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À l’écoute de la société
Les travaux de prospective pilotés par la Fonda sur l’engagement mobilisent une diversité d’organisations, salariés et bénévoles, qui sont engagés et réunis autour de valeurs progressistes et démocratiques. « Il s’agit de personnes qui, selon la classification de Destin Commun1 , appartiennent majoritairement aux catégories des Stabilisateurs ou des Militants désabusés. Il existe une forme d’entre-soi qu’il convient de dépasser », rappelle Laurence de Nervaux.
L’exemple de Colombe, doit en ce sens nous interpeler. Dans un reportage de Paul Larrouturou pour le journal de TF1, les téléspectateurs ont pu entendre cette sexagénaire partager son enthousiasme à la suite d’un meeting de Marine Le Pen, tout en racontant son engagement de longue date comme bénévole aux Restos du cœur.
Ainsi, la Fonda, par le biais de Destin Commun, a souhaité donner la parole à des Français en marge de ces réflexions. Deux focus groups ont été réalisés en septembre 2024 pour se mettre à l’écoute de deux catégories de la population considérées comme éloignées du monde de l’engagement et traditionnellement plus difficiles à atteindre : les Laissés pour compte et les Identitaires. Ils représentent 4 Français sur 10 et constituent les deux volets, social et identitaire, de l’électorat du Rassemblement national.
Dissociation entre engagement et opinions politiques
Les deux groupes partagent une vision décliniste de la société française. Deux expressions l’illustrent : « tout part à la dérive, on a peur » et « la situation du pays est dégradée dans beaucoup de milieux : les hôpitaux, la sécurité, les écoles ». Pour autant, ils ne sont pas désengagés, bien au contraire. Plusieurs sont des poly-engagés : ils participent à la soupe populaire, sont conseillers municipaux ou font partie d’associations, comme un club de rugby.
L’engagement n’est pas l’apanage des humanistes et des progressistes.
Ainsi, il existe un universalisme de l’engagement. « Il n’est pas l’apanage des humanistes et des progressistes », indique Laurence de Nervaux. Il est souvent lié aux croyances et aux valeurs des personnes, mais l’engagement d’un Identitaire (au sens de la typologie de Destin Commun) n’est pas nécessairement un engagement identitaire. Ses causes d’engagement peuvent être variées.
Perceptions de l’engagement
La notion d’engagement renvoie d’abord aux valeurs de fidélité et de durée dans la sphère familiale et intime (se marier, avoir des enfants, etc.) Une citation prononcé par un participant du focus group le montre : « faire un enfant, c’est un engagement qu’il ne faut pas prendre à la légère, ça demande beaucoup d’investissement tout le temps ». Pour autant, les participants aux focus groups ont l’impression que ce type d’engagement n’est pas valorisé socialement ni reconnu comme de l’engagement.
Pour Laurence de Nervaux, la complexité administrative est un irritant, voire un frein à l’engagement. Plusieurs témoignages le montrent, « il y a trop de contraintes administratives pour participer à des associations », ou encore, « rien n’est simple. Il faut toujours se justifier. Un petit dossier, il faut des montagnes de papier ». Une participante a été découragée par les démarches administratives, alors qu’elle souhaitait installer un composteur dans sa résidence.
Les répondants admirent par ailleurs des personnalités engagées décédées, tels que Coluche, Balavoine, le Général de Gaulle, Bob Marley. Un seul nom de personne vivante revient : Jordan Bardella, Président du Rassemblement national. Ils rejettent également la starisation de l’engagement. Ils plébiscitent l’engagement anonyme et invisible.
Vitalité d’engagements
Souvent, les participants ne réalisent pas que les actions auxquelles ils prennent part relèvent de l’engagement. D’ailleurs, Destin Commun a mis en lumière dans une précédente étude le fait que les abstentionnistes disaient qu’ils n’avaient pas d’engagement, alors qu’ils étaient bien engagés dans des actions peu valorisées2 . Par exemple, en faisant les courses à leurs voisins pendant la crise liée au COVID-19.
Leur engagement prend souvent des formes informelles, sous les radars, comme le partage d’informations et de bons plans sur des groupes Facebook, entraide, troc, etc. Un témoignage le montre : « les gens avec qui j’ai le plus de contacts ce sont mes voisins que je vois tous les jours, on échange des fruits, des gambas, des soles que je pêche, ou des invendus… ».
Ces pratiques qui sont en quelque sorte des proxy de l’engagement sont révélateurs d’une des préoccupations des Français : le pouvoir d’achat. En s’engageant dans des associations, ces personnes peuvent aussi rompre avec leur sentiment d’isolement social, plus fréquent au sein de ces deux groupes que dans le reste de la population.
Défiance à l’égard de la société
Les répondants ont un fort attachement aux fondamentaux moraux de pureté et de loyauté. Dès lors qu’un scandale concerne une association, cela renforce leur défiance à l’égard des acteurs de l’engagement. Comme l’indique un participant, « la confiance se gagne au goutte- à-goutte et se perd en litres ».
Un exemple régulièrement cité est celui du fondateur de l’Association pour la recherche sur le cancer, Jacques Crozemarie, condamné pour abus de confiance et recel d’abus de biens sociaux il y a trente ans. Plusieurs témoignages illustrent cette défiance : « L’argent, on ne sait jamais s’il ira vraiment aux malades, c’est trop flou. Certains s’enrichissent sur la santé des autres, c’est écœurant ! », ou encore « Pas mal d’associations sont épinglées pour des dirigeants au train de vie élevé, à partir de là, ça n’a aucun sens de donner de sa personne, c’est perverti par le fric ».
Il existe également au sein de ces groupes un sentiment de concurrence dans la précarité. À la suite du visionnage de la vidéo de Colombe, plusieurs ont exprimé l’idée suivante « Aidons-nous nous-mêmes avant d’aider les autres ». Ils sont dans une logique d’opposition entre « eux contre nous », particulièrement tangible lorsqu’il s’agit de personnes migrantes.
Comment parler à tout le monde ?
Dès lors que le sujet de l’engagement est abordé, il existe souvent le fantasme de la « pureté militante » et de la « pureté de l’engagement ». Ils peuvent paralyser les acteurs de l’engagement. Face à cela, Laurence de Nervaux suggère que les organisations de la société civile partent des préoccupations du quotidien des personnes et de leurs engagements pour les valoriser. Cela permet d’activer le continuum de l’engagement, où un engagement en amène un autre. Elles peuvent, comme l’a rappelé Claire Thoury, participer à la création d’espaces de dialogue organisés.
Dans un contexte de montée de l’extrême droite, il est nécessaire de dénoncer avec énergie les atteintes à la démocratie, à l’État de droit, aux libertés publiques, etc. « Le populisme est une spirale qui tire vers le bas et qui est contagieux », insiste Laurence de Nervaux3 . Cependant, les travaux en psychologie sociale montrent que la stigmatisation et la diabolisation ne fonctionnent pas, voire amplifient au contraire la radicalité. « Nous marchons sur une ligne de crête, où les organisations doivent maintenir une intransigeance sur les valeurs défendues, tout en étant capables de recevoir les réalités vécues par les personnes et de nourrir un dialogue constructif. Dépassons le eux contre nous », conclut-elle.
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Ce compte-rendu a été rédigé par Hannah Olivetti de la Fonda et relu par Yannick Blanc, Charlotte Debray, Anna Maheu et Laurence de Nervaux. Il est mis à disposition sous la Licence Creative Commons CC BY-NC-SA 3.0 FR.
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- 1Destin Commun a identifié six familles de Français en fonction de leurs systèmes de valeurs : les Stabilisateurs, les Militants désabusés, les Laissés pour compte, les Libéraux optimistes, les Attentistes, et les Identitaires.
- 2Raphaël Llorca et Laurence de Nervaux (Destin Commun), Dans la tête des abstentionnistes, à l’écoute de ceux qui se taisent, Fondation Jean Jaurès éditions, juin 2022, [en ligne].
- 3Destin Commun, Le jour d’après, penser le 8 juillet 2024, juillet 2024, [en ligne].