Non sans avoir rappelé quelques fondamentaux, il est intéressant d’illustrer comment le numérique peut soutenir les associations et amplifier leur action… à condition de faire des choix éclairés.
Il n'existe pas un modèle, mais des modèles économiques associatifs. L'association sans salarié, menant son action avec un budget inférieur à 1 000 euros par an est de loin la plus courante (9 associations sur 10 fonctionnent sans salarié ). Comment la comparer à l'association gestionnaire d'établissements à vocation médico-sociale, propriétaire d'un patrimoine immobilier, et employeuse ? Entre les deux, une palette sophistiquée de modèles types existent, comme l'ont montré les travaux du Mouvement associatif, auxquels la Fonda a participé.
Rappels sur les modèles économiques associatifs
Les modèles économiques des associations reposent sur un socle commun : celles-ci agissent dans un but non-lucratif, et si elles dégagent des excédents, doivent les placer en réserve impartageable ou les affecter au projet associatif. C'est au nom du même principe de gestion désintéressée que les dirigeants sont des bénévoles, élus parmi les membres.
À force de mettre l'accent sur la diminution des subventions publiques, on oublie un peu vite que le modèle économique des associations repose avant tout sur des bénévoles qui décident librement de faire association, c'est-à-dire de mettre en commun un projet, des compétences, de la motivation et de la disponibilité, et en fonction de règles librement établies ensemble, et de s'assurer de la pertinence des actions engagées au service de ce projet.
Pour peu qu'on puisse le mesurer, le nombre de bénévoles dans les associations est estimé entre 12 et 14 millions, soit environ un quart de la population de plus de 20 ans. Selon les extrapolations, le bénévolat associatif est valorisé entre 680 000 et 1 million d'équivalents temps plein . Les associations ayant au moins un salarié sont minoritaires (12 %) mais emploient 1,9 million de personnes, principalement dans les secteurs sanitaire, social, médico-social, humanitaire et caritatif.
Outre ces secteurs, le principe d'association irrigue l'ensemble de la société et oppose au cynisme ambiant des myriades d'initiatives porteuses de sens, efficaces, bénéfiques. Dans les secteurs sportif, éducatif, de l'animation, des loisirs, de la protection de l'environnement, de la recherche, ou de la protection des droits fondamentaux, dans chaque interstice, elles apportent leur contribution à la vitalité et à la transformation de la société. Elles agissent : elles alertent, éduquent, accompagnent, gèrent, témoignent, documentent, défendent, protègent, tissent du lien, animent le débat, agitent les idées, transmettent. Et si « ça va mieux », ou du moins pas plus mal, c'est en grande partie grâce à elles. Ceci rappelé, comment le numérique peut-il impacter le modèle économique des associations ?
Boostez votre communication, le reste suivra
Les effets du numérique sur la communication des associations sont désormais bien connus, encore qu'il conviendrait de nuancer : communiquer pour quoi ?
Pour fluidifier les interactions entre les membres ? C'est possible, et devenu courant avec le mail. Les réunions en présentiel restent la norme dans votre association ? Qu'à cela ne tienne, des applications très simples vous permettent d'organiser la réunion en trois clics de souris. Votre réseau est éclaté géographiquement : les agendas partagés, les outils de collaboration en ligne ou de coproduction de contenus à distance, existent également. Et plus d'excuses pour ne pas associer le plus grand nombre aux décisions stratégiques : avec les outils de sondage en ligne, on peut désormais non seulement informer, mais aussi consulter ses membres, voire délibérer collectivement.
Communiquer pour alerter, sensibiliser, mobiliser des sympathisants ? C'est possible, avec les pétitions en ligne, les campagnes d'emailing, les réseaux sociaux et autres outils de « lobbying citoyen ». Encore faut-il travailler la profondeur informationnelle, et faciliter la lecture de l'internaute, pris pour cible d'actions relevant d'un marketing d'intérêt général.
Communiquer pour lever des fonds ? C'est possible également. D'après le baromètre 2016 Ifop-Limite, le don en ligne est désormais rentré dans les mœurs des français, avec 26 % de e-donateurs, soit 7,5 % des dons) . Les plateformes de financement participatif ouvrent de nouvelles voies à la diversification des financements.
Le numérique est également incontournable pour des démarches de recherche de fonds plus classiques : qu'il s'agisse de mécénat d'entreprise ou de subvention publique, plus aucune demande de soutien ne se passe d'Internet, la plupart des démarches étant désormais « dématérialisées ». Pour le meilleur et pour le pire… Enfin, si les prestations de service sont les ressources principales de l'association, il est devenu intenable de se passer d'un site vitrine a minima, d'une boutique en ligne dans l'idéal.
En synthèse, pour faire leur métier, les associations ne peuvent plus se passer du numérique. Mais les questions stratégiques demeurent. Le numérique répond-il au besoin de stabilité financière des associations ? Dans la jungle des propositions, comment se repérer ? Comment affecter à chaque outil une fonction précise ? Comment planifier les actions pour être sûr de toucher sa cible et obtenir un don ? Ces questions soulèvent également des points éthiques ; est-il sain de considérer les donateurs comme une cible marketing ? Les associations feront-elles demain du data mining ?
Des choix stratégiques… et politiques
Le numérique change tout, les façons d'informer, d'interagir, de débattre, de décider, de communiquer… Il ne s'agit plus seulement de maîtriser des outils (et d'avoir les moyens d'investir dans ces outils) mais de comprendre et tirer parti des transformations profondes dans lesquelles le numérique conduit. Il s'agit de réussir l’entrée dans la culture numérique.
Derrière le choix en faveur d'une application ou une autre, il y a un véritable choix de société. À titre d'exemple : entre un doodle et un framadate, a priori pas de différence ; les deux applications permettent d'organiser de manière très simple et très efficace une réunion. Dans les faits, la première solution conserve les données et est susceptible de les revendre à un tiers ; quand la seconde s'engage à ne jamais les revendre. En d'autres termes, comme aime à le dire Henri Verdier, nous sommes des analphabètes si nous ne comprenons pas la portée de ces choix.
C'est pourquoi la formation, la « littératie numérique », ne doit pas se contenter de faire monter en compétences les responsables associatifs sur des aspects strictement techniques, mais aussi de les sensibiliser aux usages que font certains acteurs des données, des traces produites chaque jour sur Internet. Et inversement, une réflexion de fond sur l'usage et le partage des données que collectent les associations paraît essentielle. Leur proximité avec le terrain en fait de magnifiques capteurs de signaux faibles.
Par ailleurs, et c'est une bonne nouvelle, la culture numérique contribue à flouter les frontières entre l'interne et l'externe : fluidifiant les relations entre parties prenantes, le numérique confère aux associations une plus grande agilité, et les inscrit dans des schémas beaucoup plus horizontaux, voire ascendants, propice à l'émergence d'idées, à l'innovation, à la naissance de ce que l’on appelle à La Fonda des communautés d'action.
Pour paraphraser Joël de Rosnay, l'association de demain est une plateforme d'intelligence collective . Ce sera vrai à deux conditions : premièrement, ne pas cantonner la transformation numérique de l'association à un « service informatique » isolé des autres alors qu'il pourrait utilement impulser une vision stratégique plus globale. Deuxièmement, accélérer, car la transformation numérique de la société n'attendra pas les associations.
juin 2016