d’affaires d’Europe, 245 000 m2 de commerces, 180 000 salariés, 70 immeubles… Difficile d’imaginer que, sous la dalle, des personnes sans abri y trouvent refuge ou élisent « domicile » dans les parkings, locaux techniques ou autres recoins et interstices, privées de tout… y compris de la santé. Le nombre exact de ces personnes est impossible à déterminer, le quartier étant parcouru par plus de six kilomètres de tunnels, de rues et contre-allées enterrées, qui assurent la desserte des tours, les livraisons, les déposes taxi…

Sollicité en 2018 par la Croix-Rouge, qui gère le pôle exclusion du SIAO des Hauts-de-Seine et coordonne l’intervention des différents acteurs associatifs à la Défense, l’Ordre de Malte France s’est donc tout naturellement associé à cette démarche « d’aller vers » dans les sous-sols de la Défense en s’appuyant sur un médecin et un chauffeur bénévoles. La première maraude, fin avril 2019, a permis d’aller à la rencontre de huit personnes, dont deux enfants de six et dix ans. Concrètement, sur le terrain, un infirmier de la Croix-Rouge française va au-devant des personnes en grande exclusion et les oriente vers le camion médicalisé de l’Ordre de Malte France où un médecin bénévole prodigue écoute, soins et conseils.


Une réponse collective


En parallèle, un véritable travail pluridisciplinaire a été initié sur l’accompagnement de ces personnes en errance. Une étude, commanditée en 2016 par De Facto (aujourd’hui Paris La Défense, établissement public de gestion du quartier d’affaires de la Défense), a permis de définir les difficultés rencontrées par les équipes de premier accueil. Le comité de pilotage associant l’ensemble des acteurs du territoire5  a mené un diagnostic de la situation mettant en exergue les difficultés réelles pour approcher ces personnes, principalement des hommes isolés, avec des problèmes sanitaires amplifiés par leurs conditions de vie. Les différentes associations et SEPADEF (société gestionnaires des parkings de la Défense) ont donc récemment signé un partenariat, qui permettra d’aboutir à une meilleure connaissance des personnes et à la proposition de solutions adaptées aux besoins spécifiques de chacune.

  • 1Rapport sur la pauvreté en France - Observatoire des inégalités, octobre 2018.
  • 2Protection universelle maladie, ex-CMU de base.
  • 3Aide médicale de l’État.
  • 4 Médecins du Monde – Observatoire de l’accès aux soins.
  • 5Partenaires institutionnels, villes de Nanterre, Courbevoie et Puteaux, exploitant des parkings de la Défense pour le compte de Paris La Défense, la société SEPADEF, différentes associations des Hauts-de-Seine : La Maison de l’amitié, l’ASD, La Croix-Rouge française, le CAARUD, l’Ordre de Malte France.
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