Cet article est une contribution de la version numérique enrichie de la Tribune Fonda n°239.
Il ne figure pas dans la revue imprimée.
« Le Service civique, c'est un engagement volontaire au service de l'intérêt général ouvert aux 16-25 ans. Accessible sans condition de diplôme, le Service Civique est indemnisé ».
Agence du Service civique
« Le Service civique a pour objet de renforcer la cohésion nationale et la mixité sociale et offre à toute personne volontaire l'opportunité de servir les valeurs de la République et de s'engager en faveur d'un projet collectif en effectuant une mission d'intérêt général »
Code du Service National
Le Service civique est une politique qui a atteint une belle maturité, à laquelle répond un investissement massif de la nation (450 millions d'euros en 2018). 135 000 jeunes s’y engagent désormais chaque année, un chiffre ayant quadruplé en cinq ans, si bien qu’il est devenu un marqueur générationnel phare pour les jeunes Français, à l’instar du programme Erasmus.
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En 2015, on fêtait en grande pompe les cinq ans du Service civique. Au même moment, la France vivait des attentats d’une violence inédite pour les jeunes générations, ouvrant une longue période « post-attentats ». L’ouvrage Le Service Civique, dernier rempart de la République, naît ainsi d’une comparaison sur les rôles paradoxaux que l’on fait jouer aux multiples déclinaisons d’un dénominateur commun, l’engagement de la jeunesse, dans ce contexte.
Tout d’abord, dans un cadre post-2015 caractérisé par un état d’urgence institutionnalisé et somatisé par une partie de la population, les fantasmes de mobilisation de la jeunesse au service de la défense de la nation ressurgissent des cartons. Tous les politiques alors en campagne pré-présidentielle y vont de leur proposition « nostalgisante », échos d’une majorité de français qui, peu après les attentats du Bataclan, étaient à 80% en faveur du rétablissement du service militaire obligatoire1 .
Le Service civique, dont l’ascendance concilie joliment service militaire et objecteurs de conscience, confirme son statut : un engagement sécurisé, encouragé, plébiscité, par les jeunes générations et leurs aînés, et par le monde politique. Une sorte de « rempart » républicain, qui réussit plutôt haut la main le pari de créer un dispositif institutionnel répondant aux jeunes velléités d’engagement, sans être strictement conventionnel et standardisé.
À tel point qu’il permet de tendre à chaque époque, chaque politique, le miroir d’un engagement à son image… Depuis 2015, notre Service Civique, initialement peu porté sur le patriotisme, se retrouve ainsi lui aussi paré d’atours bleu blanc rouge : on le valorise sous le jour nouveau de dispositif d’ « engagement des jeunes pour la nation », en faisant par exemple défiler des volontaires le 14 juillet.
Mais revenait aussi le terme d’engagement pour décrire la jeunesse dangereuse. Celle qui s’engage de manière non-conventionnelle, radicale voire violente, qui fait peur et menace la France. On parle alors de l’engagement des jeunes qui, par motivation politique ou emprise idéologique et religieuse, décident de partir en Syrie faire le jihad…
D’un certain point de vue, ces engagements répondent avant tout à une quête de sens : dans notre monde où un individu est évalué sur sa capacité à produire et à contribuer à la bonne marche d'une société hyper-rationnelle, où même les études ne vaccinent plus contre le chômage, et où toute possibilité d'idéologie comme planche de salut collective a disparu, celui dont le travail est fragile, qui n’a pas (encore) de fonction sociale perçue comme essentielle à la société, se retrouve nécessairement face à un vide… auquel chacun tente de répondre, composant avec son environnement sociologique, culturel, éducatif.
On pourrait aller jusqu’à poser la question : qu’est-ce qui différencie l’engagement d’un jeune en Service civique, de celui d’un jeune rêvant de Syrie ? D’aucuns soutiennent que c’est le degré de radicalité, plus que son objet ou son cadre, qui différerait entre signer une pétition sur internet, s’engager en Service civique, et partir en Syrie2 .
Le débat ne saurait être réduit, bien sûr, à une vision aussi polarisée ; mais la neutralisation du sens donné au terme d’ « engagement » brouille les repères, et, en troublant la question, ne permet pas de réfléchir à une réponse appropriée à apporter aux aspirations d’une jeunesse en quête de sens.
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Depuis ses débuts, le Service civique s’est massifié, résultat d’une politique du chiffre assumée. Un remarquable succès quantitatif, gagné à la force d’un branle-bas de combat ministériel, qui mobilise aujourd’hui de nombreuses institutions… dont les missions peuvent laisser sceptique – peut-être avez-vous vu ces jeunes à l’accueil de Pôle Emploi ou de votre préfecture.
L’annualité désormais routinière de l’accueil des volontaires, le nombre des cohortes, réduisent la part d’engagement personnel pourtant prépondérante dans ce que doit être la mission d’un jeune volontaire en Service civique. Alors que le Président Hollande le voulait universel pour offrir à tous les jeunes qui le souhaitaient l’opportunité de s’engager, les limites financières et pratiques le plafonnent aujourd’hui à 135 000 jeunes par an.
Autre rançon de la gloire : une collusion croissante avec l’emploi, a fortiori dans un contexte de fort chômage des jeunes et de gel des contrats aidés, qui soumet nombre de structures - dont l’État - à la tentation de remplacer un salarié par un volontaire. Du côté des jeunes, l’ « effet générationnel » est aussi symptomatique du fait que le Service civique tend à devenir un passage obligé avant l’insertion professionnelle, voire un pis-aller à défaut de mieux.
Enfin, alors que son succès initial a été facilité par l’existence d’un « stock » de jeunes facilement prêts à s’engager, on assiste aujourd’hui à une « crise des vocations » dans certains territoires. Des politiques volontaristes intéressantes y répondent, cherchant à aller convaincre les jeunes mais aussi les structures les plus éloignés de l’engagement de se mobiliser pour le Service civique.
Toute massification d’une politique de soutien à l’engagement comporte ainsi un risque intrinsèque de dilution de la notion-même d’engagement pour les bénéficiaires.
Mais outre la teneur des missions sur le terrain, l’impression d’une appropriation politique du Service Civique, que l’on rendrait acteur de l’image d’une jeunesse souriante et engagée pour de bonnes causes (substitution peut-être à d’autres visions plus menaçantes de la jeunesse ?), émerge. Si l'engagement est omniprésent dans l’univers du Service civique, il est souvent neutralisé : les termes comme « alternatif », « militant », « politique », ou même « citoyenneté » sont rares voire absents de son champ lexical et certains objets d'engagement moins consensuels semblent tabous. La communication léchée de l’Agence du Service civique, par exemple, nous souffle l’idée d‘un engagement « papier glacé ».
Un engagement très soutenu par les institutions, valorisé, mais neutralisé dans ce qu’il pourrait avoir de subversif, jusque dans la communication qui en est faite. Le phénomène ne lui semble d’ailleurs pas réservé. Jamais la notion d’engagement, des jeunes en particulier, n’a été aussi soutenue par les politiques publiques : Service civique, mais aussi Réserve citoyenne, Compte d’engagement citoyen, label « La France s’engage »…
Et pourtant, rarement l’engagement, au sens politique du terme, n’a semblé à ce point stérilisé dans le rôle qu’on lui permet de jouer dans la vie publique. La récente dureté à l’égard des jeunes manifestants lycéens ou étudiants, ou même symboliquement à l’égard de la représentation nationale à l’Assemblée, n’en est qu’un exemple.
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Or, l’édulcoration du sens donné à l’engagement soutenu par l’institution inquiète. La neutralisation de l’idée d’engagement au sens militant, non-conventionnel du terme limite la possibilité pour le Service Civique de constituer une réponse singulière aux aspirations de la jeunesse.
À trop institutionnaliser l’engagement, à oublier que l’engagement ne se décrète pas mais qu’il doit être soutenu dans la diversité et la liberté de ses formes, à risquer d’en faire un outil politique adoubant « bons » des « mauvais » engagements, l’effet contre-productif guette. Il serait dommage que la jeunesse se rebiffe finalement contre l’ensemble de ces dispositifs, pourtant revendiqués de longue date par les associations de jeunesse et d’éducation populaire. Peut-on s’engager sans chercher à sortir des sentiers battus ? Éternelle question que le Service civique ne résoudra pas…
Pourtant, la souplesse du Service Civique, sa dimension apolitique, offrait, et offre toujours, un excellent support potentiel à diverses formes d’engagements même les moins conventionnels. Et, si beaucoup de jeunes ne s’y engagent plus par fibre militante a priori, tous se frottent au cours de leur mission aux notions d’intérêt général, de citoyenneté… sonnant pour eux la fin du « moratoire politique »3 ?
Le Service civique est donc une belle école de l’engagement, que menacerait l’enfermement dans une appropriation politique trop rigide et standardisée. Au contraire, laissons les jeunes s’approprier, « hacker » sans cesse le Service Civique, pour qu’il reste un outil d’engagement libre !
Dernier-né des avatars de l’engagement jeunesse : le Service national universel (SNU). Alors que son prédécesseur avait répondu à l’engouement pour l’engagement des jeunes par un soutien réaffirmé au Service civique, le Président Macron dégaine un nouveau dispositif, semblant ignorer l’existant, qui mérite encore pourtant d’être soutenu.
On pouvait espérer que le Service civique avait acquis un statut suffisamment pérenne pour que l’on puisse désormais l’espérer prémuni des intérêts politiques, des soubresauts électoraux, des effets de mode... Or, que va devenir le Service Civique face à ce SNU ? Ce dernier, décrié par les organisations de jeunesse qui dénoncent son oxymorique « engagement obligatoire », bancal dans son futur pilotage que se renvoient l’armée, l’éducation nationale, le monde associatif, aura un poids considérable sur les finances publiques. Un caprice bien coûteux, et une concurrence dangereuse pour les autres politiques et acteurs de l’engagement.
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