Enjeux sociétaux

Lecture : Le destin de l'Europe par Ivan Krastev

Tribune Fonda N°239 - Les dynamiques de l'engagement - Septembre 2018
Patrick Boulte
Patrick Boulte
Ivan Krastev évoque les défis contemporains de la construction européenne et en explore trois paradoxes. Une analyse fine qui rappelle également les capacités de rebond de l’Europe.
Lecture : Le destin de l'Europe par Ivan Krastev

Publié initialement aux États-Unis sous le titre After Europe, Le Destin de l’Europe dresse un inventaire des fragilités et des incertitudes de la construction européenne, qui sont aussi celles de la démocratie elle-même, confrontée aux défis de l’immigration et du consumérisme.

Se demandant si l’Europe est condamnée à se désagréger, Ivan Krastev en évoque trois paradoxes. Le premier est  le paradoxe centre-européen. Citoyen bulgare, il connaît bien la situation qui prévaut en Europe centrale et les raisons de son animosité à l’égard des Européens de l’Ouest.
 
Il rappelle que les ressortissants de ces pays – qui ont subi une hémorragie démographique de compétences et de capacités, avant et après la chute du mur –, nourrissent des frustrations à l’égard de leurs homologues de l’Ouest, qui leur demandent un effort humanitaire, alors qu’ils sont en moyenne plus riches qu’eux. Pour eux, le paradoxe de la démocratie libérale, c’est que les citoyens sont, en effet, plus libres, mais qu’ils se sentent impuissants à renverser leur situation, ce qui ne dépend, en définitive, que d’eux-mêmes.
 
Le second paradoxe est le paradoxe ouest-européen : les jeunes sont réactifs, mais renâclent devant la nécessité d’avoir à élaborer des programmes politiques.

L’exemple en est l’attitude des jeunes devant l’hypothèse du Brexit. Largement favorables au « remain », à la libre circulation, ils ont été incapables de construire un mouvement politique fait de propositions. Ils sont pour une démocratie sans représentation, or il se trouve que « l’idée de démocratie sans représentation rend pratiquement impossible toute discussion sérieuse sur l’avenir de la construction européenne ».

Le troisième paradoxe est celui dit de Bruxelles : « Si l’Europe est en crise, c’est surtout parce que la vision méritocratique de la société l’est aussi. » La situation est préoccupante, tant les facteurs de dissociation sont puissants.
 
À commencer par la crise migratoire dont l’impact sur les opinions a sans doute été sous-estimé et qui conduit à prendre des mesures qui vont directement à l’encontre des postulats du libéralisme et de la libre circulation des marchandises, des biens et des personnes, pourtant au cœur de l’identité européenne.

De plus, les opinions sont méfiantes à l’égard des dirigeants confrontés à la complexité des politiques à mettre en œuvre, à la nécessité de prendre en compte les contraintes et les défis de la mondialisation, à rendre possible l’impossible, alors que « les citoyens sont avant tout des consommateurs qui considèrent leurs gouvernants comme des serveurs de restaurant dont il est attendu qu’ils obtempèrent prestement aux désirs exprimés ».

Ce livre, tout en finesse d’analyse, ne pousse, en conclusion, ni au désespoir, ni aux préconisations radicales. Fondant son optimisme sur la résilience dont a fait preuve, jusqu’ici, l’Union européenne, il estime que ses chances de survie sont dans l’esprit de compromis et la volonté de conciliation dont sauront faire preuve ses dirigeants, envers et contre tout.
 


Ivan Krastev, Le Destin de l’Europe. Paru en octobre 2017, aux éditions Premier Parallèle. Traduit de l’anglais par Frédéric Joly. 160 pages.
 

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